Transition énergétique - Les objectifs de la politique énergétique âprement débattus en séance à l'Assemblée
L'Assemblée est entrée depuis la soirée du 6 octobre dans le vif des débats sur le projet de loi de transition énergétique, avec le début de l'examen des 64 articles du texte. En commission, celui-ci a fait l'objet de quelque 2.500 amendements dont 350 pour le seul article 1er, qui fixe les objectifs de la politique énergétique nationale. Pour rappel, il contient plusieurs objectifs chiffrés, notamment la diminution de moitié de la consommation énergétique finale en 2050 par rapport à 2012. Le gouvernement a proposé d'y ajouter via un amendement largement adopté un objectif intermédiaire de réduction de 20% de la consommation à partir de 2030. Un objectif en ligne avec le paquet européen énergie-climat 2030 au menu du sommet européen des 23 et 24 octobre.
Les écologistes ont salué "un signal très attendu par les ONG, les acteurs de l'écologie". L'UMP est au contraire opposée à tout objectif de réduction de la consommation, vu par ses députés comme un "non-sens politique, économique et sociétal", alors que "tous les experts" s'accordent sur une croissance de la consommation d'énergie. "Le seul objectif qui tienne est de réduire les émissions de gaz à effet de serre", selon leur porte-parole sur ce texte, Julien Aubert. Usant dans des débats passionnés son temps de parole, le principal groupe d'opposition a également tenté de supprimer ou réduire les autres objectifs fixés dans l'article 1er, notamment sur la baisse du recours aux énergies fossiles, l'augmentation de la part des énergies renouvelables et surtout la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité.
Cette réduction de 75% à 50% à l'horizon 2025, conformément à la promesse de François Hollande lors de la campagne présidentielle, a été combattue par l'UMP au nom notamment de la défense de l'emploi, mais aussi par le Front de gauche qui y voit "un choix arbitraire" et un véritable "gosplan". Le député chevènementiste (app PS) Jean-Luc Laurent, pour qui "l'industrie nucléaire est un atout", a apporté sa voix pour supprimer cet objectif, sans faire basculer la majorité. Jugeant "impératif de construire un mix énergétique", la ministre de l'Ecologie et de l'Energie, Ségolène Royal, a argué qu'"aucun pays au monde" ne dépendait à 75% d'une même source d'énergie et qu'il y a eu "un surinvestissement dans la filière nucléaire".
Certains députés UMP, comme Michel Sordi (Haut-Rhin), ont aussi souhaité revenir sur l'interdiction d'exploitation des gaz de schiste, votée pourtant sous le précédent quinquennat. Une interdiction défendue par Ségolène Royal, qui a annoncé qu'il n'y aurait pas de permis de recherches d'hydrocarbures dans le parc du Luberon, comme certains l'avaient craint localement.
Pataquès sur la contribution climat énergie
Traitée "d'obscurantiste" par Hervé Mariton, Ségolène Royal a retourné le compliment envers "ceux qui défendent le tout nucléaire et refusent la montée en puissance des énergies renouvelables". L'UDI Bertrand Pancher, plus souvent en accord avec la majorité que l'opposition, a appelé ses collègues UMP "à ne pas résumer la transition énergétique à la relance du nucléaire et des énergies fossiles..." Mais l'UMP a reçu le soutien inattendu de Ségolène Royal sur un amendement supprimant le principe d'une "augmentation progressive de la contribution climat-énergie", petite taxe carbone appliquée aux produits énergétiques (carburants, fioul, gaz) depuis le budget 2014.
Alors que la loi est déjà critiquée pour son manque d'ambition sur la fiscalité écologique, ce principe avait été rajouté dans le texte à l'initiative de la majorité en commission. "Je ne veux pas donner le signal que la transition énergétique se traduit par des taxes supplémentaires", a justifié Ségolène Royal. Face aux protestations, notamment écologistes, sur le fait qu'il y a un "consensus mondial pour donner un prix au carbone" afin d'inciter à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la ministre de l'Ecologie reculait et acceptait le principe d'un "élargissement progressif de la part carbone" dans les taxes sur les produits énergétiques. "On retiendra votre vibrant plaidoyer contre la taxe carbone et c'est une erreur", a déploré l'UDI Bertrand Pancher.
