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Loi Macron : une concurrence exacerbée pour des résultats à démontrer

Le recul est encore "insuffisant" pour mesurer l’impact réel de la loi Macron sur l’économie. C’est la conclusion un peu décevante de la mission d’information, dix-huit mois après la promulgation de cette loi emblématique du quinquennat. Dans le secteur du transport par autocar, les opérateurs se livrent une guerre des prix sans merci et ne dégagent toujours pas de bénéfices. Quant aux régions, là où elles ont leur mot à dire, elles obtiennent très rarement gain de cause.

A quelques semaines de la présidentielle, le bras droit (ou gauche) d’Emmanuel Macron, a présenté le rapport de la mission d’information sur l’application de la loi… Macron. Le président-rapporteur de cette mission, le député socialiste du Finistère Richard Ferrand, n’est autre, en effet,  que le secrétaire général du mouvement En Marche ! Situation d’autant plus curieuse que cette mission de contrôle était censée inaugurer de nouvelles relations entre l’exécutif et le législatif. Elle poursuivait ainsi un double objectif : s’assurer de la bonne mise en œuvre des dispositions de la loi, mais aussi contrôler que le contenu des décrets d’application était bien conforme à la volonté du législateur.
Dans ce volumineux rapport de plus de 200 pages, les membres de la mission disent avoir "le sentiment d’avoir été les précurseurs d’un renforcement concret de la place du législateur dans la confection et la mise en œuvre de la loi". D’un "strict point de vue temporel", la mission constate que le calendrier a été respecté. Le taux de mise en œuvre est de plus de 97%, il était de 80% lors d’un précédent rapport d’étape de mars 2016. "Seules cinq dispositions réglementaires n’ont pas encore été prises", a indiqué Richard Ferrand, lors de la présentation du rapport. La mission a obtenu que les projets de décrets et d’ordonnances lui soient transmis au fur et à mesure des arbitrages ministériels et pu faire valoir des inflexions. La mission a également présenté des amendements dans la loi El Khomri du 8 août 2016, notamment sur l’assouplissement des "dimanches du maire" dont la liste pourra désormais être modifiée en cours d’année.
Malgré ce dialogue, des couacs n'ont pu être évités, comme la procédure de tirage de sort des nouveaux offices notariaux et la possibilité des anciens offices de se porter candidats...
Dix-huit mois après la loi adoptée avec l'usage du 49-3, la mission a passé  en revue l’ensemble des dispositions. "Le recul dont nous disposons est insuffisant pour mesurer ses effets", a averti Richard Ferrand, soulignant notamment les retards pris pour l’installation de nouveaux notaires : "Les premiers nouveaux [notaires] ne pourront pas visser leur plaque avant la fin de la législature", a-t-il dit. La procédure de tirage au sort pour la désignation de 1.650 nouveaux offices d’ici à 2018 vient en effet tout juste de débuter après avoir été suspendue par le Conseil d’Etat.

5,3 millions de passagers dans les "cars Macron"

Le bilan reste mitigé pour les fameux "cars Macron", l’une des mesures emblématiques de la loi. "Ce marché a connu un essor immédiat qui se poursuit" se félicite la commission. Et pourtant, si "l’attractivité et le succès commercial des cars Macron sont considérables, (…) aucun opérateur du secteur ne dégage, à ce jour, de bénéfices". S’agissant des lignes de plus de 100 km nouvellement libéralisées, 5,3 millions de passagers les ont empruntées depuis la promulgation de la loi. Ces lignes relient 208 villes de 76 départements. Fin septembre 2016, le secteur représentait 2.050 équivalents temps pleins. Mais les compagnies se livrent à une "guerre des prix" entre elles, qui a déjà engendré un phénomène de concentration, avec le rachat de Starshipper par Ouibus (filiale de la SNCF) et de Megabus par l’allemand Flixbus. Sur les cinq grands opérateurs de départ il n’en reste que trois : Flixbus (54% des liaisons), Ouibus (37%) et Isilines, filiale de Transdev (23%). Transdev a déposé une plainte en décembre contre la SNCF pour abus de position dominante de sa filiale Ouibus. La filiale de la Caisse des Dépôts reproche à la SNCF d’avoir recapitalisé Ouibus pour qu’elle continue d’ouvrir des lignes à perte...
S’agissant des lignes de moins de 100 km, pour lesquelles les autorités organisatrices de transport (AOT) ont leur mot à dire, notamment pour protéger leurs lignes de TER, l’Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières) a enregistré 271 déclarations d’ouvertures de lignes. Les AOT - principalement les régions (ainsi que le syndicat mixte de l’aéroport de Beauvais) - ont déposé 98 saisines, mais seulement 8 déclarations ont été annulées. Autant dire que leur pouvoir est limité. Ainsi, la Nouvelle-Aquitaine a porté les décisions de l’Arafer devant le Conseil d’Etat concernant deux lignes Flixbus mais a été déboutée au motif que ces lignes ne portait "pas une atteinte substantielle à l’équilibre économique" des TER. 

