"NaTech", Pfas, déchets… Amaris met en lumière risques "montants" et nouveaux défis

Les "Rendez-vous majeurs" d’Amaris ont été l’occasion de mettre en lumière les grandes tendances à l’œuvre en matière de risques ces dernières années. Outre l’émergence de nouveaux défis induits directement par le changement climatique (les NaTech), ou indirectement via la décarbonation de l’économie, ou encore par les changements du mode d’organisation des entreprises, ont notamment été évoqués l’attention grandissante portée à la santé ou à la biodiversité – et donc aux risques "chroniques" –, l’aspiration "forte" des citoyens à la transparence ou le rôle désormais incontournable des élus locaux en ce domaine.

Tenue ce 3 octobre au Havre – où "l’on aime bien l’industrie, et il n’y a pas de mais", a souligné le maire Édouard Philippe –, la deuxième édition des "Rendez-vous majeurs" de l’association Amaris, l’association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs, s’est employée à mettre en exergue les grandes tendances à l’œuvre en matière de risques ces dernières décennies. En particulier, l’attention grandissante portée aux risques "chroniques", et plus seulement accidentels, qui ont notamment des conséquences sur la santé, comme les polluants éternels (les fameux "Pfas"). "C’est une préoccupation qui monte, avec une réglementation qui n’est pas forcément au niveau et des élus locaux qui se retrouvent parfois un peu seuls face aux interrogations et aux craintes exprimées", souligne Alban Bruneau, président de l’association et maire de Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime). Et d’indiquer que l’association fait d’ailleurs "évoluer un petit peu ses statuts pour investir le champ de la pollution". 

"Pfas" et "NaTech"

Non sans raison : "Dans le secteur de la chimie, on a en tête des accidents spectaculaires, des incendies, des explosions. Or 80% de l’accidentologie relève plutôt d’une émission non maîtrisée de substances", enseigne ainsi Anne-Cécile Rigail, cheffe du service des risques technologiques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique. "La très forte augmentation du portefeuille des substances chimiques mises en œuvre est source de progrès mais pose de nouveaux défis", souligne Cédric Bourillet, directeur général de la DGPR, s’attachant particulièrement à mettre en relief les évolutions des trente dernières années. Et elles sont aussi nombreuses que variées. Parmi elles, l’émergence des "NaTech", c'est-à-dire "un événement naturel qui induit un accident de nature technologique", précise Anne-Cécile Rigail. "On a évidemment en tête Fukushima", pointe Cédric Bourillet, évoquant les risques accrus de submersions marines, de crues, de tempêtes et autres inondations, mais aussi d’incendies de forêt, qui "en 2022 ont fini par atteindre des sites Seveso". Anne-Cécile Rigail souligne ainsi que "les équipes d’inspection veillent particulièrement au respect des obligations légales de débroussaillement", ou "accordent une attention particulière à la résistance des réseaux électriques", particulièrement mis à mal par les tempêtes et les inondations alors qu’ils sont "extrêmement nécessaires à la sécurité des sites industriels". 

Un patrimoine industriel vieillissant et des activités émergentes

Des sites dont Cédric Bourillet relève qu’ils "ont vieilli". Effet collatéral de la désindustrialisation, "on a un patrimoine industriel qui est assez ancien", note-t-il, ce qui n’est pas sans poser de nouvelles difficultés. Il pointe néanmoins une évolution importante : "La forte montée en puissance du numérique." Elle est à la fois bénéfique – "On dispose de beaucoup plus d’informations qu’avant, on gagne beaucoup en capacité de pilotage", capacité que devrait encore renforcer l’émergence de l’intelligence artificielle, relève-t-il – et source de nouveaux défis, la "cybermalveillance" en tête.

L’expert concède en outre "un certain renouveau" du parc industriel, "en lien avec les transitions écologique et énergétique : on a de l’hydrogène, des gigafactories, des batteries au lithium…". Ce qui laisse d’ailleurs entrevoir "un renouveau minier", ajoute Anne-Cécile Rigail. Pour l’heure, outre la pollution qu’elles peuvent entraîner, elle relève surtout que ces "batteries au lithium sont à l’origine de nombreux départs de feu et ce, à toutes les étapes de leur vie : dans les usines où elles sont produites ou reconditionnées, dans les entrepôts où elles sont stockées, dans les centres de transit ou encore lors de leur traitement en tant que déchets". Elle observe par ailleurs que le secteur du traitement des déchets constitue "un sujet de préoccupation : c’est un contributeur assez fort, avec plus de 14% des incidents et accidents constatés". Et de préciser : "Cela peut être des petits sites, mais qui présentent un certain nombre de vulnérabilités, et qui se développent de manière un peu désordonnée." À l’inverse, elle met en lumière la croissance "de trafics internationaux de déchets qui, pour le coup, sont très bien organisés".

L’entreprise a changé

Cédric Bourillet attire également l’attention sur les conséquences induites par l’évolution du monde de l’entreprise et de leur organisation. "Il y a 30 ans, on avait des groupes industriels assez intégrés. J’ai en tête des grandes plateformes industrielles dans la vallée de la chimie qui appartenaient auparavant à un seul exploitant et qui relèvent aujourd’hui de plusieurs entreprises de nationalité différentes." Sans compter qu’au sein "d’un même groupe, des ateliers peuvent relever de 'business units' différentes" et qu’un "directeur de site n’est parfois pas complètement le seul chef", dépendant "d’un siège qui peut être en Allemagne, aux USA, etc.". Il pointe encore le "recours accru à la sous-traitance" ou le "changement d’approche des salariés" à l’égard de leur entreprise, qui n’est plus celle d’une vie, et de leur carrière. Deux phénomènes qui ne sont pas sans conséquence sur "le maintien de la connaissance, de l’expertise et de la culture de l’entreprise et des risques", remarque-t-il.

