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Habitat - Logement : la Cour des comptes s'invite dans le débat et étrille les aides fiscales aux organismes HLM

La Cour des comptes a publié lundi 18 septembre un référé daté du 1er juin sur les dépenses fiscales en faveur du logement social. Elle formule trois recommandations : supprimer les mesures d'exonération d'impôt sur les sociétés (IS) pour le logement social, remplacer l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) par des "subventions ciblées" et simplifier les dispositions relatives au taux réduit de TVA. Gérald Darmanin voudrait aller encore plus loin, tandis que Jacques Mézard se présente en défenseur du modèle actuel. Véritable divergence de vue ou répartition étudiée des rôles ? Réponse peut-être demain, mercredi 20 septembre, avec la présentation à la presse de "la stratégie logement du gouvernement".

A quelques jours de l'annonce du plan Logement du gouvernement et de la tenue du congrès de l'Union sociale pour l'habitat (USH), la Cour des comptes ne pouvait pas laisser passer l'occasion. Dans un référé de quatre pages adressé au ministre de la Cohésion des territoires et au ministre de l'Action et des Comptes publics - daté du 1er juin, mais publié le 18 septembre -, la Cour passe en revue un aspect particulier du dispositif : celui des dépenses fiscales en faveur du logement social. S'appuyant sur une enquête menée sur les exercices 2011 à 2015, le référé se penche sur quatre aides de nature fiscale, représentant une dépense totale de 3,7 milliards d'euros en 2015 : l'exonération de l'impôt sur les sociétés (IS) pour les organismes de logement social (1,0 milliard d'euros), l'exonération de taxe fiscale sur les propriétés bâties (TFPB / 0,7 milliard, dont près de 95% à la charge des collectivités et des établissements publics locaux) et le taux réduit de TVA dans le secteur du logement social (0,2 milliard) et sur les autres opérations (1,8 milliard). C'est peu dire que ces mesures ne trouvent pas vraiment grâce aux yeux de la Cour des comptes.
Ses conclusions tiennent en trois recommandations explosives : supprimer les mesures d'exonération d'IS pour le logement social, remplacer l'exonération de la TFPB par des "subventions ciblées tenant compte de la situation des territoires et des organismes concernés" et simplifier les dispositions relatives au taux réduit de TVA.

IS et TFPB : des mesures "mal ciblées" et "peu efficaces"

L'exonération de l'impôt sur les sociétés et de la taxe foncière sur les propriétés bâties apparaissent à la Cour comme "des mesures mal ciblées" et "peu efficaces au regard de l'objectif [...] d'une différenciation des aides aux bailleurs sociaux en fonction de la localisation des besoins et du caractère social des catégories de logements".
Elle fait la démonstration que l'exonération de l'IS procure un avantage d'autant plus grand que l'organisme de logement social affiche des résultats élevés, ce qui favoriserait ceux qui investissent peu - le retour des "dodus dormants" ! - ou accueillent des ménages plus aisés que la moyenne (et donc avec un faible risque d'impayés).
La dépense fiscale liée à l'exonération de l'IS apparaît ainsi "sans relation avec l'effort effectivement accompli en faveur du logement social". Autre biais de ce dispositif : les entreprises sociales de l'habitat (ESH) présentant un résultat net par logement géré supérieur de 45% à 75% (selon les années) à celui des offices publics de l'habitat (OPH), l'exonération d'IS bénéficie surtout aux premières.

L'exonération de TFPB pénalise les collectivités "vertueuses"

Aux yeux de la Cour, l'exonération de TFPB présente une distorsion encore plus marquée : pour une collectivité, la perte de recettes fiscales est en effet d'autant plus forte qu'elle compte un nombre élevé de logements sociaux sur son territoire et, parmi ceux-ci, davantage de logements récemment construits ou rénovés. S'appuyant sur l'analyse des 113 villes de métropole de plus de 50.000 habitants, le référé constate que la perte de recettes fiscales passe de 1% à 5% quand la part des logements sociaux passe de 15% à 35%... En outre, le montant de l'exonération par logement social varie selon le taux local de la TFPB, sans qu'il existe forcément un lien avec les besoins de financement de nouvelles opérations de logement social sur le territoire concerné.
Dernier reproche : l'exonération de TFPB, qui visait à l'origine le renforcement du haut de bilan des organismes HLM, a perdu sa vocation initiale dès lors que "le niveau actuel de leurs résultats et de leurs réserves leur permettrait désormais d'intégrer une diminution d'un milliard d'euros de leur avantages fiscaux".

