Fonction publique territoriale - Ingénieurs territoriaux : une carrière revalorisée et réorganisée
En gestation depuis 2009, la réforme de la carrière des 18.000 à 20.000 ingénieurs territoriaux est entrée en vigueur ce 1er mars. L'ensemble des décrets, concernant l'architecture statutaire, l'échelonnement indiciaire et les modalités de recrutement et de formation ont été publiés in extremis au Journal officiel du 27 février.
Il s'agit d'une réforme d'ampleur, dont la principale mesure est la création d'un cadre d'emplois des ingénieurs en chef territoriaux distinct de celui des ingénieurs territoriaux (sur le modèle des cadres d'emplois d'attaché et administrateur territorial de la filière administrative). Pour Patrick Berger, directeur du paysage et de la biodiversité de la ville de Montpellier et président de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF), la nouveauté favorise réellement une meilleure reconnaissance des carrières. Mais, au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, les organisations syndicales ont à l'unanimité décrié cette "scission", porteuse selon eux d'un risque de "carrières à deux vitesses" (voir notre article du 18 septembre 2015).
Les ingénieurs en chef territoriaux exercent leurs fonctions dans les plus grandes collectivités : les régions, les départements, les communes de plus de 40.000 habitants et les offices publics de l'habitat de plus de 10.000 logements. Le cadre d'emplois compte trois grades (ingénieur en chef, ingénieur en chef hors classe et ingénieur général). La carrière des ingénieurs territoriaux s'organise également selon trois grades : ingénieur, ingénieur principal et ingénieur hors classe.
Avantage pour l'encadrement
Les modalités de recrutement des ingénieurs sont modifiées. En particulier, les conditions de promotion dans les cadres d'emplois des ingénieurs et ingénieurs en chef reposent désormais sur l'organisation par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) d'un examen professionnel, selon des dispositions proches de celles qui prévalent pour les administrateurs territoriaux. Si l'AITF se satisfait de ces modalités qui garantissent un recrutement équitable et de qualité, elle regrette que n'aient pas été maintenues des possibilités de nomination par l'employeur, comme aujourd'hui.
Innovation importante, les lauréats du concours d'ingénieur en chef vont bénéficier d'une formation initiale consistante qui faisait défaut. D'une durée d'un an (dont six mois de modules théoriques), elle sera assurée par l'Institut national des études territoriales (Inet), à Strasbourg. Les candidats devront un peu patienter, car la première session du concours ne sera pas organisée avant 2017.
L'échelonnement indiciaire des ingénieurs est revalorisé, notamment aux échelons les plus élevés. Il demeure tout de même quelques déceptions pour l'AITF. Par exemple, elle n'a pas été suivie sur la suppression du premier échelon du grade d'ingénieur qu'elle demandait. En outre, le nouveau grade d'ingénieur hors classe ne fait pas l'unanimité. Il sera réservé à des ingénieurs ayant exercé des fonctions d'encadrement sur emploi fonctionnel (directeur général des services techniques par exemple). "La carrière des experts, tels que les chefs de projets en aménagement urbain, n'est pas encouragée, regrette Dominique Terrat, secrétaire national de l'Ufict CGT. Pourtant, de telles personnes gèrent des budgets de 20 millions d'euros et sont en charge de la maîtrise d'ouvrage sur les chantiers." Patrick Berger critique lui aussi des conditions d'accès au nouveau grade qui sont "trop restrictives". "Beaucoup d'ingénieurs principaux vont voir leur carrière bloquée, d'autant que les intéressés ont tendance à retarder leur départ en retraite", critique-t-il. L'AITF va donc continuer à exiger des conditions d'accès au grade "plus satisfaisantes".
Difficultés de recrutement
Avec une formation renforcée et une rémunération relevée, la réforme vise à revaloriser la carrière des ingénieurs territoriaux, alors que depuis quelques années déjà des collectivités éprouvent des difficultés de recrutement. En cause : la concurrence du privé qui offre des conditions de salaire bien plus avantageuses.
Si l'amélioration des carrières permise par la réforme ne comblera pas le fossé qui existe avec le privé, les collectivités peuvent vanter auprès des ingénieurs l'intérêt des carrières publiques. Avec les contraintes financières et la baisse des investissements, les collectivités consacrent certes moins de moyens à des grands projets d'aménagement. Mais les défis sont immenses, qu'il s'agisse de la transition énergétique, du développement durable ou de l'intégration des nouvelles technologies numériques. Dans un tel contexte, le rôle de l'ingénieur territorial "retrouve ses lettres de noblesse" estime Patrick Berger.
Thomas Beurey / Projets publics
Référence : décrets n° 2016-200 à 2016-208 du 26 février 2016 rénovant la catégorie A de la filière technique.