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Ressources humaines - Les ingénieurs territoriaux sondés sur leur "bonheur au travail"

Rendue publique fin mai, une enquête conduite par l'Association des ingénieurs territoriaux de France donne une image en demi-teinte du moral de ses membres. S'ils sont fiers de travailler pour la fonction publique territoriale, nombre d'entre eux éprouvent un sentiment d'insatisfaction, qui semble être lié aux effets de la "nouvelle donne territoriale" et de la baisse des ressources financières des collectivités. Autoportrait d'une profession forte de quelque 25.000 membres.

Avec plus de 1.000 retours et près de 2.600 commentaires, l'enquête "Bonheur au travail", conduite par l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) en février et mars 2016, a rencontré un vif succès auprès de ses membres. "Dans un contexte en pleine évolution, notre souhait était d'interroger le vécu quotidien des ingénieurs territoriaux. On voit aujourd'hui monter en puissance le thème de la prévention des risques psychosociaux et il était utile d'objectiver le débat. Cette étude nous en donne l'occasion", a expliqué Patrick Berger, président national de l'AITF, lors de sa présentation fin mai.

Seuls 53% des ingénieurs sont "souvent heureux" au travail

Si 98% des ingénieurs territoriaux associent travail et bonheur - preuve que les deux notions ne sont pas antinomiques pour eux -, seuls 53% se déclarent "souvent heureux" au travail. Cette proportion croît en fonction du grade et du nombre de personnes encadrées.
D'après l'enquête, les ingénieurs aspirent à un métier qui "porte les valeurs du service public." Le sens de leur mission nourrit leur intérêt pour leur métier. Les autres motifs de satisfaction au travail valorisent les facteurs humains : ambiance, autonomie et reconnaissance, avant la rémunération et la sécurité de l'emploi.
Confrontée à ces aspirations, la réalité s'avère décevante. Signe d'une "insatisfaction palpable", un net décalage existe entre les souhaits des ingénieurs et la réalité, notamment pour l'ambiance et la reconnaissance du travail. Par voie de conséquence, les ingénieurs sont plus fiers de travailler dans la fonction publique territoriale que pour leur collectivité.

Manque de sens et de reconnaissance

51% des ingénieurs jugent que leur niveau de satisfaction au travail a diminué au cours des douze derniers mois, contre seulement 12% qui estiment qu'il a augmenté. Faut-il y voir un effet de la réforme territoriale ? Cette proportion est beaucoup moins importante dans les régions (38%) que dans les départements (58%). Sans surprise si on les rapproche des résultats de la récente enquête de l'Observatoire social territoriale de la MNT (voir ci-contre notre article du 3 mai), les motifs d'insatisfaction sont souvent associés à la notion de "manque" : de "sens, reconnaissance, communication, moyens, temps, efficacité".
58% des ingénieurs manquent de temps pour réaliser correctement leur travail et ont le sentiment de subir une trop forte pression. Les contraintes budgétaires n'y sont pas étrangères puisque 71% des managers considèrent qu'elles ont pesé sur leur management. La pression, qu'une majorité d'ingénieurs ressent, provient en grande partie de la hiérarchie et des élus.
A contrario, les facteurs contribuant à faciliter le travail des ingénieurs dans la collectivité sont majoritairement liés à la reconnaissance, à la valorisation des ressources humaines (confiance, ambiance, pratiques managériales et RH) et à l'organisation (précision des objectifs, cohérence des actions, organisation interne). 

E-administration et droit à la déconnexion

Pour les personnes ayant répondu, l'ingénieur doit désormais multiplier les compétences. En tête, les compétences managériales et une vision prospective et stratégique. Les compétences financières arrivent avant les compétences techniques, ce qui, pour les auteurs de l'étude, "en dit long" sur les contraintes budgétaires auxquelles les collectivités sont confrontées.
Le "management décloisonné et le travail en mode projet" sont les principaux enjeux, accompagnés par la motivation des équipes, la formation et l'évolution des compétences, tandis que le principal défi concerne les restrictions budgétaires.
La mutualisation des ressources pourrait être un des moyens pour le relever. Les ingénieurs jugent positivement le développement de la dématérialisation et de l'e-administration. Plus de 80% d'entre eux considèrent que ce sont des atouts pour améliorer la relation des collectivités avec leurs administrés et faire évoluer l'organisation interne des collectivités.
Conséquence de l'"hyperconnexion", près de la moitié des ingénieurs travaillent régulièrement ou très souvent chez eux le soir, 30% le weekend et 25% en vacances. Les ingénieurs voudraient associer les outils connectés au droit à la déconnexion. Pour autant, 69% d'entre eux sont favorables au télétravail, mais dans un cadre organisé, maîtrisé et négocié.

Un métier plus difficile à exercer aujourd'hui

Au final, 68% des ingénieurs territoriaux estiment plus difficile d'exercer leur métier aujourd'hui mais 60% restent confiants en l'avenir du service public. S'ils restent majoritairement confiants en leur avenir professionnel (69%), ils ne se font guère d'illusions sur leurs perspectives professionnelles au sein de leur collectivité, l'amélioration de leur bien-être au travail et sur l'avenir du statut. Certains d'entre eux voient-il leur avenir dans les autres fonctions publiques ou encore dans le privé ? Peut-être puisqu'ils sont très majoritairement favorables à la mobilité entre fonctions publiques et passerelles public/privé.
"Cette enquête va nourrir les réflexions des groupes de travail de l'AITF et permettre à l'association de développer des outils favorisant la solidarité entre ses membres. Elle constitue un outil de dialogue avec le ministère de la Fonction Publique en particulier sur la question de la valorisation du statut d'ingénieur territorial que la séparation du cadre d'emploi n'a pas su traiter. Elle a vocation à servir de baromètre et il sera très intéressant de mesurer les évolutions dans l'avenir", conclut Patrick Berger.