L’Occitanie veut prendre les commandes de l'avion vert
Alors qu’Emmanuel Macron veut avancer de cinq ans la mise en service de l’avion "sans carbone", la région Occitanie et le pôle Aerospace Valley sont déjà dans la course. Leur objectif : miser sur l’aviation légère (jusqu'à 19 places) pour des retombées plus rapides et des débouchés à court terme dans les transports régionaux.
Région aéronautique durement frappée par la crise, l’Occitanie veut rebondir à travers l’aviation verte (émettant peu ou pas du tout de CO2). Elle compte même se positionner comme "la région leader en Europe sur l'aviation légère décarbonée". Son ambition se veut complémentaire de la feuille de route fixée au plan national à travers le Corac (Conseil pour la recherche aéronautique civile) qui regroupe les acteurs du secteur - et au niveau européen. Mais, alors que les grandes compagnies viennent de prendre la promesse d’atteindre la "neutralité carbone" à horizon 2050, Emmanuel Macron a pris tout le monde de cours, mardi 12 octobre, lors de la présentation de son plan d’investissement France 2030 en souhaitant avancer de cinq ans l’agenda français sur "l’avion sans carbone" (lire notre article). "Les experts me disent 2035 mais comme les experts disaient, il y a huit ans, 'on ne verra jamais de petits lanceurs" et, il y a un an, 'vous n'aurez pas de vaccin', je me dis que je suis beaucoup trop pessimiste à dire 2030", a-t-il avancé. Tout dépend de ce qu’il appelle l’avion sans carbone. Car pour les industriels, espérer faire voler des ATR, voire même des A320, à l’électricité à si brève échéance est une gageure. La région Occitanie, elle, cible plus particulièrement l’aviation légère où les retombées seront beaucoup plus rapides. Mais où elles pourront servir de démonstrateurs pour les futurs vols commerciaux. Dans son plan de 100 millions d’euros de soutien à la filière aéronautique et spatiale lancé en juillet 2020 (lire notre article), elle a prévu une enveloppe de 10 millions d’euros pour le développement de solutions nouvelles : des "briques technologiques" qui pourront être assemblées pour accélérer l’émergence de petits avions électriques ou hybrides (combinant batterie électrique et moteur thermique). Il s’agit "d’agglomérer le savoir-faire", explique Jalil Benabdillah, le vice-président de la région chargé de l’économie. "L’avion vert se fera par la somme de toutes les briques."
Appel à manifestation d'intérêt
Or ces changements nécessitent des investissements très lourds pour les entreprises. Pour les accompagner, la région travaille avec le pôle de compétitivité Aerospace Valley qui, en novembre dernier, a créé le Maele (Mobilité aérienne légère et environnementalement responsable), une communauté rassemblant les acteurs d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine spécialisés dans l’aviation légère et décarbonée. En début d’année, la région et le pôle ont ainsi lancé un AMI (appel à manifestation d'intérêt) pour le développement de ces démonstrateurs technologiques. A l’issue de deux premières vagues, 13 projets ont été sélectionnés pour un budget total de 11,5 millions d’euros. Les lauréats bénéficient d’un accompagnement du pôle de compétitivité en partenariat avec l'agence régionale AD'OCC. Train d’atterrissage tout électrique, drone électrique de longue durée propulsé à l’hydrogène, tests de piles à combustible en conditions sévères, ULM vert… L’éventail des innovations est large. Après cette moisson abondante, une troisième vague vient d’être lancée. "On a constaté un vrai enthousiasme de l’écosystème, des PME/PMI aux grands groupes, en passant par les instituts de recherche, les écoles (…) Le terreau est fertile, c’est vraiment la bonne surprise", se félicite Jalil Benabdillah. Plusieurs projets collaboratifs s’attèlent à des projets encore non traités ailleurs, comme des hélices silencieuses pour des aéronefs légers électriques, des piles à combustibles de plusieurs dizaines de kW…
"Un gap technologique très important"
A l’échelle mondiale, la concurrence fait rage. La Slovénie a déjà mis sur le marché un petit avion entièrement électrique, le Vélis, de l’avionneur Pipistrel, certifié par l’Agence européenne de sécurité aérienne en 2020. Une petite compagnie bretonne en a déjà commandé une cinquantaine d’exemplaires. Mais il s’agit de petits avions de tourisme de faible autonomie (environ 45 minutes) destinés aux aéroclubs. En Occitanie, on mise plutôt sur des avions de 19 places adaptés aux vols interrégionaux. "Si on veut aller plus loin avec des avions plus gros, embarquer une batterie n’est pas réaliste, il faut donc travailler sur d’autres solutions, l’aviation hybride offre une autonomie plus grande", souligne Philippe Walter, en charge de l'aviation au sein du pôle Aerospace Valley. Plusieurs sociétés françaises sont dans la course. Parmi elles, VoltAero à Rochefort ou la jeune pousse toulousaine Aura Aero, qui prévoit de mettre sur le marché un aéronef hybride équipé d’un turbogénérateur de 19 places dès 2026.
