L’hydrogène vert, cette "rock star" qui peine à entrer en scène
Jugeant ses objectifs de production et d’importation d’hydrogène renouvelable, "dictés par une volonté politique", "trop ambitieux" et même "irréalistes", la Cour des comptes européenne invite la Commission européenne à revoir sa copie, "en étroite collaboration avec les États membres", et en tenant notamment compte "des spécificités régionales" ainsi que "du rôle de l’hydrogène bas carbone".
Comme Jimi Hendrix, Jim Morrison ou Kurt Cobain, l’hydrogène vert émergera-t-il bientôt au "club des 27", fauché en plein vol ? Beaucoup voyaient déjà, sous peu, cette "rock star des nouvelles énergies" – comme l’avait baptisée en 2020 Frans Timmermans, alors vice-président de la Commission européenne, lors de la présentation de la "stratégie hydrogène" de cette dernière (voir notre article du 10 juillet 2020) – en haut de l’affiche. Mais elle peine à entrer en scène, comme l’observe un récent rapport spécial de la Cour des comptes européenne, laquelle semble même douter de son succès futur.
Simple retard à l’allumage ?
Citant la Commission, la Cour observe que l’hydrogène, au global, représentait en 2022 moins de 2% de la consommation énergétique européenne, la majeure partie de la demande provenant de raffineries. Plus encore, elle relève que 96% de l’hydrogène utilisé cette année-là avait été "produit à partir de gaz naturel, ce qui a entraîné des volumes élevés d’émissions de CO2" – rejoignant ici l’analyse de l’Académie des technologies (voir notre article du 17 juillet).
Simple retard à l’allumage ? Possible. Plaiderait en ce sens le constat tiré par la Cour que "des retards dans l’adoption des règles relatives à l’hydrogène renouvelable ont freiné le développement du marché", les âpres débats sur sa définition (voir notre article du 14 février 2023) ayant "retardé les décisions" des promoteurs de projets, qui "n’ont pris que peu de décisions d’investissement définitives avant fin 2023". Ou le fait que la Commission serait, toujours selon la Cour, désormais "parvenue en partie à créer les conditions propices à l’émergence du marché de l’hydrogène et à sa chaine de valeur dans l’UE".
De sérieux bémols
"En partie" seulement, puisque la Cour émet par ailleurs de nombreux bémols. En allant crescendo, elle estime ainsi :
- que "des efforts en matière de normalisation et de certification sont encore nécessaires" ; - qu’il convient de réduire les délais d’octroi de permis – constat récurrent –, problème jugé d’ailleurs "plus pressant pour les installations productrices d’électricité renouvelable que pour celles qui produisent de l’hydrogène renouvelable à l’aide d’électricité provenant du réseau dans le cadre d’accords d’achat d’électricité". Au passage, la Cour note que "les États membres actuellement les plus avancés sur le plan de l’hydrogène renouvelable ne disposent pas tous d’un potentiel suffisant pour produire de l’énergie renouvelable et, par suite, de l’hydrogène renouvelable" ;
- que si "certaines règles en matière d’aides d’État ont été modifiées afin de faciliter l’octroi de subventions", d’une part la durée du processus de notification et d’approbation est trop longue, d’autre part l’apport et le volume de l’aide dépendent in fine des États membres, qui ne sont "pas forcément tenus de la verser" ;
- que s’il existe "de multiples sources européennes de financement pour les projets relatifs à l’hydrogène, rien ne garantit qu’elles seront adaptées au développement d’un marché à l’échelle de l’UE" (outre cet "éparpillement", la Cour note que "solliciter un financement de l’UE est perçu comme une procédure complexe"). La Cour déplore ainsi qu’alors que "les besoins en investissement sont énormes", la Commission "ne dispose pas d’une vue d’ensemble complète de ces besoins ni des financements publics disponibles" ;
- ou plus largement que la Commission n’a pas évalué les effets des règles qu’elle a adoptées sur l’expansion du marché.
Objectifs "trop ambitieux", et même "irréalistes"
Autant d’éléments qui conduisent la Cour à douter que l’UE puisse atteindre les objectifs de production et d’importation d’hydrogène renouvelable qu’elle s’est fixés. Et ce, d’autant qu’elle juge par ailleurs ces objectifs "trop ambitieux", et même "irréalistes", pour au moins deux raisons. D’abord parce qu’ils ont été "dictés par une volonté politique", la Commission les ayant arrêtés sans réaliser en amont "des analyses rigoureuses", sans établir "aucune analyse d’impact". Ensuite parce qu’ils n’ont pas été "décomposés en objectifs contraignants pour les États membres". La Cour observe même que ces derniers "n’ont pas tous fixé leurs propres objectifs". Pis, "lorsqu’ils l’ont fait", elle constate que non seulement ces objectifs ne sont "pas nécessairement alignés" sur ceux de la Commission", mais plus encore que "les États membres ont des ambitions divergentes". La Cour dénonce ainsi des "efforts de coordination insuffisants" entre la Commission et ces derniers, mais aussi entre les services de la Commission eux-mêmes.
Refaire la balance pour éviter les fausses notes
En conséquence, la Cour recommande notamment à la Commission, "en étroite collaboration avec les États membres", de mettre à jour sa stratégie "sur la base d’une évaluation minutieuse" de différents éléments et d’actualiser ses objectifs "afin qu’ils soient ambitieux mais réalistes" et ce, en tenant notamment "compte des spécificités régionales et sectorielles ainsi que du rôle de l’hydrogène bas carbone". Une précision qui ne manquera pas de ravir les adeptes du nucléaire (voir notre article du 4 juillet), dont ne fait pas partie Frans Timmermans. À l’inverse, la Cour, pas sur la même longueur d’ondes, ne semble pas partager l’enthousiasme de ce dernier pour l’hydrogène vert, puisqu’elle met en relief son caractère "très énergivore" – qui fait qu’il "est souvent plus rentable d’utiliser l’électricité directement que de la convertir en hydrogène" – et grand consommateur d’eau, son coût de production "pas encore compétitif" ou encore ses besoins en infrastructures, de transport, de distribution et de stockage.