Les territoires transfrontaliers, pas le problème de "quelques-uns", mais la solution pour tous ?
Au cours de son premier "Forum des frontières" (Borders Forum), la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) et ses partenaires ont officiellement présenté et signé ce 9 novembre une "alliance européenne pour les citoyens transfrontaliers", qui invite les autorités européennes et nationales à placer les territoires transfrontaliers "au cœur de leur action". Des territoires non seulement "laboratoires", mais aussi "moteurs" du projet européen.
"L’Europe est tellement petite qu’il y a toujours une dimension transfrontalière." D’une phrase, prononcée lors de la première table-ronde du "Borders Forum", organisé ces 9 et 10 novembre par la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), Karl-Heinz Lambertz, président du Parlement de la communauté germanophone de Belgique, a résumé l’importance des régions transfrontalières dans l’Union européenne.
"Jamais nous n’aurions imaginé une telle fermeture"
Las, si, pour son successeur à la tête du Comité européen des régions, Apostolos Tzitzikostas, "aucune crise n’est suffisamment forte pour justifier la fermeture des frontières intérieures" de l'UE, il faut bien admettre avec Karl-Heinz Lambertz que "dès qu’il y a une crise, les États [membres] ont le réflexe de fermer les frontières, alors qu’il faudrait justement les dépasser". Après les crises migratoires, celle du Covid en a apporté un exemple particulièrement criant, dont la vigueur a surpris les observateurs les plus avertis : "Jamais nous n’aurions imaginé une telle fermeture de nos frontières", a ainsi confessé Christian Dupessey, président de la MOT, qui n'a pu réprimer un "Plus jamais ça !"
Ces fermetures – décidées "sans consultation des élus locaux", signale celui qui est également maire d’Annemasse – ont évidemment emporté des "conséquences dramatiques" pour des milliers de transfrontaliers, en les empêchant d’aller travailler, de se faire soigner ou de voir leurs proches, et ce à seulement quelques kilomètres de chez eux. Mais leur effet néfaste s’est fait ressentir bien au-delà, sur l'ensemble de l'Union, "avec le risque d’effondrement de certains secteurs d’activités", souligne Apostolos Tzitzikostas, qui rappelle une nouvelle fois que les territoires transfrontaliers représentent 40% du territoire de l’UE : "Ce n’est pas le problème de quelques-uns, mais de tous !"
Alliance européenne pour les citoyens transfrontaliers
Dans le même temps, "cette crise a stimulé les coopérations transfrontalières, a mis en évidence les interdépendances, mais aussi les limites au formidable potentiel que représentent ces territoires transfrontaliers", relève Christian Dupessey. À toute chose malheur est bon, paraît-il. La MOT et ses partenaires sont ainsi plus que jamais convaincus que ces territoires constituent non seulement "un laboratoire parfait, mais aussi un puissant moteur", – selon les mots de Karl-Heinz Lambert – pour "rapprocher les peuples et les nations, baliser le chemin d’une croissance durable et inclusive, et soutenir la coopération et l’intégration européennes". Bref, être une solution pour tous.
À condition toutefois que les "autorités nationales et européennes renforcent leur soutien et placent les territoires transfrontaliers au cœur de leur action", en prenant notamment en compte leurs spécificités – ce qui n'est pas sans faire écho au projet de loi "3D" par ailleurs en gestation en France.
À cette fin, la MOT, l’Association des régions transfrontalières européennes (Arfe) et le CESCI (Service d’Europe centrale pour les initiatives transfrontalières, think-tank hongrois ayant la MOT pour modèle), rejoints par le Comité européen des régions, viennent officiellement de présenter et de signer ce 9 novembre une "Alliance européenne pour les citoyens transfrontaliers" (v. encadré), que les collectivités, les élus mais aussi les citoyens européens sont également invités à parapher pour faire masse. Une initiative jugée urgente "à l’heure où de nombreux pays se replient sur eux-mêmes". Si, la commissaire à la politique régionale Elisa Ferreira estime qu'avec la gestion de la nouvelle vague de la pandémie, "les États membres ont implicitement reconnu qu’il n’y avait pas d’intérêt, même pour eux, à fermer les frontières", la prudence semble en effet de mise. Comme l'ont montré les interventions de la ministre hongroise de la justice, Judit Varga, peu encline à trouver dans le "plus d'Europe" la solution à tous les problèmes. Une ministre qui a, en creux – ou en plein –, également souligné la nécessité de renforcer d'autant plus les frontières extérieures que les frontières intérieures s'estompent, rejointe en cela par la député européenne Anne Sander, qui a elle aussi plaidé pour "un contrôle renforcé des frontières extérieures". Comme souligné lors des débats, le concept de frontières n'est donc pas prêt de s'éteindre.
Une Alliance en dix points
Les signataires de l’Alliance européenne pour les citoyens transfrontaliers plaident pour que :
1. les régions frontalières soient mieux prises en compte dans les dispositifs politiques et législatifs de l’UE ;
2. les régions frontalières et leurs groupements transfrontaliers s’associent à la conférence sur l’avenir de l’Europe ;
3. les pouvoirs publics frontaliers disposent de pouvoirs appropriés et de ressources spécifiques, ainsi que de procédures accélérées ;
4. les négociations concernant le projet de règlement relatif à un mécanisme transfrontalier européen (ECBM) aboutissent ;
5. les obstacles juridiques et administratifs à la coopération transfrontalière soient levés ;
6. les États et la Commission européenne procèdent à des analyses d’impact territorial transfrontalier des politiques publiques ;
7. des observatoires transfrontaliers soient mis en place pour mesurer l’intégration transfrontalière, et recenser les obstacles ;
8. un cadre efficace permette la mise en œuvre de services publics transfrontaliers ;
9. les régions frontalières soient associées à la mise en œuvre du pacte vert pour l’Europe, et bénéficient pleinement du plan de relance Next Generation EU ;
10. un niveau minimal de coopération transfrontalière soit garanti en cas de crise mondiale, européenne ou régionale.