L’intérêt pour les collectivités d’accueillir des têtes chercheuses
Lorsqu’on parle de recherche et d’innovation dans les collectivités territoriales, on pense aux régions qui investissent dans la recherche pour que les entreprises de leurs territoires puissent trouver les compétences nécessaires à leur développement. Pourtant, toutes les collectivités ont intérêt à recruter des chercheurs, à l’instar des entreprises. C’est ce que recommande Jean-Luc Delpeuch, haut-fonctionnaire de Bercy et élu local, dans un rapport à paraître et dont il nous dévoile les grandes lignes. Cette relation étroite entre les collectivités et la recherche est abordée au détour des débats sur le projet de loi de programmation pour la recherche qui débutent.
Et si les collectivités se mettaient à recruter des chercheurs et des doctorants comme les entreprises, via les conventions Cifre notamment, ou à solliciter les laboratoires de recherche pour mener leurs propres projets sur leurs territoires dans des domaines aussi variés que la sociologie, le vieillissement de la population, l’exclusion sociale, le changement climatique, l’aménagement du territoire, les transports, la culture, le patrimoine architectural, etc. ? Aujourd’hui, les régions françaises conduisent, auprès de leurs partenaires, une politique de soutien aux universités, aux programmes de recherche et aux investissements scientifiques, d’appui à l’innovation et à la coopération entre les laboratoires et les entreprises mais peu ont pris conscience de ce que pourrait leur apporter l’intégration de chercheurs au sein de leurs équipes. Cette question est au cœur des travaux de Jean-Luc Delpeuch, ingénieur général des mines, haut-fonctionnaire au Conseil général de l’économie et de l’industrie dépendant du ministère de l’Économie, ex-président de la communauté d'universités Hesam qui porte le projet "1.000 doctorants pour les territoires". Lui-même est élu local puisqu’il préside la communauté de communes du Clunisois. Peu avant le confinement général décrété en mars dernier pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, Jean-Luc Delpeuch s’est vu confier par le Conseil général de l’économie et de l’industrie la rédaction d’un rapport sur "la recherche au service de l’innovation sur les territoires".
Ce rapport n’a pas encore été rendu public malgré l’achèvement, le 14 septembre, de l’examen par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale du projet de loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 et dont le débat public débute le 21 septembre. "Dans mon rapport, j’invite les élus et l’État à se demander s’il n’est pas possible de transposer tout ce qui se fait depuis des décennies pour faciliter la recherche des entreprises aux besoins des collectivités territoriales", confie Jean-Luc Delpeuch à Localtis. "Y a-t-il des collectivités territoriales qui ont déjà eu cette intuition et qui font des choses en relation avec des chercheurs ? Y a-t-il aussi des universités qui ont compris que leur partenaire n’était pas seulement l’entreprise mais que les collectivités peuvent être très intéressées par leurs capacités de recherche ou de transfert de technologies ? Nous en avons observé mais en nombre encore limité, notamment dans les intercommunalités de différentes espèces et de toutes tailles, du côté de Lyon, de Bordeaux, de Montpellier, de Paris par exemple, ou des parcs naturels, des agences d’urbanisme public..." Du côté des universités, celle de Grenoble Alpes fait figure d’exemple car elle a compris "avant d’autres" l’intérêt de consacrer de la recherche aux collectivités. C’est aussi une façon de "valoriser les échanges de la connaissance dans les sciences humaines et sociales par exemple qui sont le parent pauvre des conventions Cifre".
Le projet de loi Recherche amendé
Dans un communiqué du 11 septembre, le collectif ESR qui regroupe plusieurs associations d'élus ou de collectivités (ADCF, France urbaine, Fnau, Avuf et Villes de France) exprimait son regret de ne pas lire dans le projet de loi du gouvernement de "disposition explicite" visant à favoriser le rapprochement des territoires et de la recherche malgré "l’ouverture" observée du côté du cabinet de la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. "Le mot ‘territoire’ était en effet assez absent du texte et cela a été corrigé par des amendements adoptés en commission ou qui le seront en séance publique", nous précise le député du Gard Philippe Berta (Modem), qui est rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet LFR.
"On ne peut pas dissocier les collectivités territoriales et le monde de la recherche si l’on veut développer les territoires", déclare l’élu qui est aussi généticien et chercheur. Ancien directeur de recherche à l'Inserm (Montpellier), fondateur de l’École de l’ADN à Nîmes, il a également dirigé, de 2004 à 2007, le centre universitaire de formation et de recherche de la capitale gardoise, et participé à la création de l'université de Nîmes. Dans cette même ville, Philippe Berta a créé une entreprise de biotechnologies. Il est également l’un des fondateurs du pôle de compétitivité de la filière Santé "Eurobiomed". "Il est indispensable de fluidifier les passerelles entre le monde académique et le monde industriel, dit-il. Une ville grande ou petite n’a aucun avenir si elle n’investit pas dans l’économie de la connaissance."