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Nouvelle gouvernance du sport : qui a peur des fédérations ?

Les journées nationales d'étude de l'Association nationale des directeurs et intervenants d'installations et des services des sports, à Saint-Malo, se sont ouvertes avec un débat passionné sur la nouvelle gouvernance du sport. Les intervenants ont fait part de leur crainte unanime de voir les fédérations sportives imposer leur propre vision face aux besoins des collectivités.

"On peut être face à un modèle où les fédérations olympiques vont prendre le pouvoir." Ces mots d'Yvon Léziart, conseiller municipal délégué aux sports de la ville de Rennes, sonnent comme une synthèse cinglante des débats qui ont animé la table ronde consacrée à la nouvelle gouvernance du sport, mercredi 11 mars, à Saint-Malo, en ouverture des journées nationales d'étude de l'Andiiss (Association nationale des directeurs et intervenants d'installations et des services des sports).
Comme l'a rappelé dans son introduction Dominique Charrier, maître de conférences à la faculté des sciences du sport de l'Université Paris-Saclay et animateur de la table ronde, "la question de la nouvelle gouvernance du sport occupe les débats depuis un certain temps, colloque après colloque". Et pour cause. Entamé fin 2017, ce chantier a franchi une étape décisive en avril 2019 avec la création de l'Agence nationale du sport (ANS). Désormais, les règles semblent plus claires : tout le monde – État, mouvement sportif, collectivités territoriales et entreprises du secteur sportif – est autour de la table. Ou plutôt des tables : l'une nationale, les autres régionales. Mais si, près d'un an après sa constitution, l'ANS a pris son rythme de croisière au niveau national, c'est loin d'être le cas en région. Conférences régionales du sport et conférences territoriales des financeurs n'ont pas encore vu le jour. Le décret précisant leur fonctionnement est toujours attendu, et du côté du Palais du Grand Large, à Saint-Malo, le vent soufflait aux oreilles des congressistes qu'il ne fallait pas l'attendre avant le troisième trimestre 2020…

Hors licenciés, point de salut ?

En attendant, responsables des sports des collectivités et élus locaux s'inquiètent. Claire Guinemer a donné le ton. L'adjointe au maire de Saint-Malo chargée des sports a d'abord expliqué que le paysage sportif changeait : "Le sport-santé et le sport-loisir sont des filières qui augmentent de façon très forte mais qui, pour le moment, ne sont pas ou très peu prises en compte." La raison ? Les nouveaux pratiquants ne sont pas forcément licenciés dans une fédération. Sur le terrain, cela se traduit par une équation difficile à résoudre. Marco Sentein, président de l'Andiiss, témoigne : "On s'occupe très bien des 19 millions de licenciés, mais depuis plus d'un mandat, les élus nous disent : 'Les fédés, c'est bien, mais il y a 22 millions de pratiquants qui n'ont pas envie d'être dans le mouvement fédéral et il va falloir s'en occuper.' Et lors de la prochaine mandature, on va nous demander de nous en occuper encore plus. C'est notre rôle, c'est l'intérêt général."
Collectivités et fédérations ont-elles seulement la même définition de l'intérêt général ? Claire Guinemer a son idée sur la question : "Actuellement, Saint-Malo finalise un équipement sportif d'importance : AquaMalo. La ville et l'agglomération ont fait le choix d'un bassin olympique de 50 mètres sur huit couloirs, alors qu'il n'existe que deux autres équipements de ce type en Bretagne, à Brest et à Rennes. C'est un choix financier lourd pour une agglomération de 82.000 habitants. Nous avons été à Paris porter notre projet devant la Fédération française de natation. Ils ne se sont pas moqués de nous, mais ils nous ont rappelé qu'au niveau des licenciés, la Bretagne était la douzième région métropolitaine sur douze [hors Corse]. Pourtant, nous avons un tiers du littoral français et le savoir-nager est important pour nos scolaires. On n'a pas senti de soutien." Et l'élue, qui siège aussi au conseil régional, de se demander si dorénavant la gouvernance du sport ne prendrait en compte que le nombre de licenciés et le poids des fédérations : "Depuis le redécoupage des régions, la Bretagne est l'une des plus petites. C'est un vrai sujet car on va donner la main de façon beaucoup plus importante aux fédérations qui décideront du financement de nos infrastructures." En effet, à travers les projets sportifs fédéraux de l'ANS, ce sont désormais les fédérations qui instruisent et sélectionnent les dossiers.

Difficulté structurelle

Yvon Léziart est ensuite revenu sur "la libre initiative laissée aux régions de construire un modèle qui leur convient" et a commenté l'expérimentation menée actuellement dans le Grand Est : "C'est un modèle qui représente une perspective assez descendante. Or le modèle aura de l'intérêt si les collectivités locales sont à la base des décisions." Une position que rejoint Franck Tison, secrétaire général de l'Andes (Association nationales des élus en charge du sport) : "Il ne faut pas que la décision ne soit que descendante, comme à l'époque du CNDS où les orientations du ministère des Sports étaient appliquées au niveau des régions." Clément Lopez, doctorant en Staps qui travaille sur les articulations des politiques sportives territoriales et les stratégies des fédérations, reconnaît sur ce sujet une difficulté structurelle : "Il y a effectivement une tension entre des fédérations qui fonctionnent de manière assez verticale, avec une politique descendante, et des collectivités qui, à l'inverse, fonctionnent de manière plus horizontale." Si le chercheur constate de plus en plus de collaborations directes entre fédérations et collectivités, il note que ce conventionnement se fait souvent "sur la base d'affinités politiques voire personnelles".
Surtout, si les fédérations sont plus présentes au niveau local, ce n'est pas toujours avec le souci affirmé de fonder un partenariat équilibré. "À Rennes, illustre Yvon Léziart, de nombreuses structures nous disent : 'Laissez-nous un terrain, signons un bail emphytéotique et nous en assurerons la gestion.' Le tout sans que la collectivité ait un droit de regard. On voit de plus en plus de structures extérieures, voire une fédération, prendre la main sur des installations communales et en demander la pleine jouissance. Avant la création de l'ANS et l'abandon des prérogatives de l'État, on ne vivait pas ce type de relation avec une fédération ou une ligue."

Risque d'instrumentalisation

Élus locaux et directeurs des sports ont-ils raison d'avoir peur des fédérations dans une nouvelle gouvernance du sport qui, loin d'être équilibrée comme cela fut imaginé à l'origine, donne d'importantes prérogatives à ces dernières ? Pour Dominique Charrier, "les fédérations sont très diverses, mais le mouvement olympique a tendance à réduire cette diversité. Il existe un vrai risque d'instrumentalisation. Les fédérations se retrouvent dans une position où elles gèrent de manière interne des projets qui peuvent être construits collectivement dans les différents territoires. Cela leur donne beaucoup de pouvoir. Je pense qu'elles n'auront pas les moyens de mener véritablement ces instructions. Le risque de clientélisme me semble assez lourd." La crainte est donc non seulement réelle, mais légitime, selon ce spécialiste des politiques sportives publiques. C'est peu de dire que l'intervention de Frédéric Sanaur, directeur général de l'Agence nationale du sport, ce jeudi matin à Saint-Malo, est attendue.