Lucie Becdelièvre (AVE) : "Nous souhaitons que l’État nous laisse la main sur les solutions locales"

Le projet "France Travail" pourrait amener des progrès en matière de coopération institutionnelle, selon la déléguée générale d’Alliance Villes Emploi, Lucie Becdelièvre. La porte-parole de l’association d’élus locaux engagés sur l’insertion revendique toutefois de l’autonomie dans les futures pratiques d’accompagnement.

Localtis - Votre rapport d’activité annuel, qui vient d’être publié, fait le point sur la maille de votre réseau, qui compte 138 Plie (plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi) au 31 janvier 2022, contre 147 en 2021. Est-ce inquiétant ?   

Lucie Becdelièvre - On est dans une forme de continuité, malgré quelques fermetures liées à des conjonctures locales. Les modalités de la nouvelle programmation européenne du Fonds social européen+ ont conforté les Plie. Alors que ce n’était pas gagné en 2019, les Plie conservent finalement leur statut d’organisme intermédiaire, ce qui leur permet de garder la main sur la répartition d’une partie des crédits du FSE+, dont la nouvelle programmation a démarré. L’évaluation de notre action faite par la DGEFP [délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle] a reconnu l’efficacité de notre action en matière de sorties positives mais aussi d’amélioration de la situation globale des personnes que nous accompagnons.

Quel bilan faites-vous des clauses d’insertion ?                    

En 2021, on est à plus de 25 millions d’heures d’insertion et on dépassera les 26 millions en 2022. Cette dynamique va s’accroître grâce au plan national des achats durables. Pour concrétiser les clauses sociales d’insertion dans ce cadre, l’Etat cofinance la création de nouveaux postes de facilitateurs, dont le nombre va augmenter de 50% au total grâce aux appels à projets de 2022 et de 2023. Nous l’attendions depuis longtemps. C’est l’occasion de progresser sur le plan quantitatif comme qualitatif : "clauser" les marchés de l’État en plus de ceux des collectivités nous donne la chance de diversifier les missions proposées, au-delà de l’emploi classique de manœuvre dans le BTP. C’est important en raison du profil de nos publics, parmi lesquels nous comptons une part non négligeable de femmes mais aussi de seniors. 

Quelles perspectives pour les Maisons de l’emploi ?

Notre objectif c’est de sortir des logiques d’amendements aux projets de loi de finances pour nous attribuer des crédits permettant de reconnaître et sécuriser leur fonction d’ingénierie territoriale. On y travaille avec les services de l’État et la DGEFP. On compte aujourd’hui 76 Maisons de l’emploi labellisées et financées comme telles, mais de nombreux Plie font en réalité le même travail en termes de développement des clauses sociales, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d’accompagnement des TPE sur le territoire ou de montage de parcours de formation… Notre enjeu est de renforcer le financement de ces actions et de mieux reconnaître cette fonction d’ingénierie au cœur du modèle des Maisons de l’emploi. Aujourd’hui, les financements étatiques représentent 9% de leurs ressources.

Les orientations de la réforme France Travail répondent-elles à vos attentes ?

Le rapport de Thibaut Guilluy reconnaît les Plie ainsi que les maisons de l’emploi comme partenaires. Il retient aussi la maille du bassin d’emploi comme échelon de gouvernance. C’est pertinent car cela nous permettra de systématiser les échanges avec des partenaires comme Pôle emploi car le degré de coopération au niveau local peut être variable. Nous resterons néanmoins vigilants sur la mise en œuvre. L’essentiel pour nous est vraiment la place et le rôle des élus locaux dans la gouvernance, l’élaboration et le déploiement des stratégies territoriales.

L’interopérabilité des systèmes d’information a également du potentiel en termes de fluidité. Cela fait très longtemps que les Plie demandent à avoir accès au dossier unique du demandeur d’emploi et à pouvoir le positionner sur Ouiform [qui donne accès aux formations régionales]. Toutefois, le revers possible, c’est de devenir un opérateur en bout de chaine. Nous souhaitons que l’État pose les règles du jeu, mais nous laisse la main sur la construction des solutions locales.

L’orientation des inscrits au futur France Travail vous inquiète-t-elle ?

Cela fait longtemps que les Plie reçoivent des publics n’ayant fait l’objet d’aucune orientation. Nous ne dépendons donc pas exclusivement de prescripteurs et avons développé une expertise en matière d’aller-vers, parfois en partenariat avec des acteurs du champ social. La crainte est plutôt que l’on nous impose des publics et des façons de travailler.  

Le axes clés de la réforme que sont les 15-20 heures et les sanctions en cas de non-respect du contrat d’engagement sont-ils compatibles avec les méthodes dans les Plie et Maisons de l'emploi?

Le projet France Travail est compatible avec ce que nous faisons. Ce qui fait consensus au sein de notre réseau, c’est le principe du parcours sans couture, la mobilisation de toutes les forces possibles dans l’écosystème afin d’accompagner les personnes.

Nous savons que ce qui marche c’est quand la personne adhère à son accompagnement et définit librement son projet professionnel, tout en étant réaliste, notamment au regard des opportunités offertes par le tissu économique local. Notre ambition, c’est l’accès à un emploi durable, le plus qualitatif possible et local. Il faut aussi garder à l’esprit que les parcours des personnes en précarité ne sont pas linéaires : il y a des accélérations, des ralentissements, des arrêts, des redémarrages. Ce n’est pas parce qu’on organise les différentes étapes du retour à l’emploi qu’il s’agit d’un long fleuve tranquille. De nombreux freins, liés à la garde d’enfants ou au logement par exemple, peuvent entraver les parcours. C’est pourquoi l’efficacité de l’accompagnement doit être évaluée sur le long terme.

Un tel accompagnement intensif est-il possible ?

Une des questions qui reste à préciser dans le cadre de la future loi travail, c’est celle des moyens. Réduire les files actives, sur le modèle de l’accompagnement proposé par les Plie, implique une montée en charge importante en matière de personnel, pour l’ensemble des opérateurs et partenaires concernés.