Les gares routières nécessitent des "améliorations considérables"

Le rapport considère que les nouvelles lignes ne constituent pas une menace pour les transports régionaux conventionnés. Seules 40 liaisons routières sont couvertes par deux types d’autocars. Et seulement 160 lignes ferroviaires sur les 45.000 lignes TER sont aussi couvertes par une liaison de bus. Quant à l’Etat, il n’a pour le moment pas bougé le petit doigt, même si le secrétaire d'Etat aux Transports, Alain Vidalies, a constaté, lors de son audition par la mission, que 17 lignes entraient en concurrence avec des trains d’équilibre du territoire (TET).
Autre constat du rapport : 86% des passagers ont emprunté des liaisons déjà couvertes par le TGV. "Il existe donc bien une clientèle significative pour laquelle le facteur prix pèse infiniment plus que le temps de trajet", en déduit la mission.
Concernant les gares routières, le rapport constate que des "améliorations considérables" doivent être apportées.
A noter que l’Ademe devait remettre un rapport sur "l'impact du développement du transport par autocar sur l’environnement, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre", dans l’année suivant la promulgation de la loi. Il n’a toujours pas été rendu.

Travail le dimanche

Autre sujet de vives polémiques : le travail le dimanche et en soirée. La loi a notamment instauré les zones touristiques internationales (ZTI) et fait passer de 5 à 12 le nombre de "dimanches du maire". Saisi d’une question de constitutionnalité par la maire de Paris, Anne Hidalgo, le Conseil constitutionnel a censuré en juin 2016 la disposition de la loi qui confiait au préfet de police la compétence sur les dimanches du maire dans la capitale. Paradoxalement, alors qu’elle s’était vivement opposée à Emmanuel Macron au sujet des ZTI, Anne Hidalgo a fait un large usage de ces dimanches puisque le conseil de Paris a décidé, en novembre 2016, d’utiliser les 12 dimanches possibles, soit le maximum. Le motif était de soutenir les commerces de proximité confrontés à la concurrence de grandes enseignes situées en ZTI. Ce qui montre bien l’effet d’entraînement de l’ouverture le dimanche sur l’ensemble du commerce. Difficile de résister.
L’observatoire du commerce dans les ZTI a bien été installé par un arrêté du 20 juin 2016. Selon ses premières données, 15% des commerces de ZTI ouvrent le dimanche et 2,5% le soir. Ce qui représente 1.500 commerces, essentiellement de moins de onze salariés.
Le rapport reprend les emplois créés par les grandes enseignes. Ainsi, le BHV Marais qui ouvre tous les dimanches depuis le mois de juillet 2016 annonce la création de 150 postes. Les Galeries Lafayette ont créé 330 emplois et en prévoient 500 sous forme de "contrats de fin de semaine" en CDI, soit des contrats de trois jours à 25 heures payées 32. La Fnac a signé son accord le 26 janvier 2017. Ces accords ont fait l’objet de vives négociations et sont assortis de larges compensations pour les salariés : majoration de 100% au BHV ou au Bon Marché.
Au BHV, le bilan est jugé "extrêmement positif", avec une augmentation de 10% du chiffre d’affaires. "Le dimanche est le deuxième meilleur jour de vente derrière le samedi", a salué Stéphane Travert (PS, Manche), autre soutien d’Emmanuel Macron. "Les compensations qui vont largement au-delà des planchers", s’est pour sa part félicité Richard Ferrand, appelant à "faire confiance aux partenaires sociaux".
Seulement, le rapport ne fournit aucune donnée sur l'impact de ces ouvertures sur le reste du tissu commercial. La députée Bernadette Laclais, par ailleurs président de l’association Centre-ville en mouvement, a souligné le phénomène de concurrence entre les villes centres et la périphérie. "Il y a des forces en présence qui font que la ville centre ne peut pas toujours faire valoir son point de vue", a-t-elle dit, appelant à "une harmonisation".