Réforme territoriale - Les agglomérations de taille moyenne vont-elles "jouer en seconde division" ?
Certains présidents d'intercommunalité s'inquiètent de la proposition faite par le comité pour la réforme des collectivités locales de créer par la loi onze métropoles à partir de 2014. Principale critique faite par ces élus : le risque de voir se détacher un peloton de tête de grandes agglomérations puissantes et privilégiées au détriment des agglomérations de plus petite taille. C'est notamment à leur invitation pressante que l'Assemblée des communautés de France (ADCF), qui organisait le 7 mai à Paris sa sixième journée des présidents d'agglomération, réclame une application élargie du statut de métropole.
"On ne peut assécher le territoire en valorisant quelques espaces métropolitains", a fait par exemple remarquer Etienne Butzbach. Le maire de Belfort, qui préside la communauté d'agglomération belfortaine, compare le concept de métropole à un "label" grâce auquel les territoires qui le détiendront pourront prétendre à l'installation de "certains équipements", tandis que les autres en seront probablement exclus.
"Il y aura la première et la deuxième division", résume de son côté Gilles Demailly, maire d'Amiens et président d'Amiens Métropole. Pas de doute, selon lui, l'Etat se prépare à mettre en oeuvre pour les communautés la politique qu'il a appliquée plus tôt aux universités : "L'Etat concentre ses efforts sur dix universités et fait financer les autres par les régions et les départements", explique-t-il en connaissance de cause, puisqu'il a présidé l'université de Picardie Jules-Verne.
Ces propos ont fait bondir le député Michel Piron. Auteur en 2006 d'un rapport sur "l'équilibre territorial des pouvoirs", qui l'a amené à s'intéresser à la décentralisation en Europe, Michel Piron a rétorqué que chez nos voisins, on retrouve des agglomérations aux statuts différents sans que cela ne pose a priori de difficultés. Dans le même camp, le sénateur Dominique Braye rappelle qu'en 1999, personne "n'a poussé de cris d'orfraie" quand il a été choisi de réserver la faculté de créer une communauté urbaine aux intercommunalités de plus de 500.000 habitants.
Pour Edouard Balladur qui a présidé le comité pour la réforme des collectivités locales et qui a répondu jeudi aux questions des présidents d'agglomération, le nombre des métropoles "ne doit pas être un point de doctrine". L'ancien Premier ministre a d'ailleurs rappelé que le comité n'avait pas fermé la porte aux agglomérations qui n'ont pas été retenues sur la liste des onze métropoles. "On peut discuter du nombre des métropoles", a-t-il encore indiqué, précisant qu'il ne fallait surtout pas "confondre les métropoles avec les capitales régionales", les premières ayant plutôt une vocation économique.
Didier Marie, président de la communauté d'agglomération Elbeuf-Boucle de Seine, a acquiescé. Pour lui, "les vraies questions" sont plutôt "du côté des compétences et des moyens" de l'intercommunalité. Il a proposé que les communautés d'agglomération puissent de ce fait "caler leurs compétences sur celles des communautés urbaines".
Transferts de compétences négociés
Didier Marie, qui préside aussi le conseil général de Seine-Maritime, soulève cependant un autre problème. La création des métropoles va selon lui modifier "la nature même" des intercommunalités concernées. Ces "administrations de projet" deviendront en effet des "administrations de gestion" par le transfert des compétences exercées actuellement par le conseil général.
Autre question soulevée par les présidents d'agglomération : l'avenir des départements là où les métropoles vont être créées. Pour Didier Marie, la remise en cause des compétences du conseil général sur la partie la plus riche du département va priver celui-ci des moyens de mettre en oeuvre des politiques de solidarité "financière", "territoriale" et "humaine".
Edouard Balladur ne croit pas à ce scénario : selon lui, "les solidarités demeureront". Reconnaissant toutefois que tout risque n'est pas exclu, il recommande des transferts du département vers la métropole qui ne soient "ni automatiques, ni complets". Et préconise que ces transferts soient effectués par la voie contractuelle.
L'avenir des communes situées au sein des métropoles préoccupe également certains élus. Etienne Butzbach, par exemple, redoute que ces communes ne deviennent purement et simplement des "arrondissements". Edouard Balladur réfute l'argument. Les communes qui seront situées sur le territoire des métropoles conserveront "un conseil élu, un maire, des attributions importantes, des pouvoirs fiscaux propres, des recettes propres...". Le président du Sénat n'est pas inquiet non plus. "La commune reste la cellule souche, mais toute cellule souche connaît une embryogenèse", commente Gérard Larcher avec des mots qu'il tire de son expérience de vétérinaire. Celui-ci se dit par ailleurs personnellement favorable à l'exercice par les futures métropoles de la clause générale de compétence en lieu et place des communes, mesure que préconise le comité Balladur. "Si nous n'osons pas dans ce domaine, nous n'avancerons pas", a-t-il déclaré. Charles-Eric Lemaignen, président de la communauté d'agglomération d'Orléans Val de Loire et président délégué de l'ADCF en charge des métropoles, met aussi en garde ses collègues : "Si l'on ne veut pas que la montagne accouche d'une souris, il faut définir un socle minimum pour les métropoles." Faute d'avoir fait cette démarche, l'Italie a raté sa réforme des métropoles, a fait remarquer l'élu.
Thomas Beurey / Projets publics