Entre l'électrique et l'hybride, une troisième voie semble promise à un bel avenir : la pile à combustible (utilisant l’hydrogène). Une piste suivie notamment par Blue Spirit Aero au Pays basque, Beyond Aero à Toulouse ou Avions Mauboussin à Belfort… Si la solution hydrogène est prometteuse, le "gap technologique est très important, que ce soit pour la combustion, le stockage*", explique Jalil Benabdillah. "Ce sont autant de problèmes de sécurité à résoudre. Avant d’arriver à la certification, il y a toute une série d’étapes préliminaires."
"Un maillage exceptionnel d'aérodromes"
"Nous sommes en avance de phase, on a pris le taureau par les cornes", se réjouit l’élu au regard de toutes ces initiatives. Certes la suppression à compter de la fin mars 2022 des vols intérieurs courts quand il existe une alternative en train (de moins de 2h30), telle qu’inscrite dans la loi Climat et Résilience, restreint un marché en devenir. Mais il se veut confiant. "Je ne pense pas que cela pose de difficultés. On doit pouvoir développer des solutions de mobilités variées. Le premier camion à hydrogène est en train d’être testé chez nous, à Albi. Je ne crains pas du tout une réduction de part de marché. Quand on perd quelque part, on gagne ailleurs", estime-t-il. Jalil Benabdillah reste catégorique : "On aura toujours besoin de l’avion." D’ailleurs, la Suède et l’Islande ont déjà annoncé la couleur : le kérosène sera proscrit pour les vols intérieurs dès 2030. Ce seront autant de besoins nouveaux pour rejoindre les régions isolées de ces pays nordiques.
Ce que visent surtout les industriels, ce sont les avions de tourisme et les déplacements interrégionaux, en s'appuyant sur les petits aérodromes. "Nous bénéficions d’un maillage exceptionnel d’aérodromes en France avec des pistes très largement sous-utilisées, qui permettraient de voyager point à point, aussi bien pour le transport de passagers que le fret, on aurait quelque chose de vertueux", imagine Philippe Walter. Ce qui nécessite un travail avec les collectivités et les CCI gestionnaires de ces aérodromes, comme c’est déjà le cas à Auch ou Cahors. Selon Philippe Walter, l'autre gros marché de l’avenir, ce sont les aéroclubs qui comptent 250.000 avions - dont la moitié aux Etats-Unis - avec un âge moyen de 40 ans et qu’il va donc falloir renouveler.
La région ne compte pas en rester là. En 2024, un technocampus dédié à l’hydrogène devrait ouvrir sur l’ancien aéroport militaire de Francazal, près de Toulouse. Il bénéficiera des crédits du contrat de plan Etat-région. Cette association entre la région et le pôle Aerospace Valley préfigure la phase 5 des pôles de compétitivités attendue pour 2023 : les pôles seront alors entièrement pilotés par les régions. Pour Jalil Benabdillah, "la feuille de route de la région va matcher avec celle du pôle".
* L'hydrogène doit être transporté sous forme liquéfiée dans des réservoirs cryogéniques à -253°C. Il est en outre corrosif.