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International - Les collectivités, des ambassadeurs aux petits pieds

La "charte d'alliance stratégique" signée ce 6 décembre entre l'Agence française de développement et la Caisse des Dépôts est une première traduction concrète du livre blanc sur la "diplomatie des territoires" adopté il y a quelques jours. Ce document montre que l'action des collectivités à l'étranger s'oriente de plus en plus vers l'économie. Une tendance qui devrait se confirmer avec la montée en puissance des grandes métropoles et des régions. Il formule 21 propositions pour resserrer le partenariat entre l'Etat et les collectivités à l'international.

L'action extérieure des collectivités s'élève entre 700 millions d'euros et 1 milliard d'euros, selon le livre blanc sur la "Diplomatie des territoires – pour une action extérieure démultipliée", adopté par la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) le 23 novembre. Malgré le contexte budgétaire difficile, "l'engagement des collectivités budgétaires ne s'est pas démenti", constatent les auteurs Christian Masset, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, et Bertrand Fort, secrétaire général de la CNCD, missionnés il y a quelques mois par le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault.
Ce phénomène "d'ouverture internationale des territoires" est "visible à l'échelle mondiale" et s'est notamment traduit lors de la COP21 par "l'engagement décisif des grandes villes mondiales regroupées au sein du C40", soulignent les rapporteurs. Mais, il a été favorisé en France par le mouvement de décentralisation et une série de mesures concrètes prises au cours des dix dernières années. Il y a eu la loi Oudin-Santini de 2005 qui a permis aux collectivités et leurs groupements d'affecter jusqu'à 1% de leurs budgets eau et assainissement à des projets de solidarité dans ce domaine, suivie de la loi Thiollière de 2007 qui a facilité les interventions humanitaires des collectivités en supprimant la notion d' "intérêt local" pour leurs propres populations, jusqu'à la loi du 7 juillet 2014 qui a consacré le terme d' "action extérieure" des collectivités territoriales et élargi le principe de la loi Oudin aux déchets… Par ailleurs, les lois Maptam et Notre de 2014 et 2015 ont renforcé "la capacité de projection à l'international" des régions et des grandes métropoles, sans remettre en cause les possibilités d'intervention des autres collectivités.

Une réorientation vers l'économie

L'évolution de ces dernières années fait apparaître aussi un changement de direction. L'action extérieure longtemps assimilée aux jumelages et à l'aide au développement dans les pays du Sud s'oriente de plus en plus vers l'action économique. Elle englobe ainsi toutes les actions unilatérales telles que la promotion de produits régionaux, le lancement de campagnes d'attractivité territoriale, les politiques d'accueil d'étudiants étrangers ou encore les bureaux de représentation à l'étranger.
Ainsi, selon l'atlas de la coopération décentralisée, près de 4.800 collectivités mènent actuellement des coopérations à l'international avec près de 9.000 autorités locales étrangères de 146 pays, totalisant 12.700 projets. Or 68,1% de ces projets sont conduits dans des pays développés, en particulier dans l'Union européenne, sur des projets économiques et culturels : soutien aux PME, attractivité pour les touristes ou les investisseurs, partenariats universitaires. Seuls 31,9% concernent les pays en développement.

59 millions d'euros pour l'aide publique au développement

L'Aide publique au développement (APD) des collectivités ne représente en effet que 59,6 millions d'euros en 2015, bien loin du milliard d’euros dépensé par les collectivités à l’international et des 9 milliards que représentera l'aide publique au développement de l’Etat en 2017. Le montant des l'APD des collectivités a connu une augmentation par rapport à 2014 (57 millions d'euros), mais après des années de baisse. En 2008, l'APD s'élevait ainsi à 72 millions d'euros. Aujourd'hui, les régions et les départements restent les principaux pourvoyeurs de l'APD avec respectivement 48,7 et 20% du total. La part des régions a fortement augmenté entre 2006 et 2009, avant de baisser fortement entre 2013 et 2014. La part des départements est restée relativement stable. En revanche, ce sont les groupements de communes et les métropoles qui ont vu leur contribution augmenter le plus fortement, passant de 1,3 million en 2005 à 7,8 millions en 2015 alors que, dans le même temps, la contribution des villes de moins de 100.000 habitants a fortement diminué (de 6,2 à 2,3 millions d'euros). Pour la seule année 2015, la contribution des intercommunalités a augmenté de 21,6%, "ce qui peut s'expliquer par les nouvelles compétences qui leurs sont octroyées dans le cadre des lois Maptam et Notre", commente la CNCD, dans un rapport du 9 novembre.

