L’ONG Notre affaire à tous attaque le plan national énergie-climat

Les plans énergie-climat de la France, de l’Allemagne, de l’Irlande, de l’Italie et de la Suède manquent d’ambition, selon une coalition d’ONG européennes qui vient de déposer des plaintes coordonnées auprès de la Commission européenne. Ces plans tardifs et inadéquats compromettraient à la fois les objectifs climatiques de l’Union européenne et la transition juste et équitable promise aux citoyens. La procédure visant la France est portée par Notre affaire à tous. 

Une coalition d’ONG demande à la Commission européenne d’engager des poursuites judiciaires contre la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie et la Suède en raison de l’illégalité de leurs plans nationaux pour l’énergie et le climat (Pnec). La plainte visant la France est portée par Notre affaire à tous et fait état de "manquements généralisés aux obligations européennes en matière de climat et d’énergie". Le collectif d’ONG déplore "l’absence de mesures pertinentes et suffisantes pour faire en sorte que ces engagements ne soient pas que des promesses, ainsi que l’absence de participation du public en amont pour élaborer des plans justes socialement". La Commission aura douze mois pour leur répondre, et le cas échéant, engager une procédure d’infraction. 

Ces plaintes coordonnées interviennent alors que seuls 14 pays ont soumis leur Pnec, 4 mois après la date limite du 30 juin 2024, et que les commissaires désignés pour l’énergie et le climat sont auditionnés par le Parlement européen en vue de leur confirmation, est-il rappelé. 

Le gouvernement l’a officiellement transmis le 10 juillet - presque dans les temps - à la Commission européenne. "La France a le mérite d’avoir rendu sa copie mais elle n’est pas bonne. Le plan soumis ne fait que confirmer que la France ne constituera pas une locomotive permettant à l’Europe de tenir ses engagements en matière climatique. Ces renoncements répétés, comme ceux des autres pays ciblés aujourd’hui, vont décupler le coût financier, social et écologique du défi climatique pour les années à venir", étrille Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous, dans un communiqué du 7 novembre. 

Renoncement en termes d’émissions nettes

"Si la France s’engage à diminuer ses émissions brutes plus fortement d’ici à 2030, passant de -40 à -50% par rapport à 1990, elle acte un renoncement inquiétant et illégal au regard des obligations européennes en termes d’émissions nettes, c’est-à-dire après absorption par les puits de carbone", explique l’ONG. La deuxième cible, à savoir une réduction de 55% des émissions nettes d’ici à 2030 (avec les puits de carbone) en cohérence avec le paquet "Fit for 55" n’est d’ailleurs pas inscrite au sein du Pnec (pas plus que dans la stratégie nationale bas-carbone révisée en cours d’élaboration-SNBC 3).

"La France acte dans ses objectifs l’effondrement des puits de carbone : sur le budget carbone 2024-2028, la quantité de CO2 absorbée par nos puits de carbone naturels passe d’un objectif de -42 [initialement prévu par la SNBC 2] à -8 MtCO2éq [SNBC 3 provisoire], contre -31MtCO2éq minimum exigé par l’Union européenne. La France prévoit donc en réalité une augmentation de ses émissions de CO2 (nettes) sur cette période", détaille Notre affaire à tous. 

Le Pnec indique la valeur provisoire, obtenue pour 2030 sur la base de projections, d’un niveau équivalent à la valeur de 2022, soit environ -18 Mt CO2e (contre -44 Mt CO2e comme prévu initialement par la SNBC-2). L’ambition étant d’atteindre la cible de -31 Mt CO2éq à l’échéance, le PNEC note cet écart et souligne de fortes incertitudes sur ces projections, tenant compte de "l’évolution défavorable des paramètres essentiels de la forêt française que sont la mortalité et l’accroissement biologique", dégradé par le réchauffement. Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) s’en inquiétait dans son dernier rapport annuel (voir notre article du 30 septembre 2024) : "le second budget carbone (2019-2023) de la France ne sera vraisemblablement pas respecté du fait de l'effondrement du puits de carbone forestier", illustrait-il. 