Des enjeux qui prennent de l’ampleur

Outre la santé déjà évoquée, Anne-Cécile Rigail met en lumière l’attention croissante portée à des enjeux tels que "l’usage sobre de la ressource en eau", la protection de la biodiversité ou encore la qualité des sols. "On demande à nos agents d’avoir une vision plus stratégique, en leur demandant non seulement de vérifier si tel site fonctionne avec un niveau de risque jugé acceptable, mais aussi s’il ne pourrait pas aller plus loin dans la décarbonation, dans l’usage sobre de la ressource en eau, etc." Et de relever que "c’est une attente assez forte des porteurs de projets industriels d’avoir un État qui ne soit pas dans une posture surplombante de contrôle, mais qui soit plus en amont pour les guider". Pour y répondre, elle indique qu’une "expérimentation pour évaluer la qualité des dossiers" va être lancée, pour tenter de rompre avec une "logique de ping-pong […] qui décourage un peu tout le monde, en faisant travailler de manière inefficace tant les porteurs de projet que l’administration. On veut se donner la chance d’avoir des demandes qui soient bonnes du premier coup", en "essayant de réglementer au juste besoin". 

Une stabilité des incidents/accidents qui dissimule deux tendances

Une démarche sans doute encouragée par l’observation "d’une amélioration de la culture du risque industriel sur les sites" et d’une transparence accrue de la part des industriels. "Ils ont beaucoup investi dans la sécurité et dans la réduction des pollutions", tient à redire Cédric Bourillet. Et si Anne-Cécile Rigail dresse le constat "d’une forme de stabilité dans le nombre d’accidents recensés", elle explique que cette dernière "dissimule dans les faits deux tendances". D’une part, "des progrès dans la maîtrise des risques à la source", qui entraînent à la baisse le nombre d’incidents ou accidents. D’autre part, "des déclarations d’incidents ou d’accidents à l’administration en hausse", témoignant d’une "plus grande capacité à détecter les incidents" et d’une plus grande volonté "de les faire connaître à l’administration".

Espoir dans la nouvelle procédure d’autorisation environnementale

Une "démarche exploratoire" qui n’est par ailleurs pas sans similitude avec la refonte de la procédure d’autorisation environnementale, mise en exergue par les deux responsables de la DGPR. Au lieu d’avoir "des séquences les unes après les autres", au cours desquelles "le projet n’était finalement mûri qu’entre les services de l’État et le porteur de projet" pour aboutir "à une consultation publique avec quelque chose d’assez ficelé", on aura désormais, "dès que le dossier est complet", un processus "interactif pendant trois mois, avec un public qui sera là dès le début", souligne Cédric Bourillet. "Un débat avec l’ensemble des parties intéressées pendant une période plus longue", insiste Anne-Cécile Rigail. "On va apprendre en marchant", confesse-t-elle néanmoins, tout en fondant beaucoup d’espoir dans ce nouveau dispositif, à la fois pour "gagner plusieurs mois alors que les acteurs industriels font face à une concurrence extrêmement difficile avec le développement, dans d’autres zones du monde, de sites avec des coûts de production plus faibles, un coût d’énergie plus faible ou des aides d’État massives", et "pour progresser dans l’association et la participation du public".

Attentes grandissantes et fortes des citoyens

Une nécessité, alors que les deux experts insistent sur les attentes "grandissantes et très fortes des citoyens en matière de transparence", avec des "informations instantanées, exhaustives et sincères". "Beaucoup de choses ont été mises en place au fil des années, mais je ne suis pas sûr que tout le monde y ait trouvé son compte", confesse Cédric Bourillet. Lequel, "d’un côté se réjouit que les citoyens soient actifs, surtout dans cette période où il peut y avoir un éloignement à la citoyenneté ou à la vie de la cité", mais de l’autre mesure le défi de répondre à cette attente face "à la réduction de la confiance dans la parole publique, dans la légitimité ou sincérité des décideurs et parfois même des experts".

Ode aux élus locaux

Un défi qui ne pourra être relevé selon lui sans les élus locaux, en soulignant "le rôle très important et grandissant" pris par ces derniers en matière de prévention des risques industriels. "Il y a 30 ans, cela se résumait à des débats très techniques entre le site industriel et le préfet et ses services techniques. Cela paraît aujourd’hui très dépassé, et même assez inimaginable alors que les élus ont désormais un rôle majeur." Notamment "en matière d’aménagement. Ce qu’on veut comme industrie, comment on lui permet d’être desservie correctement, en intégrant de façon harmonieuse les questions environnementales et les risques, y compris naturels, par exemple en maintenant des zones humides pour éviter des inondations trop violentes. Ce n’est pas une compétence qu’apporteraient les industriels ou l’État", insiste Cédric Bourillet. Peu avare de compliments, il met encore en avant "le rôle majeur des élus en matière de culture du risque. Il y a bien sûr les obligations réglementaires, mais ce n’est pas seulement une question de règles, de documents, d’exercices à mener… Il y a aussi ce supplément d’âme qu’apportent les élus, qui sont un trait d’union entre un site industriel et des habitants, un territoire".