Les forêts françaises de plus en plus touchées par le changement climatique

Doublement de la mortalité des arbres en une décennie, ralentissement de leur croissance et moindre absorption de carbone : les forêts françaises sont de plus en plus affectées par le changement climatique, alerte l'IGN dans l'édition 2024 de l'Inventaire forestier national publié ce 10 octobre.

Une fois de plus, l'Inventaire forestier national (IFN), dont l'édition 2024 a été publiée ce 10 octobre par l'Institut national de l'information géographique et forestière, véritable "vigie de la forêt", constate que les bouleversements climatiques ne cessent d'affecter gravement les forêts. Malgré une surface qui continue d'augmenter – dans l'Hexagone et en Corse, celle-ci couvre 17,5 millions d'hectares, soit 32% du territoire -, la croissance du volume total des arbres ralentit. Le dérèglement climatique et ses conséquences – manque d'eau, températures élevées, prolifération de bioagresseurs tels que les champignons, insectes ou bactéries – a un impact sur la croissance et la mortalité des arbres.

Doublement de la mortalité des arbres en 10 ans

L’IGN observe un bilan net des flux d’évolution du volume de bois sur pied des forêts divisé par deux en 10 ans (de +41,7 millions de mètres cubes (Mm3)/an sur la période 2005-2013 à +19,5 Mm3/an sur la période 2014-2022). Cela s’explique par trois facteurs, relève-t-il : 

  • un ralentissement de 4% de la croissance des arbres (de 91,5 Mm3/an en 2005-2013 à 87,9 Mm3/an en 2014-2022) ; 

  • une très forte accélération de la mortalité des arbres qui a doublé en 10 ans (de 7,4 Mm3/an en 2005-2013 à 15,2 Mm3/an en 2014-2022), ce qui représente 0,5 % du volume total d’arbres présents en forêt ;

  •  une augmentation de 13% des prélèvements d’arbres (de 47,2 Mm3/an en 2005-2013 à 53,1 Mm3/an en 2014-2022), comprenant pour les deux périodes des coupes subies (coupes de la tempête Klaus de 2009, récolte des arbres morts et dépérissant avant dépréciation, coupes préventives visant à stopper la prolifération des bioagresseurs).

Ralentissement de la capacité d'absorption de carbone

Publié tous les ans à partir des données collectées pendant les cinq années précédentes, l'inventaire note également une moindre absorption de carbone (CO2) par les forêts françaises. Selon l'inventaire, les forêts métropolitaines ont ainsi absorbé 39 millions de tonnes de CO2 par an en moyenne sur la période 2014-2022, contre 63 sur la période 2005-2013. Malgré ce ralentissement, le stock de CO2 qu'elle contient, et conserve ainsi hors de l'atmosphère, a augmenté de 17% entre 2009 et 2023.

Les 11,3 milliards d'arbres dénombrés par l'IGN en 2023 représentent un stock de 1,3 milliard de tonnes de carbone. "Chaque hectare de forêt contient aujourd'hui en moyenne 81 tonnes de carbone dans ses arbres vivants", contre 73 en moyenne en 2009, selon l'IGN.  L'augmentation à l'oeuvre est en fait bien plus ancienne et s'explique par la densification de la forêt ces dernières décennies. En 1981, le stock moyen était de 58 tonnes de carbone par hectare, selon l'IGN.

Selon des chiffres publiés en mai par l'IGN et l'institut technologique FCBA (lire notre article), la capacité d'absorption des forêts a été divisée par deux en l'espace d'une décennie. Et une projection à l'horizon 2050 estimait que "dans la grande majorité des (...) scénarios" étudiés, "la séquestration du carbone en forêt continue de s'éroder sur la période de projection 2020-2050". Le Citepa, organisme mandaté pour réaliser l'inventaire français des émissions, a quant à lui constaté entre 2019 et 2022 une baisse moyenne du stockage "de 2,1% par an" (lire notre article). Une tendance qui va s'accélérer avec une trajectoire de réduction de 4% par an entre 2029 et 2033, selon une anticipation de la Stratégie nationale bas carbone.

Le mois dernier, les experts du Haut Conseil pour le climat s'étaient inquiétés de la faible absorption de CO2 dans les puits naturels, tels que les forêts (lire notre article), après que la France, qui vise la neutralité carbone à l'horizon 2050, a échoué à respecter ses objectifs climatiques 2019-2023, notamment en raison de l'absorption moindre qu'espéré des forêts et des sols.

En comptant le carbone contenu dans les arbres morts et la matière organique contenue dans le sol superficiel, le réservoir total de l'écosystème forestier est évalué à 2,8 milliards de tonnes de carbone par l'IGN.

État sanitaire des arbres, renouvellement forestier  : deux nouveaux indicateurs de suivi 

L'institut a en outre présenté deux nouveaux indicateurs pour mieux suivre l'état sanitaire des arbres et le renouvellement forestier. Le premier, baptisé DEPERIS, vise à mesurer l'état de santé des arbres d'au moins 22,5 cm de diamètre, en prenant en compte deux critères : la présence de branches mortes dans la partie haute du houppier et le manque d'aiguilles pour les résineux ou de ramifications (petites branches) pour les feuillus. Selon cet indicateur, sur la période 2021-2023, 8% des arbres forestiers sont altérés. Dans le Nord-Est, la situation est encore plus dégradée avec un taux allant de 10% à 15% selon certaines zones. 

À la demande du ministère chargé de la forêt et en collaboration avec d'autres organismes (Inrae, Office français de la biodiversité, Centre national de la propriété forestière, Office national des forêts…), l'IGN déploie aussi depuis l'an dernier le nouveau protocole de recueil de données de terrain sur le renouvellement des peuplements et la pression des grands ongulés - cerfs, chevreuils, etc. - qui peuvent endommager les arbres en broutant les tiges ou l'écorce, ou encore en se frottant. De telles traces sont présentes sur 29% des jeunes arbres (diamètre à 1,30 mètre inférieur à 7,5 cm et mesurant au moins 50 cm de haut). Mais ce taux est très variable selon les territoires et selon les espèces, note l'IGN. Ainsi, près de la moitié des jeunes chênes sessiles présentent des traces alors que ce taux est de 30% pour le hêtre. Globalement les résineux ont moins de traces et sont moins abroutis que les feuillus, mais sont plus frottés ou écorcés. Le sapin pectiné est en ce sens figure d'exception puisque plus d’un tiers des jeunes arbres présente des traces, très souvent sous forme d’abroutissement.

"L’acquisition de données sur les prochaines campagnes annuelles d’inventaire permettra d’affiner les résultats, par exemple par essence et région, et de voir les évolutions", conclut l'IGN.