Le manque de moyens pointé du doigt
Autre souci pour Ségolène Royal, les critiques parmi sa majorité sur le manque de moyens pour atteindre les objectifs fixés. Les flèches les plus vives sont venues de l'ancienne ministre de l'Ecologie Delphine Batho, qui avait initié le débat sur la transition énergétique avant d'être limogée du gouvernement Ayrault en juillet 2013 après avoir dénoncé son "mauvais budget". "Je déplore que ce projet de loi arrive un peu tard", a-t-elle d'abord lancé avant de rendre hommage aux acteurs du débat national sur la transition énergétique. Surtout, elle a pointé le manque de moyens, "qui pose la question de la crédibilité" du texte. Elle a appelé Ségolène Royal à "tirer les leçons du Grenelle" : "il ne faut pas seulement fixer les objectifs pour les atteindre." "Lorsque l'on propose aujourd'hui de fixer un objectif de 20 % d'économies d'énergie à l'horizon de 2030, cela représente en fait un report de dix ans par rapport aux objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement pour 2020", a-t-elle rappelé. "S'agissant des moyens, le débat national sur la transition énergétique avait montré que pour réussir cette transition, il fallait investir 14 milliards d'euros par an", a-t-elle poursuivi. Or, "le projet de loi de finances pour 2015 prévoit, hélas de nouveau, une diminution de 5,8 % des crédits du ministère de l'écologie et alors que le projet de loi de finances rectificative avait amputé de plus de 200 millions d'euros les investissements d'avenir, normalement réservés à la transition énergétique". La députée des Deux-Sèvres juge donc la loi "ni pire ni meilleure que les précédentes" mais regrette que le mot "programmation" ait disparu de son intitulé, alors qu'il s'agissait d'un engagement du Président de la République. Elle aussi pointé des "reculs" dans le texte, notamment "pour ce qui concerne la mise en concurrence des barrages hydrauliques", car selon elle, "un contrôle public n'est pas la même chose que la propriété publique". Elle s'est aussi dit "inquiète" pour l'avenir des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Delphine Batho a également dénoncé le fait que la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) "ne sera probablement pas fermée" alors que c'était un engagement de la campagne présidentielle de François Hollande.
Un droit d'accès à l'énergie
Au final, à l'issue de la quatrième séance publique dans la nuit de mardi à mercredi 8 octobre, seul le premier article du texte a été examiné. Outre les modifications précédemment citées, on retiendra parmi les principaux amendements adoptés depuis lundi celui d'André Chassaigne (PC, Puy-de-Dôme) visant à affirmer l'accès à l'énergie comme un droit fondamental. Ségolène Royal a fait confiance à la sagesse de l'assemblée, la rapporteure Marie-Noëlle Battistel (PS, Isère) donné un avis favorable. En revanche, François Brottes (PS, Isère), président de la commission spéciale chargé d'examiner le texte, s'est exprimé contre, jugeant que "le droit à l'énergie existait de fait". Un autre amendement défendu par Christophe Bouillon (PS, Seine-Maritime) vise à reconnaître la pertinence des groupements de communes pour atteindre les objectifs de la politique énergétique. Cécile Duflot (EELV, Paris) a pour sa part défendu un amendement sur les territoires à énergie positive prévoyant de réduire "au maximum à l'échelle locale" les besoins d'énergie de ces territoires, quand le texte indiquait que ces territoires visaient à "atteindre l'équilibre entre la consommation et la production d'énergie à l'échelle locale". La formule "atteindre l'équilibre entre la consommation et la production d'énergie à l'échelle locale, en réduisant au maximum les besoins d'énergie" a finalement été retenue, par un sous-amendement de Ségolène Royal.
Les députés doivent poursuivre tout au long de la semaine les discussions sur le projet de loi. Le vote solennel aura lieu le 14 octobre.