Les Grands Sites de France à l’œuvre pour sortir du "tout voiture"
Le réseau des Grands Sites de France a organisé, les 10 et 11 octobre derniers, sur le site du Puy-Mary – Volcan du Cantal, ses 26es rencontres. Elles avaient cette année pour thème "l’écomobilité", un sujet évidemment au cœur de ces grands sites, comme le rappelle Louis Villaret, président du réseau.
Localtis - Les participants aux 26es rencontres des grands sites de France ont planché cette année sur le thème de la mobilité durable. Qu’en est-il ressorti ?
Louis Villaret - Ce n’est évidemment pas la première fois que nous consacrons nos rencontres à ce sujet. En 2013 déjà, nous avions travaillé sur l'écomobilité lors de nos rencontres. Depuis, la question se pose avec davantage d’acuité, avec le renforcement de la lutte contre le changement climatique ou en faveur de la biodiversité. Les grands sites attirent beaucoup de monde – ce sont des paysages souvent emblématiques – et cette fréquentation n’est pas sans poser de difficulté. Elle est toutefois consubstantielle à ces grands sites, puisque le code de l’environnement dispose que le label "Grand Site de France" ne peut être attribué qu’à un site classé "de grande notoriété et de forte fréquentation" – au passage, c’est bien le site qui attire les touristes, et pas le label. Dans le même temps, ce label vient notamment attester que le gestionnaire à qui il est attribué – et non au site – "veille à ce que la fréquentation touristique reste compatible avec le caractère patrimonial du site et les conditions de vie des habitants". Il nous faut donc par essence veiller à ce fragile équilibre. L'objectif n’est pas de restreindre la fréquentation – même si c’est parfois ponctuellement nécessaire, comme cela a été le cas à Puy-Mary –, mais de la maîtriser, la réguler pour éviter les dégradations qu’elle pourrait entraîner, tant sur le territoire que sur ses habitants.
Pour répondre plus directement à votre question, concrètement, disons-le : l’objectif c’est voir comment se déplacer en évitant la voiture. Nous ne sommes pas contre la voiture dans l’absolu. Mais aujourd’hui, la très grande majorité des près de 40 millions de touristes qui viennent visiter chaque année nos sites vient en voiture. Il nous faut donc essayer de trouver d'autres modes de déplacement, sobres et décarbonés, pour préserver les paysages, faire en sorte que les populations autochtones ne se sentent pas trop envahies par ces flux touristiques, mais aussi pour essayer de mieux accueillir les visiteurs eux-mêmes. Au cours des rencontres, les gestionnaires ont notamment fait part de leurs expériences. À gros traits, ils essaient d’abord d'éloigner la voiture du centre névralgique du site emblématique : en mettant en place des stationnements en périphérie d’un côté, des navettes, des circuits cyclables ou pédestres, ou même des barques – toutes les formes de mobilité douces, ça dépend bien sûr de la topographie – de l’autre. Mais cela ne se limite pas à cela. Il s’agit plus largement de conduire un véritable projet de territoire, notamment de façon à mieux répartir cette fréquentation, à la fois dans le temps et dans l’espace. C’est un travail que les gestionnaires de site ne conduisent évidemment pas seuls. Participaient ainsi à nos travaux des représentants des services de l’État, notamment des Dreal, ou différents experts.
Au-delà de la mobilité au sein du site, se pose évidemment la question première de l’accès à ces sites. Ces derniers, souvent excentrés, ne souffrent-ils pas d’un manque d’infrastructures de transport ?
Si la question de la mobilité intra-site a été privilégiée pendant les rencontres, celle concernant l’accès au site n’a évidemment pas été ignorée. Certains sites sont mieux desservis que d’autres, de même que certains sont mieux connus que d’autres. Il reste évidemment des manques, qu’il faut combler. Mais beaucoup de possibilités de se déplacer autrement existent déjà. Durant les rencontres, c’est surtout le manque d’informations dont disposent les touristes, singulièrement à l’égard du train, qui a été relevé. Le constat n’est pas nouveau. Il nous avait d’ailleurs conduit à lancer le site escapadenature-sansvoiture.fr, pour montrer que venir et circuler au sein de ces grands sites sans voiture, c’est déjà possible.
