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Les propositions chocs de l'Ifrap pour territorialiser l'éducation

Dans une étude qui devrait susciter de très nombreux commentaires, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques redessine le paysage de l'éducation en France. Objectif numéro un : faire des régions et des communes les acteurs d'un secteur public de l'éducation qui s'inspirerait des méthodes du privé.

"Éduquer mieux, en réallouant et en baissant les dépenses", c'est le titre de la dernière étude de l'Ifrap (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques). Si cet intitulé n'étonnera pas de la part de ce cercle de réflexion considéré comme libéral, ses propositions sont, elles, pour le moins frappantes. Le premier objectif énoncé étant de "viser une gestion locale de l’éducation et [de] forfaitiser la dépense par élève".
Avant d'en arriver à cette proposition, l'étude s'applique à démontrer le surcoût de l'enseignement public par rapport au secteur privé. Cette "surdépense", déjà mise en évidence par le passé, atteignait, selon l'Ifrap, 29,4 milliards d'euros en 2019 sur les 103,8 milliards de dépenses d'enseignement en France. Dans le détail, un élève du public coûte 7.149 euros par an dans le premier degré contre 4.270 euros dans le privé, et 10.977 euros par an dans le second degré contre 8.095 euros dans le privé.

Surdépense injustifiée

L'Ifrap explique cette différence d'environ 30% "pour assurer les mêmes missions" principalement par les disparités de traitement entre enseignants du public et du privé. Dans son viseur : les 16% des effectifs enseignants titularisés du premier degré public qui ne sont pas devant une classe, le surcoût des retraites (les pensions du privé sont calculées sur les 25 meilleures années, celle du public sur les six derniers mois de carrière) ou encore des effectifs comptant quatre fois plus de contractuels (les moins bien payés des enseignants) dans le privé, quand le public emploie trois fois plus d’agrégés (les mieux payés).
Quant aux dépenses de fonctionnement (entretien des bâtiments, personnels non enseignants…), elles varient tout aussi fortement entre public et privé. Si chaque collectivité dote ses établissements publics à raison de 12 milliards d'euros annuellement pour les personnels techniques et les surveillants, le privé reçoit de ces mêmes collectivités un forfait annuel par élève pour couvrir indemnités du personnel non enseignant et dépenses de matériel. L'Ifrap estime ainsi à 4,5 milliards d'euros la surdépense du secteur public pour le personnel non enseignant par rapport au privé. Sur le terrain, cela se traduit par un agent non enseignant pour 17 élèves dans l’enseignement public contre un pour 24 élèves dans le privé. L'étude note que cette surreprésentation du personnel non enseignant dans le système éducatif public est une exception française au sein de l’OCDE.
Après ces constats, arrive la question centrale : ce surcoût du public se justifie-t-il par de meilleurs résultats ? L'Ifrap répond par la négative et explique que "les élèves du privé s’en sortent généralement mieux" tout en reconnaissant que "les meilleurs résultats des élèves du privé [sont] corrélés à leur milieu social et qu’en supprimant ce biais, la performance entre public et privé [est] relativement équivalente". Conclusion : "Si les résultats bruts du privé sont meilleurs, si les résultats prenant en compte le milieu social sont égaux, rien ne justifie la surdépense actuellement accordée au public."

Régions et communes à la manœuvre

L'Ifrap en appelle donc à "rationaliser les dépenses d’éducation de 10 milliards d'euros tout en dégageant une enveloppe de 6 milliards pour financer le coût des réformes et investir dans diverses priorités (rénovation, éducation prioritaire)". Comment ? Essentiellement en passant à "une gestion locale et forfaitisée". Un objectif qui s'appuie sur trois préconisations.
Premièrement, il s'agit de donner la charge de tous les établissements scolaires – premier et second degré – aux communes et intercommunalités, le tout sous l'autorité – et avec le financement – des conseils régionaux, lesquels absorberaient les académies et les services déconcentrés de l’État et deviendraient l’autorité compétente de l’Éducation nationale. Dans ce schéma, l'État se contenterait d'un rôle de superviseur chargé de la cohésion des programmes et des épreuves. Près de quarante ans après les lois de décentralisation qui ont donné aux régions la compétence des lycées, aux départements celle des collèges et aux communes celle des écoles, cela peut paraître paradoxal. Pas pour l'Ifrap, qui considère que cette division des compétences "ne repose sur aucun fondement concret".
Ensuite, en plein débat sur la fonction de directeur d'école, il convient pour l'Ifrap de donner aux chefs d’établissement une autorité hiérarchique sur tout le personnel, y compris non enseignant. L'étude souligne à cet égard "le rôle-clé des directeurs-gestionnaires" dans le privé et ajoute que "les enseignants du privé [semblent trouver] bénéfique le rôle de chef d’orchestre des directeurs d’établissement". Dans cette même veine, l'Ifrap prévoit de supprimer le concours pour les enseignants et de signer un contrat d’enseignement entre l’établissement scolaire et l’enseignant sous la supervision des communes.

Développer les établissements privés

Avant de concrétiser ces objectifs à long terme, l'étude envisage d'en passer par le développement d'établissements autonomes sur la base du volontariat. Ces établissements seraient financés par un forfait, par élève et par an, pour gérer bâtiments et personnels. Cette transition pourrait également prendre la forme d'un passage en délégation de gestion des établissements scolaires publics pour les collectivités qui en feraient le choix.
Parmi les autres pistes, l'Ifrap invite à en finir avec la règle – implicite – qui limite à 20% l’attribution des moyens publics à l’enseignement privé, et entend faciliter le financement d’écoles hors contrat par une incitation fiscale sur le modèle de la réduction d'impôt qui existe déjà pour les cours particuliers dans des structures commerciales.
Ces propositions ne manqueront pas de provoquer de nombreuses réactions, certainement passionnées, y compris au sein des collectivités territoriales, pour qui leur mise en œuvre provoquerait une importante redéfinition des missions et des moyens. Car c'est ni plus ni moins qu'à un séisme d'une magnitude sans précédent dans un secteur extrêmement sensible politiquement qu'en appelle l'Ifrap.