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Commande publique - Les clauses d'insertion donnent de l'espoir !

Le 5 février, professionnels du social et de l'achat public se sont retrouvés à Paris pour envisager l'avenir des clauses d'insertion dans les marchés publics. Premier constat : ces leviers fonctionnent mais imposent des précautions juridiques et une organisation spécifique.

"Dans les années 90, l'Union européenne avait pour objectif d'exclure toute clause de préférence locale dans la commande publique. Les Etats estimant cette logique handicapante ont interrogé Bruxelles : comment, avec de telles restrictions, utiliser les marchés comme un outil de politique générale ?"  Jérôme Grand d'Esnon, directeur des affaires juridiques du Minefi qui intervenait le 5 février lors de la rencontre "Clauses sociales et promotion de l'emploi dans les marchés publics", a rappelé que dix années ont été nécessaires pour débloquer la situation. "Avec la directive de 2004, les critères sociaux et environnementaux sont intégrés. La porte est donc entrouverte." Pour les professionnels de l'insertion et de l'achat, venus nombreux au ministère de l'Economie pour la rencontre animée par l'association Alliance Villes Emploi, la prise en compte de l'insertion dans les marchés publics a pris de l'ampleur depuis une dizaine d'années. D'abord expérimentale et à la limite du droit, elle est, depuis le Code des marchés de 2004, inscrite dans les textes.

 

Article 14 : le critère social doit être lié au marché

L'article 14 du Code des marchés permet à l'acheteur public de demander aux entreprises de réserver une partie des heures générées par le marché à une action d'insertion. Soit cette entreprise recourt par sous-traitance à une entreprise d'insertion, soit des salariés sont mis à disposition durant la durée du marché, soit enfin, une embauche directe est choisie. L'usage de cette clause impose au maître d'ouvrage de faire figurer dans son cahier des charges administratives particulières le pourcentage ou le nombre des heures réservées. Reste que les critères principaux demeurent ceux du marché en question. "Jusqu'où peut-on ouvrir la porte ? Pour appliquer l'article 14, il faut s'appuyer sur des idées simples, a résumé Jérôme Grand d'Esnon. Le critère social doit être lié à l'objet du marché, c'est-à-dire que le marché doit être favorable à l'employabilité d'une personne peu qualifiée. Pourtant, un jour, un juge pourra considérer que cette clause est discriminatoire car le taux d'heures demandé sera trop élevé!"

 

Des milliers d'heures d'insertion comptabilisées dans les collectivités

Malgré ces incertitudes, sur le terrain, un certain nombre de collectivités, essentiellement les agglomérations et les EPCI, utilisent l'article 14, principalement pour les marchés de travaux, et comptabilisent, pour les plus avancés, des milliers d'heures d'insertion et des emplois créés. Depuis 2003, la communauté d'agglomération de Grenoble qui a inséré la clause dans ses marchés des grands chantiers (notamment la troisième ligne de tramway) comptabilise 143 emplois durables, 20 contrats d'apprentissage et 25 intérims réguliers. "C'est un long chemin, car il faut sécuriser les élus et les services des collectivités", a commenté Philippe Mottet, président du Grand Angoulême. Lancée en 2006, la clause d'insertion a déjà permis à la communauté d'agglomération de comptabiliser 4.000 heures d'insertion et elle devrait s'appliquer à de nouveaux marchés comme la maintenance et l'entretien des espaces verts. Les précurseurs sont satisfaits : l'outil fonctionne et devrait, avec notamment la charte de l'Anru qui impose 5% d'heures d'insertion pour les chantiers de rénovation urbaine, s'étendre à de nouvelles collectivités. "Aujourd'hui, sur la base des 120 conventions signées, les deux tiers des collectivités se sont fortement mobilisées", a résumé Damien Robert, secrétaire général de l'Anru. Les départements et les régions sont en retard : une dizaine de conseils généraux et quatre ou cinq régions seulement se sont lancés. Au-delà de l'article 14, l'article 53 du code permet de définir, au nombre des critères de choix d'un marché, celui de la performance en matière d'insertion. "Sur l'article 53, le risque juridique existe. Actuellement, trois expériences sont en cours à Dunkerque, Nantes et à Strasbourg", a précisé Patrick Loquet, directeur du Réseau 21.


Article 30 : la question de la publicité adaptée

Le code prévoit aussi dans son article 30 la possibilité pour la collectivité de passer des marchés de services de qualification et d'insertion professionnelle suivant une procédure allégée. Les critères du marché sont ceux rattachés à la prestation d'insertion (accompagnement du public, évaluation...) et non plus la qualité de la peinture ou la tonte du gazon. "Le Code des marchés de 2006 a imposé une limite, reconnaît le directeur des affaires juridiques du Minefi. Une jurisprudence du Conseil d'Etat (voir encadré ci-dessous), que je qualifierais de droit inutile, nous a imposé une mise en concurrence. Je sais les problèmes que cette mesure génère." Eric Pliez, président de la commission Emploi Formation de la Fnars a  demandé la suppression de cet alinéa : "L'article 30 concerne des publics en très grande difficulté. Comment dans ces conditions faire jouer la concurrence ? Seul le conventionnement est adapté." Les professionnels de l'insertion ont mis en avant le risque avec "cette publicité adaptée" de favoriser les publics les plus proches de l'emploi. Les dispositions du Code des marchés, disent-ils en substance, sont prévues pour favoriser l'insertion et non pour faciliter la flexibilité de l'emploi. "Notre objectif est d'expliquer aux acheteurs publics de ne pas se rétracter face à ces incertitudes juridiques. Dans cette optique, nous allons leur proposer un outil de recommandations, a conclu Michèle Hourt-Schneider, sous-directrice de la commande publique de la DAJ du Minefi. Celle-ci a aussi évoqué le recours à la subvention : "Elle se différencie des clauses d'insertion car c'est l'association et non la collectivité qui définit un besoin. Ensuite, l'association s'adresse aux pouvoirs publics pour leur demander une contribution pour réaliser ses projets."

 

Clémence Villedieu

 

 Pour réussir l'application de l'article 14

- une volonté politique ;
- un dispositif de gestion de la clause (un chargé de mission clause d'insertion)
- un guichet territorial unique et partenarial pour mutualiser les demandes d'heures d'insertion des donneurs d'ordres et les offres des entreprises et associations d'insertion (la présence d'un PLIE est un facteur supplémentaire de réussite) ;
- un système de veille auprès des personnes concernées par cette clause.


La position du Conseil d'Etat vis-à-vis de l'article 30

Dans son arrêt du 23 février 2005, le Conseil d'Etat a jugé qu'en dispensant d'une façon générale les marchés non visés à l'article 29 du CMP de passation de toute procédure adéquate de publicité et de mise en concurrence, l'article 30 alinéa 1 méconnaît les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (article 1er du CMP).
CE, 23 février 2005, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics et autres, affaires 264712, 265248, 265281, 265343.


Lire aussi sur Localtis

"La communauté d'agglomération de Dijon veut faire de la commande publique un levier pour l'insertion" (3 mars 2005)
"Chantier du tram-train de l'agglomération mulhousienne : la clause d'insertion tient ses promesses!" (19 octobre2005)
"La communauté urbaine de Dunkerque : un acheteur éco-responsable" (2 septembre 2004)

 

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