Vous évoquez les services de l’État. On imagine que les régions, notamment en leur qualité d’autorités organisatrices des mobilités, constituent pour les gestionnaires des grands sites un partenaire incontournable ?
Nous travaillons naturellement avec les régions, comme nous collaborons aussi avec les départements, souvent propriétaires de sites emblématiques, les intercommunalités et, bien sûr, les communes. Les régions nous viennent particulièrement en aide en nous apportant des financements, par exemple pour des projets d’aménagement cyclables.
Pour le béotien, la route semble au moins présenter l’avantage de canaliser la circulation au sein du site. En favorisant des circulations moins encadrées, le développement de la marche ou du vélo ne se fait-il pas parfois plus nocif que la voiture ?
Nullement. Les randonneurs comme les cyclistes ne sont pas moins "canalisés" que ne le sont les automobilistes. On ne les lâche pas dans la nature, si vous me permettez cette expression. Ils suivent des sentiers, des pistes balisés, dont le tracé est étudié en amont et la fréquentation observée en aval. On évite naturellement de mettre en évidence un certain nombre de chemins, certes bien connus des autochtones, sur lesquels un passage trop important pourrait nuire à la préservation du site, à la biodiversité, au bien-être des habitants ou à la sécurité de ceux qui les empruntent. J’ajouterais qu’il est d’ailleurs primordial de veiller à un partage serein de l’espace entre tous ses usagers : propriétaires fonciers, agriculteurs, chasseurs… Cela nécessite un important travail de concertation en amont et une collaboration permanente en aval, en apprenant aux uns et aux autres à se respecter et à respecter le territoire – les Grands Sites ont une fonction pédagogique. C’est tout l’enjeu des Grands Sites de France : les aménager pour permettre au plus grand nombre d’en profiter – y compris leurs habitants – en bonne intelligence, tout en les ménageant.
Une idée du thème des prochaines rencontres ?
Pas à ce stade. On y réfléchit généralement en janvier, à l’occasion d’un séminaire des directeurs de site au cours duquel ces derniers font notamment état des sources de préoccupation qu’ils rencontrent sur le terrain et sur lesquelles ils aimeraient réfléchir et bénéficier de retours d’expérience. Parmi elles, figure évidemment en bonne place le changement climatique et ses conséquences sur le paysage. Nous avons la chance d’avoir en France beaucoup de paysages de grande qualité qu’il faut savoir préserver.
Vous évoquez les éoliennes ?
Non, je ne pensais pas du tout aux éoliennes, même si c’est un sujet sur lequel nous avons déjà mené des réflexions*. Je dois avouer que l’on est plutôt réticent. Les paysages, c’est notre richesse. C’est cette relation entre l’homme et la nature dont on a plutôt le sentiment qu’elle est en train de se perdre, alors qu’elle est source de nombreux bienfaits. Le paysage, comme l’a d’ailleurs souligné le grand témoin de nos dernières rencontres, c’est à la fois une source de bien-être à la fois physique et moral. Alors que les Grands Sites de France représentent à peine 2% du territoire national, nous sommes donc plutôt enclins à penser que l’on pourrait s’accorder pour préserver ces 2% et trouver d’autres lieux plus propices pour installer des éoliennes. Mais vous allez me rétorquer que c’est toujours pareil : les éoliennes, tout le monde est pour, mais jamais chez soi et toujours chez les autres.
* NDLR : le réseau des Grands Sites de France avait adopté une position officielle en 2018 dans laquelle il faisait part de ses inquiétudes face à la multiplication des projets éoliens industriels. Cette position a été actualisée en mars 2023 par le conseil d’administration du réseau, lequel considère notamment que "compte tenu de son impact paysager, les options de l’éolien et du photovoltaïque au sol ne sauraient être des choix de première intention, dès lors qu’ils sont susceptibles d’impacter un site classé ou un grand site de France ou un espace reconnu pour son caractère remarquable et protégé au plan national".