Habitat - Logements vacants : un phénomène qui s'accroît selon l'Insee et qui "pourrit le secteur" pour Julien Denormandie
La France compte 2,8 millions de logements vacants, soit 8% du parc, selon la dernière enquête logement de l'Insee. Le phénomène touche particulièrement les villes-centres des grands pôles urbains (avec un taux de 9,5%), tandis que les banlieues et les couronnes périurbaines affichent un taux plus faible. Un phénomène qui "pourrit le secteur", a commenté Julien Denormandie.
L'Insee publie les résultats détaillés du volet logement du dernier recensement. La diffusion de ces chiffres nationaux s'accompagne de la publication d'études régionales sur les chiffres du logement dans l'ensemble des territoires, en métropole et en outre-mer. Les résultats révélés par l'Insee soulèvent inévitablement un certain nombre de questions sur les politiques du logement.
Un parc de logements qui croît deux fois plus vite que la population
Ils montrent ainsi qu'entre 2010 (précédent recensement) et 2015 (année couverte par le dernier recensement), le parc de logements a progressé au rythme moyen de 1,1% par an, soit deux fois plus vite que la population. Même si l'objectif maintes fois réitéré des 500.000 logements par an n'a jamais été atteint, la production a été soutenue, avec une moyenne de 374.000 logements chaque année (contre 290.000 par an entre 1990 et 1999 et 364.000 entre 1999 et 2010). Ces chiffres portent le parc à un total de 35,2 millions de logements au 1er janvier 2015 (hors Mayotte).
Avec cette progression du parc deux fois supérieure à celle de la population, on pourrait penser que la question du "choc de l'offre" est un faux débat. Ce serait oublier que le besoin en logement est impacté par d'autres phénomènes que la seule croissance de la population (décohabitation, séparation des couples, taille des familles, vieillissement...). Entre 2010 et 2015, l'Insee estime que seuls "37% de l'augmentation du nombre de logements s'explique uniquement par le dynamisme démographique".
Ce facteur démographique reste néanmoins un facteur clé de progression du nombre de logements, même s'il ralentit. Pour la première fois en 25 ans, il dépasse même la contribution due au recul de la taille moyenne des ménages (nombre de personnes partageant un même logement). La baisse tendancielle de la taille des ménages s'est en effet atténuée au tournant des années 2010. En 2015, on dénombre ainsi 2,23 personnes par logement, contre 2,27 en 2010 et 2,59 en 1990.
Typologie des territoires et résidences secondaires
L'impact de la démographie varie aussi en fonction des typologies de territoire : il contribue à la moitié de la croissance du parc dans les banlieues et les couronnes des grands centres urbains (notamment sous l'effet de l'installation des "familles jeunes"), alors que sa contribution n'explique que 18% de la croissance du parc dans les villes-centres des grands pôles (l'augmentation du parc de résidences principales étant alors presque entièrement imputable à la réduction de la taille des ménages). Dans les communes rurales isolées, la baisse de population due au déficit migratoire induit même une baisse de près de 1.800 résidences principales chaque année.
L'Insee met aussi en évidence le rôle croissant joué par la progression du nombre de résidences secondaires ou occasionnelles. Celles-ci progressent de 1,3% par an entre 2010 et 2015 et représentent désormais 3,3 millions de résidences, soit 9,5% des logements en 2015. Elles contribuent aujourd'hui à 11% de la croissance annuelle du parc sur la période (41.600 unités par an), contre seulement 4% sur la période 1990-1999 (10.200 unités annuelles).
La France produit... des logements vacants
Mais l'enseignement principal de l'étude est ailleurs : l'Insee montre en effet, en simplifiant un peu, que la France produit surtout... des logements vacants. Depuis 2010, la vacance de logement progresse en effet au rythme de 3,4% par an, soit sept fois plus vite que la population et trois fois plus vite que la construction de logements... Une progression qui est également 2,5 fois plus rapide qu'entre 1999 et 2010 et 6 fois plus forte qu'entre 1990 et 1999 !
Conséquence : en 2015, la France compte 2,8 millions de logements vacants, soit 8% du parc. Une part qui, après avoir connu une baisse continue au cours des décennies 1980 et 1990 (7,6% en 1982 et 7,2% en 1990), ne cesse de progresser depuis la fin des années 1990 (6,9% en 1999 et 7,2% en 2010). Le nombre de logements vacants augmente aujourd'hui de 86.900 unités chaque année.
Tous les territoires sont concernés par ce phénomène. Le taux de vacance le plus élevé s'observe dans les villes-centres des grands pôles urbains (avec un taux de 9,5%), mais il progresse moins vite qu'ailleurs. A l'inverse, les couronnes et les banlieues des grands centres urbains affichent un taux plus faible, mais qui progresse plus rapidement. Pour l'Insee, il peut s'agir des conséquences d'une perte d'attractivité d'une partie du parc, accélérée par une augmentation des constructions neuves dans ces zones périurbaines. Enfin, dans les zones littorales ou de montagne, le développement des résidences secondaires permet de limiter l'abandon du parc résidentiel.