Taux réduit de TVA : Kafka dans la cage d'escalier

Le référé est un peu moins critique sur l'application d'un taux réduit de TVA, mais juge néanmoins urgent de simplifier cette mesure. La remarque vise notamment la complexité du dispositif, en particulier pour les opérations autres que l'acquisition de terrains à bâtir. La Cour, qui s'est lancée dans une analyse textuelle, constate en effet que "l'extension progressive de cette mesure s'est traduite par une multiplication par plus de douze, entre 1991 et 2016, de la longueur du texte des dispositions législatives applicables, et par son quadruplement depuis le début de 2006, au rythme moyen d'une modification par année" Résultat : pas moins de 70 cas possibles d'application de ce régime de taux réduit, dont 48 pour les opérations dites de livraison à soi-même de travaux... Cela sans même tenir compte de la combinaison avec une vingtaine d'autres catégories de travaux. A cette complexité de la règle s'ajoute la complexité de sa mise en œuvre, un redevable devant, pour chaque opération en cas de livraison à soi-même, créer un secteur d'activité fiscal distinct.

Le ministre de l'Action et des Comptes publics entend aller plus loin que la Cour

Dans son référé daté du 1er juin, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, laissait deux mois aux ministres concernés pour faire connaître les suites données à ces recommandations. Dans sa réponse datée du 31 août, le ministre de l'Action et des Comptes publics, se montre très enclin à "s'interroger sur la pérennité des exemptions fiscales dont bénéficie le secteur". Cette "interrogation" s'applique à l'exonération de l'IS en particulier, au vu "d'une part de l'absence de ciblage de cette mesure d'aide et d'autre part des réserves et de la trésorerie accumulées par les organismes HLM".
Concernant la recommandation de la Cour de remplacer le régime d'exonération de la TFPB par des subventions "ciblées", Gérald Darmanin est plus que jamais partant pour "s'interroger sur les pérennités des exemptions fiscales". Il émet toutefois "des réserves" quant à la mise en place d'un nouveau dispositif de subventions "alors qu'existent déjà des dispositifs de subvention au logement locatif social sur le budget de l'Etat et au niveau des collectivités territoriales". En clair : oui à la suppression de l'exonération de la TFPB, mais sans aucune compensation.
Quant à la troisième recommandation de la Cour, de simplifier les dispositions relatives au taux réduit de TVA, le ministre de l'Action et des Comptes publics envisage une simplification sur trois axes : un recentrage des dispositifs PSLA/QPV/Anru/opérations réalisées dans le cadre d'un bail réel solidaire ; un alignement des taux de TVA sur ceux du droit commun (comme avant 2014) ; la suppression pour tous (logement social et logement libre) du taux réduit de 5,5% applicable aux travaux d'amélioration de la qualité énergétique.

Le ministre de la Cohésion sociale se positionne en défenseur du modèle actuel

Dans sa réponse datée du 7 septembre, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, en charge du logement, explique pourquoi il n'est pas favorable à la suppression de l'exonération de l'IS. D'abord, il conteste l'idée que l'exonération d'IS est "mal ciblée". Au contraire, selon lui le dispositif "permet un remboursement plus rapide des dettes et une reconstitution plus rapide des fonds propres" pour les organismes qui construisent, rénovent et parfois démolissent (bref, le contraire des "dodus dormants"). De plus, "le cas particulier, et exceptionnel, des organismes dégageant des revenus mais ne les utilisant pas, n'est pas lié au niveau de leurs résultats, mais à leur utilisation". Le ministre rappelle également que "la seule croissance du patrimoine n'est pas suffisante pour évaluer le besoin en fonds propres de l'organisme" et que "d'autres éléments très lourds de conséquences ne sont pas pris en compte tels que le remboursement de la dette à long terme, la réhabilitation, voire les démolitions".
Jacques Mézard n'est pas plus favorable à la transformation du régime d'exonération de la TFPB en subventions "compte-tenu des contraintes budgétaires de l'Etat et la nécessité de donner des garanties aux opérateurs sur le niveau de financement alloué au secteur HLM". On comprend qu'il n'est pas pour la suppression pure et simple du dispositif qui, selon lui, "joue un rôle déterminant dans l'équilibre financier des opérations de construction de logement social (...) notamment pour les programmes comportant des loyers très aidés".
Moins prolixe sur la recommandation de la Cour invitant à simplifier les dispositions relatives au taux réduit de TVA, Jacques Mézard n'y est pas opposé.