Marketing territorial

Au-delà de l'APD, l'internationalisation des collectivités est "un enjeu majeur d'attractivité et de rayonnement pour les territoires et pour la France" et permet "la diffusion de l'expertise française à l'étranger", souligne le livre blanc. Action culturelle, mobilité internationale des jeunes, enseignement supérieur, accueil des touristes ou des investisseurs étrangers… toutes ces politiques concourent à l'attractivité du territoire. A ce titre, les collectivités se placent de plus en plus dans une logique de "marketing territorial". Nombre d'entre elles ont créé leur propre marque : Only Lyon, Osez Bordeaux, Nice & Smart, Play Grenoble, Montpellier unlimited, Strasbourg the Europtimist, Invest in Reims ou Nantes just imagine.com. Plusieurs régions ont aussi leur propre marque : Paris région, Imaginealsace, Normandy avenue… Ce qui, pour certaines, pose la question de leur avenir dans le cadre des nouveaux périmètres régionaux.
Avec les SRDEII (schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation), l'action des régions à l'international est appelée à monter en puissance, mais elles sont tenues "d'associer aux travaux dans le champ économique local, l'ensemble des acteurs du territoire régional" et de "prendre en considération les stratégies des autres acteurs de l'export, en particulier Bpifrance et Business France", insistent les auteurs. Alors que de nombreuses régions avaient installé des implantations permanentes à l'étranger ces dernières années, ils mettent en garde contre le "risque de dispersion des moyens et de lisibilité complexe pour les entreprises et pour l'attractivité de la France". Et de citer "la faillite du réseau Erai", l'agence internationale de la région Rhône-Alpes, longtemps présentée comme un modèle du genre. Faillite qui a constitué une "alerte pour tous les exécutifs régionaux".

Rappels à l'ordre

Selon les rapporteurs, le dispositif juridique français "n'est pas particulièrement contraignant" et l'action extérieure des collectivités reste "très compétitive sur le plan normatif" comparée à beaucoup de pays fédéraux. Toutefois, depuis le début du quinquennat, on assiste à la volonté de l'Etat d'inscrire davantage cette action dans ses pas. Les collectivités doivent se mettre "au service du rayonnement économique de la France" et respecter "les engagements internationaux de la France". La loi du 7 juillet 2014 oblige les collectivités à transmettre les informations relatives à leurs actions à la Commission nationale de la coopération décentralisée.
Parfois, le gouvernement procède à des rappels à l'ordre. C'est ce qu'il a fait dans une circulaire du 2 juillet 2015, cosignée par les ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur, destinée à "rappeler le cadre juridique de la coopération décentralisée et de l'action extérieure des collectivités territoriales". La circulaire précise qu'il est interdit aux collectivités de passer des accords "avec des entités non reconnues comme le Haut-Karabagh ou la Crimée" ou avec leurs collectivités territoriales. Elle visait en particulier la commune de Bourg-lès-Valence (Drôme) qui avait noué des liens avec la ville de Chouchi au Haut-Karabakh, une région que se disputent l'Arménie et l'Azerbaïdjan depuis la fin de l'URSS.
A noter cependant, la parution ce mardi d'une loi du 5 décembre 2016 passée relativement inaperçue, permettant aux collectivités d'établir un accord directement avec un Etat étranger, ce qui leur était jusque-là défendu, à moins d'adhérer à un groupement de coopération transfrontalière, régionale ou interterritoriale. Cette possibilité qui existe déjà dans d'autres pays comme l'Italie, sera toutefois très encadrée (voir ci-contre notre article du 25 novembre 2016). Et elle restera conditionnée aux moyens financiers de la collectivité en question. Le livre blanc rappelle à cet égard que les Länder allemands ont consacré quelque 17 milliards d'euros à l'accueil des réfugiés et que la seule Andalousie dépense chaque année 50 millions d'euros pour la coopération décentralisée. Deux fois plus que toutes les régions françaises !

Rapprochement AFD et Caisse des Dépôts

Le livre blanc se veut plus qu'un état des lieux et "revêt une dimension prospective", insistent les auteurs qui formulent 21 propositions pour "améliorer le partenariat entre l'Etat et les collectivités", dans la lignée du rapport Laignel de 2013 dont plusieurs recommandations - comme le 1% déchet – ont déjà vu le jour. Ils souhaitent ainsi faciliter l'accès aux financements disponibles notamment grâce au rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des Dépôts, acté ce mardi 6 décembre. Le livre blanc propose aussi une "nouvelle offre de services aux collectivités " notamment via Business France, Atout France, pour ce qui est du tourisme, ou Expertise France, l'agence française d'expertise internationale. Les collectivités seront prochainement associées à une réflexion "sur la mobilisation de la projection de l'expertise technique internationale". Un guide pratique sur l'action extérieure des collectivités sera édité. En matière d'enseignement, une "étude approfondie et périodique" sera lancée par Campus France, avec Régions de France et France urbaine. Les rapporteurs préconisent aussi "une véritable stratégie pour la coopération transfrontalière" devant identifier les "projets structurants" à chacune des frontières de la France. Ils demandent aussi un renforcement des moyens de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT).
L'une des propositions du livre blanc a connu un traduction croncrète, ce 6 décembre, avec la signature de la "charte d'alliance stratégique" de l'AFD et la Caisse des Dépôts, à l'occasion des 75 ans de l'agence. Comme l'a annoncé le gouvernement à l'issue du Comité interministériel à la coopération internationale et au développement qui s'est tenu à Paris, le 30 novembre, les deux institutions vont créer un fonds d'investissements dans les infrastructures dans les pays en développement, notamment en Afrique. Dans un premier temps, la Caisse des Dépôts l'abondera à hauteur 500 millions d'euros (voir ci-contre notre article du 5 décembre 2016). La charte liste une série de onze domaines prioritaires : transition énergétique, transition numérique, économie sociale et solidaire, développement urbain... Elle prévoit en outre l'installation d'un "correspondant internationalisation" dans chacune des directions régionales de la Caisse des Dépôts afin de faciliter le lien avec les collectivités. 


 

 

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