Des territoires inégaux devant la vacance
En termes géographiques, certaines régions, comme la Bourgogne-Franche-Comté ou le Centre-Val de Loire, affichent un taux de vacance de 10% du parc, et même de 15% en Martinique et en Guadeloupe. Au niveau infrarégional, le taux de vacance des logements est moins important dans les aires urbaines les plus peuplées, ainsi que dans celles situées sur les espaces les plus attractifs de la métropole (littoral atlantique, est de la région Auvergne-Rhône-Alpes et Corse). De même, et de façon logique, le taux de vacance est plus faible dans les aires urbaines connaissant une situation tendue en matière de logements, sauf dans des villes comme Draguignan (10,1% de logements vacants), Nice (8,7%) ou encore Beauvais (8,4%).
En métropole, le taux de vacance est supérieur à la moyenne nationale dans les aires urbaines éloignées des métropoles régionales, "notamment celles des départements qui bénéficient d'un moindre dynamisme démographique ou qui ont un déficit migratoire", comme les départements du Centre, du Massif central ou du Grand Est, où le taux de vacance dans les aires urbaines dépasse 9%. Les taux maximum sont atteints dans les aires urbaines de Vichy (14,4%), Montluçon (14,2%), Lunéville (13,3%), Issoire (13,1%) et Nevers (13%).
Des explications variées et incertaines pour expliquer le phénomène
En termes de progression, le nombre de logements vacants progresse plus rapidement, sur la période 2010-2015 dans les aires urbaines de la moitié nord du territoire, en particulier celles de Normandie, du Centre-Val de Loire et des Hauts-de-France, ce qui témoigne peut-être des effets du tropisme du Sud et du littoral.
De façon plus générale, l'Insee avance divers facteurs pour expliquer la croissance de la vacance des logements : "Ceci peut témoigner de la perte d'attractivité d'une partie du parc, accélérée par une augmentation des constructions neuves. Dans les moyens et petits pôles, ainsi que dans les communes isolées hors influence urbaine, le rythme de progression de la vacance est similaire à la moyenne nationale. Ces territoires, qui restent à l'écart de la croissance démographique, cumulent vieillissement de la population et difficultés économiques. La vacance est alors le signe de l'obsolescence d'une part grandissante de leur parc de logements."
Julien Denormandie : "Le taux de vacance est terrible"
Quelles que soient les explications, la forte croissance de la vacance de logements pose des questions sur les politiques du logement menées par les gouvernements successifs et sur le "choc de l'offre" prôné par le gouvernement actuel.
Intervenant devant la Fnaim (Fédération nationale des agents immobiliers) le 27 juin - au lendemain de la publication des chiffres de l'Insee -, Julien Denormandie a déclaré : "Le taux de vacances est terrible, c'est un élément qui pourrit le secteur du logement aujourd'hui." Dans une étude publiée au début de l'année, la Fnaim avait elle-même alerté sur la progression du phénomène de la vacance (voir notre article ci-dessous du 12 janvier 2018).
Le secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires ne limite d'ailleurs pas sa remarque au seul cas des logements, mais l'étend à l'immobilier d'entreprise, expliquant que "c'est un phénomène qui est vrai dans les logements, mais également dans les bureaux, ce pour quoi nous prenons des mesures très fortes dans la loi Elan pour transformer les bureaux en logements" (voir notre encadré ci-dessous).
Julien Denormandie replace aussi la question de la vacance dans un ensemble plus vaste, en considérant qu'"aujourd'hui, nous avons un très grave problème de logement". Plus précisément, "nous avons, aujourd'hui, le même nombre de permis de construire que dans les années 80, alors que la population a largement augmenté". Le signe que le gouvernement entend bien maintenir sa politique du choc de l'offre...
TRANSFORMATION DE BUREAUX VIDES EN LOGEMENTS EN ÎLE-DE-FRANCE : QUEL EST LE POTENTIEL ?
"Transformer les bureaux vacants en logements : quel gisement en Île-de-France ?" Deux urbanistes répondent à la question dans une récente note de l'IAU-IDF (institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France). Et la réponse est bien moins enthousiasmante que l'exposé des motifs de l'article 9 du projet de loi Elan actuellement en seconde lecture au Sénat.
"L’essentiel du parc (de bureaux) structurellement vacant se situe au-delà des marchés résidentiels les plus tendus, là où les opérations demeureront déficitaires sans mobilisation locale des acteurs publics et politiques", concluent en effet les deux urbanistes auteurs de la note. Ce gisement serait en première et deuxième couronne, là où les prix immobiliers résidentiels sont assez bas, "ce qui rend l’équilibre économique des opérations plus difficile à atteindre". Outre l'aspect financier, la conversion de ces bureaux en logements soulèverait des enjeux urbains. "La mono-fonctionnalité des quartiers, l'absence de services, la mauvaise desserte en transports en commun ou bien encore la vétusté des espaces publics expliquent la désaffection pour l'offre de bureaux proposée. Les attentes des entreprises ne sont-elles finalement identiques à celles qui guident les choix résidentiels des ménages ?" interrogent les auteurs de la note.
Dès lors, dans ces territoires, deux options se dessinent. La première serait d'"envisager des conversions vers des produits spécifiques dédiés à des publics captifs (hébergement d'urgence, résidences étudiantes, médicalisées...)". La seconde appellerait de véritables projets urbains. Et là, on change totalement d'échelle.