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Budget - L'Europe tiraillée entre l'agriculture et les régions

Le maintien du financement des deux principaux postes de dépenses de l'Union européenne n'est pas garanti après 2013. "L'Europe doit faire un choix", jugent plusieurs chercheurs.

L’Europe devra-t-elle choisir entre la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion ? Alors que les négociations budgétaires doivent officiellement commencer en 2011, les discussions sur les politiques européennes, qui devront être portées par l’Union après 2013, sont déjà engagées.
Or, crise oblige, les chefs d’Etat et de gouvernement ne se privent pas de marteler à qui veut l’entendre que l’augmentation du budget européen n’est pas au programme. La plupart des dirigeants se bornent à demander son maintien au niveau actuel, c'est-à-dire 1% du PIB de l'Union. D'autres Etats, comme le Royaume-Uni, militent carrément pour une baisse de la dotation communautaire.
Parallèlement, la stratégie de la Commission européenne pour 2020 prévoit d’encourager la recherche. Une orientation politique qui rimerait facilement avec une augmentation du budget correspondant... au détriment de l’un des deux principaux postes de dépenses de l’Union. Entre 2007 et 2013, la politique agricole représente 366,6 milliards d’euros, soit 42% du budget communautaire, contre 347 milliards (36%) pour la politique régionale.

Légitimité

"Il est nécessaire que l’Europe fasse un choix. A plus ou moins long terme, elle devra sacrifier soit la PAC, soit la politique de cohésion", explique Stéphane Leclerc, maître de conférence en droit public à l’université de Caen. Pour ce juriste, il ne fait aucun doute que la politique régionale est plus légitime que la PAC. "Les écarts entre le produit intérieur brut des régions européennes peuvent varier de 1 à 30", poursuit-il.
"L’équilibre politique actuel est plutôt favorable à la politique de cohésion. Si le traité de Rome était conclu aujourd’hui, il ne contiendrait aucune disposition sur l’agriculture", estime Stéphane Leclerc. Mais, selon Nicolas-Jean Bréhon, enseignant en finances publiques à l’université Paris I, les Etats européens privilégieront l’une ou l’autre politique en fonction de critères très différents.

Paris, Berlin et Varsovie

Les positions des deux principaux contributeurs au budget de l'Union sera déterminante. La France se battra pour la politique agricole commune. "C’est une certitude depuis la quasi-déclaration de guerre de Nicolas Sarkozy en faveur de la PAC", argue Nicolas-Jean Bréhon, qui soutient que Paris préférera défendre les 10 milliards d’euros annuels reçus par les agriculteurs français au titre de la politique agricole plutôt que les 10 milliards perçus par les régions en sept ans dans le cadre de la politique régionale de l’Union. "Les fonds structurels seront soumis à une très forte pression", résume diplomatiquement Nicolas-Jean Bréhon.
En Allemagne, les régions situées à l’est du pays s’apprêtent à sortir de la catégorie des régions les plus pauvres de l’Union pour rejoindre l’objectif "compétitivité et emploi" de la politique de cohésion. Le pays pourrait donc également privilégier la politique agricole.
Enfin, la Pologne, qui bénéficie largement des deux politiques, "sera pressée par Paris et Berlin de choisir" entre PAC et politique régionale, juge Nicolas-Jean Bréhon. "Sans quoi Varsovie gagnera sur les deux tableaux. Ce qui n’est pas acceptable aux yeux des autres pays européens", poursuit-il.
En tout état de cause, une enveloppe ne sera pas négociable, tranche Nicolas-Jean Bréhon : il s’agit des fonds accordés aux régions européennes les plus pauvres, dans le cadre de l’objectif "convergence". "Cela représente environ 200 milliards d’euros, dont l’affectation ne bougera pas", pronostique Nicolas-Jean Bréhon, qui conclut : "Ce qui signifie que la négociation portera sur les fonds structurels des régions les plus riches et la PAC."

Négociation "pas simple"

Officiellement, les décideurs français se gardent bien de prendre position pour l’une ou l’autre des politiques. Même s’ils reconnaissent volontiers que la discussion sera difficile. "La négociation des perspectives financières après 2013 – intégrant la programmation des crédits pour la politique agricole, la politique de cohésion et les politiques spécifiques prévues par la Stratégie 2020 – ne sera pas une affaire simple", a ainsi admis, fin juin devant des sénateurs, le représentant de la France à Bruxelles, Philippe Etienne.
Auditionné à l’Assemblée nationale, le secrétaire d’Etat français chargé des Affaires européennes, Pierre Lellouche, s’est montré plutôt hostile à l’augmentation des fonds consacrés à la recherche. Ce secteur peut être "plus efficace en choisissant de meilleurs investissements", a-t-il affirmé. En clair, il n’est pas question de donner à ce domaine plus d’importance qu’il n’en a aujourd’hui. Y compris sur un plan budgétaire.
"PAC et politique de cohésion sont fondées sur deux articles du traité. On ne peut pas les ratiboiser", affirme un fin connaisseur du dossier. Les deux objectifs sont en effet présents dans les textes sur lesquels se fonde l’Union européenne.

Efficacité

"Pour l’instant, tout le monde s’accorde à dire que l’on ne peut pas toucher à la PAC", pense le député européen Stéphane Le Foll (PS-S&D), qui suit de près les sujets agricoles à Bruxelles. Il plaide pour que la politique agricole et la politique régionale soient plus intégrées l’une à l’autre. "L’agriculture comme la politique de cohésion doivent être intégrées à la Stratégie 2020. C’est comme cela que nous serons efficaces. C’est également ainsi que l’on gardera un budget pour les deux politiques", estime l’eurodéputé.
"J’espère que le débat ne va pas se poser de cette façon", dit pour sa part le représentant d’une région française à Bruxelles. "Je ne vois pas comment l’on peut défendre une politique et laisser tomber l’autre. Les régions sont volontaristes, je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas soutenus par notre Etat membre", poursuit la même source. Selon celle-ci, Paris a "plutôt choisi" de défendre la PAC au détriment de la politique régionale.
Les négociations auront lieu au Conseil européen de mars-avril 2012. C’est-à-dire quelques semaines avant l’élection présidentielle française. "C’est l’enjeu de la réélection qui primera, juge un observateur. Or, ce n’est pas le Feder et le FSE qui font descendre les foules dans la rue. En revanche, les agriculteurs manifestent volontiers pour défendre la PAC." Mais cette équation politique peut changer du tout au tout. Les dirigeants européens peuvent prendre un peu de retard et boucler les discussions budgétaires lors du Conseil européen suivant, en juin 2012.


Loup Besmond de Senneville/Euractiv.fr pour Localtis