Fiscalité locale - Les faiblesses de l'évaluation des valeurs locatives foncières au cœur d'une décision du Conseil constitutionnel
L'administration fiscale détermine la valeur locative de nombreux logements et de locaux professionnels par comparaison avec la valeur locative de locaux similaires de la même commune (ou d'une commune présentant des caractéristiques proches lorsque les locaux en question présentent un caractère particulier). Pour ce faire, elle prend fréquemment en compte des locaux (appelés "locaux-types") qui existaient en 1970, année de l'évaluation de leur valeur locative, mais qui, depuis, ont été détruits ou restructurés. L'administration aurait procédé ainsi pour l'évaluation de la valeur locative de 1,5 à 2 millions de locaux commerciaux (sur un total de 2,8 millions).
Le Conseil d'Etat avait souhaité donner un grand coup de frein à cette pratique. Dans une décision ("société Ishtar") du 5 février 2014, la Haute Juridiction a jugé "qu'un local-type qui, depuis son inscription régulière au procès-verbal des opérations de révision foncière d'une commune, a été entièrement restructuré ou a été détruit ne peut plus servir de terme de comparaison, pour évaluer directement ou indirectement la valeur locative d'un bien soumis à la taxe foncière au 1er janvier d'une année postérieure à sa restructuration ou à sa disparition".
L'administration de l'Etat a redouté que, suite à cette décision, de très nombreux contribuables contestent en justice l'évaluation de la valeur locative de leur bien au moyen de la méthode par comparaison (lorsque celle-ci utilise comme terme de la comparaison un bien qui a été réaffecté, profondément modifié ou détruit). Le développement d'un contentieux de masse obligerait l'administration fiscale à évaluer dans l'urgence les locaux concernés et perturberait donc le fonctionnement du service public. En outre, beaucoup de contribuables (de même que les collectivités locales) verraient évoluer les bases de leurs impositions directes locales.
Pas de risque financier avéré
Pour éviter cela, le gouvernement avait proposé au Parlement, fin 2014, dans le cadre du collectif budgétaire 2015, de procéder à la validation législative des évaluations de valeurs locatives réalisées avant le 1er janvier 2015 et qui, en raison de la décision du Conseil d'Etat, pourraient être contestées. Il avait réussi sans difficulté à convaincre le Parlement. La rapporteure générale du budget, Valérie Rabault, avait jugé en particulier que l'étendue de la validation lui paraissait "proportionnée à l'objectif poursuivi".
Mais, saisi en décembre dernier par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité sur la légalité de la disposition législative (à savoir le paragraphe III de l'article 32 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014), le Conseil constitutionnel n'a pas été du tout de cet avis.
Il a considéré que le risque d'un contentieux massif consécutif à la décision du Conseil d'Etat n'était "pas établi". Par conséquent, les Sages ont jugé que l'administration fiscale et la juridiction administrative ne devaient pas craindre une perturbation de leur activité. Et qu'en outre, il n'existait pas de risque financier pour l'Etat et les collectivités territoriales. Ils en ont conclu que la disposition législative contestée n'est justifiée par "aucun motif impérieux d'intérêt général" et, donc, qu'elle est contraire à la Constitution.
La décision du Conseil constitutionnel a pris effet le 2 mars 2016. Elle "peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement".
T.B. / Projets publics
Référence : Conseil constitutionnel, décision n° 2015-525 QPC du 2 mars 2016.