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Pauvreté - L'Observatoire des inégalités plaide pour un retour au seuil de 50% du revenu médian

Le premier "Rapport sur la pauvreté en France" de l'Observatoire des inégalités offre un état des lieux très complet et permet de balayer certaines idées reçues. Pour l'Observatoire, avoir établir le seuil de pauvreté à 60% du revenu médian conduit à un "mélange de situations sociales très différentes". Si la pauvreté en France reste l'une des moins fortes du monde, "elle ne diminue plus".

L'Observatoire des inégalités publie, avec le Compas (bureau d'études spécialisé dans l'observation sociale des territoires), son premier "Rapport sur la pauvreté en France", appelé à se renouveler régulièrement. Créée en 2003, l'association animée par Louis Maurin s'est rapidement imposée comme l'une des références en matière d'exploitation statistique et d'analyse des phénomènes sociaux. Son rapport sur la pauvreté est donc destiné à suivre le même chemin. Dans sa présentation, l'Observatoire explique que "les personnes les plus pauvres méritent mieux que l'information qui est produite sur le sujet en France". L'objectif affiché est ainsi de "proposer un document de référence sur l'état de la pauvreté, rédigé en toute indépendance afin d'interpeller l'opinion publique la plus large".

Rappeler certaines réalités

Le pari est largement tenu avec cet ouvrage d'une centaine de pages, qui propose un état des lieux très complet de la question, abordée sous différents angles : mesure et évolution de la pauvreté, rôle des minima sociaux, pauvreté non monétaire, profil des personnes pauvres, pauvreté et territoires, déterminants de la pauvreté, trajectoires...
Au-delà de cet aspect holistique et pédagogique, l'ouvrage a également le grand mérite de rappeler certaines réalités qui vont à l'encontre d'idées reçues largement répandues. Chaque fois que possible en effet, le rapport de l'Observatoire revient au seuil de pauvreté à 50% du revenu médian, qui prévalait en France jusqu'en 2008, avant le ralliement au seuil à 60% du revenu médian pratiqué par Eurostat. Le passage d'un seuil à l'autre a fait passer en effet le nombre de personnes pauvres en France de 5 à 9 millions, sans aucun changement dans leur situation réelle.

Des situations sociales très hétérogènes, qui "entretiennent la confusion"

L'Observatoire estime en effet que "le seuil de pauvreté à 60%, qui dépasse les 1.000 euros mensuels pour une personne seule, prend en compte des situations sociales très hétérogènes, qui vont de ce que l'on appelait il y a quelques années le 'quart-monde' jusqu'à des milieux sociaux que l'on peut qualifier de 'très modestes'". Or, "ce mélange de situations sociales très différentes entretient la confusion". Il s'agit là d'une position constante de l'Observatoire des inégalités, rappelée à plusieurs reprises depuis sa création (voir notre article ci-dessous du 2 septembre 2011).
Dans un point de vue publié sur le site de l'Observatoire le 12 septembre 2018 et intitulé "De quoi les pauvres ont-ils besoin ?", Louis Maurin appelait ainsi à en finir avec "le misérabilisme". Pour le directeur de l'organisme, "afficher neuf millions de pauvres - chiffre utilisé par tout le monde en France, c'est le seuil à 60% du niveau de vie médian - ne veut rien dire : on y rassemble des personnes dans la misère et des familles qui vivent avec 2.500 euros par mois avec deux enfants". Dans ce même article, le directeur de l'Observatoire rappelait également que "la France est l'un des pays au monde où le taux de pauvreté est le plus faible et [la pauvreté] la moins durable parce que son modèle social, fondé sur la solidarité, est parmi les plus performants". On pourrait également rappeler - comme l'Observatoire l'a d'ailleurs déjà fait - que la pauvreté a également une dimension géographique et qu'un même taux de pauvreté monétaire ne correspond pas forcément à la même situation selon les territoires.

Un "retournement historique" depuis les années 2000

Cette position ne conduit aucunement à nier la réalité et les enjeux de la pauvreté. Le rapport de l'Observatoire est très clair sur ce point : "La décennie 2000, et plus encore la crise déclenchée en 2008, ont marqué un retournement historique de la tendance : la pauvreté ne diminue plus en France", même si "la France est l'un des pays qui amortissent le moins mal le choc pendant les crises économiques comme celle amorcée en 2008". Après des décennies de baisse, le taux de pauvreté (à 50% de revenu médian) est en effet passé, depuis dix ans, de 7,3% à 8% de la population, soit environ 600.000 personnes pauvres supplémentaires.
Mais, plutôt que d'insister sur des représentations très médiatisées et méthodologiquement discutables comme les "trappes à pauvreté" ou la reproduction mécanique de la pauvreté entre parents et enfants, le rapport préfère s'intéresser à la diversité des trajectoires, même s'il constate que "la progression des inégalités de revenu et d'éducation tend de plus en plus à figer les situations". De même, il insiste sur les "visages très différents" de la pauvreté, "des mères seules aux immigrés, en passant par des jeunes sans qualification ou des personnes âgées".
Si la dégradation est réelle, des signes d'amélioration sont néanmoins apparus ces dernières années. Ainsi, le taux de pauvreté s'est stabilisé entre 2013 et 2016 et le nombre de pauvres a reculé de 100.000 au seuil à 50% et de 200.000 au seuil à 60%. Des résultats qui pourraient encore s'améliorer en 2017 et 2018 sous l'effet du début de reprise économique, même si "l'estimation avancée" très récemment publiée par l'Insee pour l'année 2017 laisse plutôt augurer une stabilisation du taux de pauvreté et des inégalités (voir notre article ci-dessous du 11 octobre 2018).