Assises territoriales de l’Islam en France : à la recherche d’un "interlocuteur unique"
À l’invitation du ministre de l’Intérieur, les préfets ont organisé courant décembre la deuxième édition des "Assises territoriales de l’Islam en France", non sans susciter parfois de vives polémiques. Objectif : faire émerger une instance représentative au niveau départemental afin de faciliter les échanges entre monde musulman et pouvoirs publics. Exemple en Loir-et-Cher, où en dépit de la volonté affichée des associations musulmanes de s’émanciper de l’influences des pays d’origine, une instance unique peine à voir le jour.
"Cela fait quinze ans que l’on échoue à créer un Islam de France", constate amèrement Mohamed M’Barek, l’un des trois représentants d’associations musulmanes conviés par le préfet de Loir-et-Cher, Yves Rousset, à la conférence de presse qu’il a organisée à l’issue des "Assises départementales de l’Islam en France", qui se sont tenues à Blois le 18 décembre dernier. Ces assises territoriales, initialement lancées par le ministre Gérard Collomb via une circulaire du 25 juin 2018, ont été réactivées par le ministre Christophe Castaner l’été dernier. Dans une instruction du 1er juillet 2019, il a invité tous les préfets à renouveler cette opération avant la fin 2019 ; qui s’est donc déroulée ces dernières semaines dans chaque département de France. Parfois non sans susciter la polémique, le dispositif ayant été vécu comme une entorse au principe de laïcité (par exemple à Lyon, où le préfet du Rhône a indiqué que ces assises avaient notamment pour objet "de mieux faire connaître l’Islam dans la société civile, notamment via les médias", déclenchant la réaction de militants laïques opposés à ce "prosélytisme d’État").
Objectif : "faire émerger" – car l’État ne saurait imposer une structuration à l’organisation d’un culte, quel qu’il soit, prend soin de rappeler le préfet – une instance représentative de cette religion au niveau départemental afin de faciliter et de favoriser les échanges avec les pouvoirs publics. Ces derniers restent en effet à la recherche d’un "interlocuteur unique" à contacter "pour résoudre les problèmes". "Beaucoup de personnes parlent au nom de l’Islam", déplore d’ailleurs Chabbi Tahar, représentant les associations musulmanes de l’arrondissement de Vendôme.
Rocher de Sisyphe
La méthode n’est pas nouvelle. Naguère, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait déjà appelé, par circulaire du 18 mars 2015, les préfets à organiser de telles concertations locales. Mais elle peine à délivrer des résultats. Il est vrai que, de l’aveu même des trois représentants musulmans participant à la conférence de presse à Blois, le sujet est "très complexe". En cause, des divergences entre les différentes associations qui continuent de se référer à des communautés nationales et restent souvent très liées à leur pays d’origine.
Pourtant, les trois représentants ont fait part à la fois de leur souhait "d’unir la communauté musulmane" et de leur désir de s’émanciper de ces influences étrangères. "En arrivant en France, nos parents, nos grands-parents se sont naturellement regroupés en fonction de leur pays d’origine. Mais aujourd’hui, nous sommes tous nés en France ou Français. Le mot 'marocain', ça m’irrite", explique ainsi Mohamed M’Barek, président de l’association culturelle des Marocains de l’arrondissement de Romorantin. "Il ne faut plus parler de la Turquie, du Maroc, de l’Algérie… On a fui ces pays-là. On parle de la France", insiste à son tour Chabbi Tahar. Reste que si dans ces deux arrondissements un certain consensus semble possible, la situation est plus compliquée dans celui de Blois… comme dans nombre d’autres départements, ou au niveau national. C’est cette intervention des États étrangers "qui explique l’échec du CFCM", souligne ainsi l’un des représentants. Sur ce point, si la préfecture, reprenant les éléments de langage du ministre Castaner, prend d’ailleurs soin de souligner que l’instance départementale espérée "n’est pas destinée à concurrencer l’organisation mise en place par les fédérations membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), reposant sur 25 conseils régionaux", tout porte à croire le contraire, tant le CFCM, créé en 2003, peine à faire l’unanimité. Ou alors, à son détriment.
Le souhait de rencontres régulières avec les collectivités
Pour ces représentants, ces nouvelles assises n’auront toutefois pas été inutiles. "C’est la première fois qu’on discute ouvertement, sans barrière", se félicite Chabbi Tahar. Des demandes de rencontres régulières avec les collectivités territoriales et les représentants de l’État ont d’ailleurs été exprimées au cours de la réunion. Reste que les sujets abordés lors des débats, égrenés par le préfet, sont sans surprise. En premier lieu, le manque d’imams ; les représentants déplorent que "ceux qui viennent [envoyés par des États étrangers] ne connaissent pas toujours la langue française et ne comprennent pas nos jeunes", voire "peuvent être dangereux". La question de leur formation reste centrale. "Quand nous envoyons des jeunes en Turquie pour étudier la théologie, ils ne reviennent pas", regrette Mehmet Ceylan, représentant de la confédération islamique Millî Görü?. Parmi les autres sujets abordés, la question de la sécurisation des lieux de culte, les abattages rituels, le port du voile par les accompagnants des sorties scolaires ou encore les discriminations, réelles ou supposées. En la matière, Yann Bourseguin, conseiller municipal de Blois, a insisté sur la nécessité de ne pas "confondre questions sociales et questions religieuses", relevant que l’enfant en classe de 3e d’un médecin musulman aura sans doute moins de difficultés à trouver un stage en entreprise que le fils d’un ouvrier catholique ou athée. "Ce n’est pas la religion ou l’origine qui est un frein, mais l’absence de carnet d’adresses."
Hasard ou coïncidence, le même jour, le préfet de Loir-et-Cher signait d’ailleurs avec plusieurs entreprises du cru une convention "La France, une chance. Les entreprises s’engagent" et renouvelait le "Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises", deux dispositifs qui visent à mobiliser les entreprises pour l’emploi et l’inclusion sociale et grâce auxquels près d’une centaine de ces stages découvertes seront proposés dans le département.