Logiciels libres - Les collectivités européennes mutualisent leurs développements informatiques
Les Américains ne comprennent pas les Européens ! Sur le vieux continent, le choix des logiciels libres est encore une posture "idéologique et politique". La mise en oeuvre de projets informatiques libres dans les collectivités locales est donc bien un choix structurant. Plusieurs centaines de participants venant de France, d'Europe et même des Etats-Unis, du Brésil ou de Chine, ont débattu sur ce sujet en ouverture des deuxièmes rencontres "Paris, Capitale du Libre", les 13 et 14 juin 2007.
Les logiciels libres dans les collectivités sont à la confluence de plusieurs préoccupations : la stratégie d'indépendance vis-à-vis des éditeurs de logiciels propriétaires, l'interopérabilité pour développer l'administration électronique, la maîtrise des coûts de développement informatique, le soutien à l'économie locale des sociétés de services informatiques ou les services rendus aux citoyens. "Désormais, il ne faut plus s'interroger sur la question : pourquoi le libre ? Mais il faut se demander plutôt comment insérer cette stratégie dans le cadre d'un développement durable", a posé d'emblée Jean-Claude Meunier, directeur des systèmes d'informations de la mairie de Paris. La capitale est la première collectivité européenne à avoir pris l'initiative de placer son logiciel de développement de sites web Lutèce sous licence libre, dès 2003. Elle partage aussi un outil de dématérialisation des documents pour les séances du conseil de Paris. Elle a également fait développer un logiciel de passation des marchés publics ainsi qu'un logiciel d'identification.
Aux Pays-Bas, la Fondation gouvernementale ICTU soutient 40 programmes pour le développement des TIC. "Depuis 2002, le projet OSOSS vise à sensibiliser les gouvernements locaux et les provinces à l'usage des logiciels Open Source", a présenté Jan Willem Broekema, manager du programme. Il ne s'agit pas seulement de garantir une offre alternative aux logiciels propriétaires mais de mettre la priorité, voire l'obligation, sur l'adoption de standards ouverts. Une étude à été menée auprès des 442 collectivités hollandaises : seules 50% d'entre elles utilisent les logiciels libres. Pourtant, 11 grandes villes ont adopté un "manifeste des gouvernements libres" fondé sur quatre objectifs : indépendance vis-à-vis des fournisseurs, transparence de la gestion des données, garantie de l'interopérabilité et de la durabilité numérique.
Des partenaires multiples
Autre exemple de bonne pratique, à Gênes, en Italie, la commune a décidé de développer un système d'information géographique (SIG) à partir de logiciels libres. "Le SIG s'est construit en mutualisant avec les services d'eau, de gaz, les zones d'activité économiques, l'université, la région, l'Etat et même l'Europe. Puis il s'est ouvert aux partenaires que sont les banques et les assurances," a expliqué Sergio Farruggia, responsable SIG de la mairie. En ligne et ouvert, il aborde désormais ses évolutions en Web 2.0 pour améliorer le travail des fournisseurs de contenus et la réponse aux besoins des utilisateurs finaux.
PloneGov, projet de mutualisation, se veut "le couteau suisse pour le développement en logiciel libre des applications et des sites web des collectivités publiques", a plaisanté Joël Lambillote, IT manager de la commune de Sambreville en Belgique. Avec la ville moyenne de Seneffe, la collectivité belge a monté son projet en s'appuyant sur les PME locales et la communauté de développeurs du système de gestion de contenu web basé sur le serveur d'applications Open Source Zope. Le 8 juin dernier, les deux villes belges ont fusionné leur projet avec plus d'une cinquantaine d'acteurs : "Nous avons désormais des partenaires sur trois continents (Europe, Amérique et Afrique), dans six pays différents, et comptons plus de 47 villes engagées : une vingtaine en Belgique, une vingtaine en Pays basque, deux villes françaises (Arles et Savigny-sur-Orge), deux suisses (Berne et Bâle), une en Argentine, une autre en Virginie aux USA." Preuve que les besoins des collectivités dans ce domaine sont bien réels.
Des approches globales
De son côté, la région d'Extremadura, en Espagne, a appuyé son développement TIC global sur l'usage des logiciels libres dans le monde de l'éducation et de la recherche. Cette région, plutôt pauvre, a équipé ses élèves et étudiants de 70.000 ordinateurs fonctionnant sous système d'exploitation libre. Territoire aussi vaste que la Belgique mais avec huit fois moins d'habitants, elle a d'abord investi sur les réseaux à haut débit pour parvenir à une couverture ADSL de 100% de la population en 2007 "car sans connexion, rien n'est possible ", insiste Jorge Villar. L'Extremadura a ensuite créé un centre international de recherche sur les logiciels libres, puis un autre sur la publication universitaire libre. Elle a mis en place une association de la création artistique libre. "Nous avons créé un écosystème pour partager les efforts de développement entre les PME, les collectivités, la société civile, le monde de la recherche et la coopération internationale", a-t-il expliqué. Résultats : presque la moitié de la population et des collectivités utilise désormais les logiciels libres.
Plus récemment, la région Ile-de-France a également réfléchi à son implication dans le secteur des logiciels libres, à la demande de son président, Jean-Paul Huchon. La région s'est d'abord tournée vers les acteurs de la communauté et a subventionné plusieurs actions. "Nous avons ensuite souhaité nous appliquer le libre à nous-même", explique Jean-Baptiste Roger, conseiller technique TIC à la région. L'ensemble des serveurs tourne sous Linux. L'usage du navigateur Firefox a été généralisé. Une réflexion est en cours pour le passage à Open Office. Ensuite, la région s'est tournée vers le développement du libre pour le grand public : à la rentrée prochaine, 200.000 apprentis et lycéens seront équipés d'un bureau virtuel libre sur une clé USB. Enfin, l'Ile-de-France soutient la mairie de Paris pour faire émerger un pôle de compétitivité, une "Open Source Valley ", comme la nomme Alexandre Zapolsky, président de l'Association des sociétés de services en logiciels libres, organisateur de ces rencontres "Capitale du libre".
Le libre passe à l'ère de l'industrialisation
"Chaque collectivité a fait son travail en interne, mais l'étape de la mutualisation reste la véritable faiblesse", reconnaît Jean-Baptiste Roger. L'Adullact peut être dans ce cas un relais efficace. Fondée le jour même de la mise sous licence libre du logiciel Lutèce, l'Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l'administration et les collectivités territoriales a mis en place la première "forge" (c'est-à-dire une plate-forme de développement coopératif) dédiée aux collectivités. "Il faut maintenant industrialiser le monde des logiciels libres en mettant en place des forges où des développeurs concurrents partageront des codes sources sur les mêmes projets et où les collectivités mutualiseront leurs besoins, résume François Elie, président de l'Adullact. La mutualisation est difficile à atteindre pour un progiciel métier, d'où l'intérêt des développements de cet atelier." "A Paris, nous avons la conviction que la mise en commun des connaissances est facteur de progrès. Nous réaffirmons donc notre engagement en faveur des logiciels libres et partageons leurs valeurs universelles : liberté, égalité, fraternité, comme le répète Richard Stallmann, fondateur de la Free Software Foundation", a conclu Danièle Auffray, adjointe au maire de Paris en charge de la recherche et des nouvelles technologies.
Luc Derriano / EVS