Une concertation après coup 

Le Pnec se fonde sur les travaux de concertation et de construction de la prochaine stratégie française énergie-climat (SFEC) qui inclut la mise à jour des deux principaux documents de planification : la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la SNBC. Attendus depuis des mois, ces textes - pas encore finalisés - viennent tout juste d’entamer leur processus de concertation préalable publique pour une durée de six semaines, avant leur adoption définitive par décret (voir notre article du 4 novembre 2024). Un décalage difficilement compréhensible. "Certains des éléments soumis à cette consultation en cours figurent déjà comme des engagements dans le PNEC", relève Notre affaire à tous, estimant que "cette méthode jette un sérieux doute sur la prise en compte sincère des recommandations et avis des citoyens et des parties prenantes consultés actuellement". Et ce d’autant que le gouvernement a renoncé à légiférer sur les objectifs énergétiques. 

Un manque de transparence démocratique pointé par plusieurs autres ONG, comme le Réseau action climat (RAC) et France nature environnement (FNE), en réaction au lancement de la concertation conjointe PPE/SNBC. "Dans ces conditions, quelle légitimité peuvent avoir la SNBC et la PPE ? Quel poids juridique auront ces textes ? Les décisions cruciales pour l’avenir énergétique du pays peuvent-elles reposer sur des bases aussi fragiles ?", s’interroge également Greenpeace France, qui "doute sérieusement de l’impact réel" de cette concertation "pour la forme". 

Mauvais signal des coupes budgétaires

"Le fait que nombre de mesures mises en avant dans le Pnec font l’objet d’abandon, de retard ou de recul ces derniers mois montre un manque de sincérité du plan et questionne sur la capacité de la France à atteindre ces objectifs", argumente aussi l’ONG Notre affaire à tous. Les secteurs des transports et des bâtiments font partie des plus impactés en termes de moyens financiers, note-t-elle, relevant entre autres "les coupes budgétaires à Ma Prime Rénov’ ou au plan Vélo". Une politique de "stop and go" également critiquée par le RAC et Greenpeace, et également illustrée par les coups de rabot ciblant le fonds vert ou le fonds chaleur de l’Ademe dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. 

L’association Notre affaire à tous cible en outre "le caractère injuste" des modalités de la transition prévue par les décideurs français, "qui compromet fortement sa réalisation et son acceptabilité". Et en particulier s'agissant de s'atteler au fléau de la précarité énergétique des ménages. "Le Pnec présente un objectif de diminuer les personnes en situation de précarité énergétique de 0,5% par rapport à 2022, passant de 11,6% de personnes à 11,1% en 2030, alors même que ces ménages vont être de plus en plus exposés aux aléas climatiques et énergétiques", développe le communiqué.  

Sous-investissement dans les énergies renouvelables

"Concernant les objectifs de développement des énergies renouvelables, de nombreux projets ne sont pas encore lancés, alors que la France s’engage à atteindre 45% d’EnR dans sa consommation finale d’énergie en 2030", épingle par ailleurs Notre affaire à tous. Le gouvernement assume le choix de "s’appuyer sur deux jambes" pour produire davantage d’énergie décarbonée en soutenant un programme de construction d'EPR 2 et de redressement de la disponibilité du parc nucléaire existant. 

"Le développement de l’éolien et du solaire est très insuffisant, le nucléaire reste omniprésent dans la stratégie énergétique, malgré la lenteur, le coût et la vulnérabilité de cette technologie, et le rythme des rénovations performantes des logements reste désespérément lent", regrette Greenpeace. "En matière d’énergie, le gouvernement reste jusqu’à présent timoré sur le développement des énergies renouvelables, seules à même d’arriver en production avant 2035, et en particulier sur l’éolien terrestre", s’accorde le communiqué de RAC.  "Alors que l’on sait que les éventuels nouveaux réacteurs nucléaires (EPR2) voulus par le gouvernement n’arriveraient en service qu’après 2040, s’ils fonctionnent un jour, les efforts sur les énergies renouvelables proposés dans le projet de PPE sont loin de s’aligner sur les objectifs posés par l’Union européenne", appuie à son tour FNE.