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Coopération - Les échanges transfrontaliers, un marqueur des difficultés françaises

Quelque 350.000 travailleurs français se rendent chaque jour dans un pays voisin, contre à peine 10.000 qui empruntent le chemin inverse. Une étude de la Fnau, la MOT et la Datar présentée à Nancy, le 10 décembre, met en lumière les bénéfices de ces échanges pour l'emploi, mais aussi les effets négatifs : manque à gagner fiscal, hausse des loyers...

Les échanges frontaliers ont fortement progressé ces dernières années, mais avec un fort déséquilibre. Environ 350.000 Français se rendent chaque jour dans un pays voisin pour travailler. Un nombre en augmentation de 30% depuis 1999 ! Mais seulement 10.000 ressortissants de ces pays frontaliers empruntent le chemin inverse.
La situation est très contrastée, avec une forte concentration des flux dans le quart Nord-Est. "90% des mouvements se font entre Dunkerque et Genève", constate Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fnau (Fédération nationale des agences d'urbanisme) qui vient de réaliser avec la Datar et la MOT (Mission opérationnelle transfrontalière) une étude sur l'observation statistique des territoires transfrontaliers menée dans dix agglomérations*. Ainsi, le Luxembourg a enregistré une augmentation de 60% du nombre de travailleurs français, alors que les échanges avec l'Allemagne sont stables, voire en baisse, depuis le début des années 2000. Dans le Sud-Est, c'est Monaco qui exerce le plus grand pouvoir d'attraction : 38.000 Français se rendent dans la principauté. Nice fait figure d'exception : c'est le seul territoire frontalier français à enregistrer un solde positif : 400 Niçois se rendent en Italie quand 1.400 Italiens viennent en France. "Quand il y a une démographie dynamique, comme dans les territoires français, il y a une croissance économique en face généralement", explique Olivier Denert, secrétaire général de la MOT. Ces territoires peuvent ainsi tirer profit de leur position géographique en ayant accès à un marché de l'emploi plus dynamique, des salaires plus élevés, etc. En retour, les pays d'accueil trouvent une main d'œuvre qui leur faire défaut. Mais les territoires frontaliers français se trouvent ainsi en situation de dépendance vis-à-vis de leur voisin, se contentant d'une économie dite "résidentielle". Les navettes domicile-travail engendrent également une saturation des transports. Ces territoires subissent "de plein fouet les processus d'internationalisation et de mondialisation, tout en constituant des creusets de la construction européenne, les rendant d'autant plus intéressants à observer", soulignent les auteurs de l'étude, présentée à Nancy, lundi 10 décembre, au cours du premier séminaire sur l'observation des territoires transfrontaliers.

Un manque à gagner pour les collectivités

La Lorraine illustre les effets induits, bons et mauvais, de l'accroissement de ces échanges. "Nous assistons dans le nord de la Lorraine à des phénomènes d'éviction sociale ou spatiale", relève Olivier Denert. Faute de main d'œuvre suffisante, le Luxembourg voisin attire de nombreux salariés frontaliers. Leur nombre a été décuplé depuis les années 1985. Le Duché compte aujourd'hui 153.000 travailleurs frontaliers dont une moitié de Lorrains. Ce qui s'est traduit par une flambée des prix de l'immobilier ces dernières années dans une ville comme Longwy qui comporte pourtant la plus forte proportion de travailleurs pauvres de Lorraine. Autre conséquence : les territoires nord-lorrain ne bénéficient pas des retombées fiscales liées à ces emplois exercés au Luxembourg. "Plus le nombre de frontaliers augmente, plus les collectivités s'appauvrissent", alerte l'Agence d'urbanisme et de développement durable Lorraine-Nord (Agape), en guise de paradoxe. D'où l'intérêt de conventions fiscales transfrontalières. C'est par exemple ce qu'a entrepris le canton de Genève (où un actif sur quatre est Français) qui a reversé quelque 800 millions d'euros aux collectivités de l'Ain et de la Haute-Savoie pour compenser ce manque à gagner.
En l'absence d'outils statistiques communs, l'étude a permis de mieux cerner ces phénomènes et de voir au-delà des retombées de projets de coopération transfrontalière ponctuels. Mais elle n'est qu'un début. "L'observation doit permettre de mieux anticiper les mutations économiques, de réfléchir à la dynamique de compétitivité de ces territoires", explique Olivier Denert. La rencontre a donné lieu à des recommandations pour rapprocher les données de chaque pays et région afin de mieux répondre aux problèmes concrets de transports, de logement et d’urbanisme... Bref, mener des politiques d'aménagement du territoire transfrontalières. Un comité stratégique dédié à ce travail d'observation sera prochainement installé, a annoncé Patrick Crezé, directeur adjoint de la Datar. "Nous inviterons début 2013 l'ensemble des parties prenantes au niveau des Etats et des régions de façon à mettre en place une première réunion pour définir les termes de définition d'un cadre de référence", a-t-il précisé. Le responsable de la Datar a également dit vouloir chercher "l'onction" de la Commission européenne : "Il serait important que la DG Regio appuie cette démarche."
 

Michel Tendil

 

*Dunkerque-Flandres occcidentale, Lille-Kortrijk-Tournai, Luxembourg, Sillon Lorrain, Strasbourg, Bâle, Genève, Nice, Espace catalan, Pays basque.

 

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