Dématérialisation - Les agents de la fonction publique sont-ils prêts au 2.0 ?
Le taux d'utilisation des TIC dans le secteur public est comparable à celui des entreprises financières. Une étude Dares/Insee situait déjà, en 2006, le taux d'équipement informatique des agents de la fonction publique d'Etat à 85%. Mais ce taux, s'il reflète un potentiel, ne donne pas pour autant d'indications qualitatives sur l'impact des TIC sur les conditions de travail. Dans une note d'analyse qu'il vient de publier, le Centre d'analyse stratégique (CAS) se penche plus précisément sur les conséquences de l'omniprésence des TIC pour les agents publics eux-mêmes.
En théorie, les TIC favorisent la polyvalence des tâches et des missions, l'accroissement de l'autonomie et l'enrichissement du travail. Dans la réalité, elles conduisent aussi à l'augmentation du rythme et de l'intensité du travail, au sentiment de renforcement du contrôle de l'activité et à l'affaiblissement des relations professionnelles. L'impact dépend aussi de l'ampleur du changement technologique et des modalités de réorganisation opérées. Sur ce dernier point, la superposition des TIC et des pratiques bureaucratiques classiques est rarement vertueuse. A l'inverse, certaines rigidités organisationnelles freinent le déploiement de certains usages comme la diffusion du télétravail par exemple. Dans l'ensemble, l'usage des TIC influence fortement les relations de travail. La fréquence des échanges distants s'accroît et le "face à face" diminue. Dans le télétravail, par exemple, "les problèmes de cohésion des équipes, de partage de l'information et, dans une minorité de cas, la sensation d'isolement" conduisent même parfois à l'interruption des initiatives.
Stress et motivation
La motivation des agents est un levier déterminant dans le déploiement des TIC. Ceux qui sont en contact avec le public sont les plus directement concernés. Ils sont plus de 73% à déclarer avoir connu des changements "importants" ou "très importants" dans leur travail. Parmi les éléments perturbateurs perçus, l'abstraction dans le travail à travers des échanges plus virtuels avec les usagers, et la pression d'un public de plus en plus pressé sont souvent signalés. Le dernier étant un facteur de stress supplémentaire pour l'agent.
Certaines études fournissent toutefois également des indicateurs positifs. Ainsi, en dépit de la raréfaction des contacts en face à face, la qualité du rapport avec l'usager s'améliore sensiblement dans certaines administrations. Une étude réalisée en 2011 sur les quatre branches de la sécurité sociale (2) nuance les effets négatifs des TIC dans la relation avec le public. Les TIC auraient notamment facilité l'accessibilité des dossiers en donnant aux agents d'accueil accès à l'historique des échanges, des correspondances, des annotations de leurs interlocuteurs. Le traitement plus satisfaisant des problèmes aurait également renforcé l'implication des agents dans leur travail.
Les collectivités locales plus innovantes ?
Dans les collectivités locales, la structure organisationnelle est également porteuse de procédés innovants mais "à plus petite échelle", constatent les auteurs. La taille fait sans doute obstacle à la mise en place de grands systèmes de gestion structurants mais elle se prête plus facilement aux démarches innovantes : "A bien des égards, les collectivités apparaissent comme des entités plus dynamiques et plus ouvertes aux TIC que la fonction publique d'Etat". Le développement du télétravail fait là aussi office de baromètre. Il y aurait autant d'agents télétravailleurs dans les collectivités que dans la fonction publique d'Etat, alors que moins de 20% des fonctionnaires territoriaux occupent des fonctions compatibles avec le télétravail. "Par contraste, les services déconcentrés de l'Etat semblent souffrir de rigidités organisationnelles supérieures aux collectivités, où la volonté d'un maire et de son adjoint suffisent souvent à la mise en œuvre d'un plan TIC", constatent encore les auteurs.
Pistes d'amélioration
Fort de ces différents constats, le CAS formule des propositions pour amplifier l'impact positif des TIC et en "écarter les risques" :
- Renforcer la participation des agents à toutes les étapes des projets TIC pour faciliter l'appropriation et faire émerger de nouvelles pratiques, à travers la création de petits groupes d'expérimentateurs.
- Associer les directeurs des ressources humaines et ceux des finances à l'élaboration des projets afin de mieux apprécier les conséquences des TIC sur l'évolution des missions, des métiers et des fonctions des agents.
- Améliorer le système de formation et de valorisation des compétences des agents dans le domaine des TIC, en particulier dans les catégories B et C. Sur le volet formation, l'accent pourrait être mis sur les pratiques innovantes comme l'entraide collective et sur l'introduction d'un volet "TIC et compétences" dans le cadre des entretiens d'évaluation des agents. L'élaboration de modes de rémunération adaptés contribuerait sans doute à accélérer l'appropriation de ces outils.
- Assurer un pilotage transversal destiné à faciliter les procédures de coordination, favoriser l'émergence de nouvelles attentes et faire face à la complexité des phénomènes engendrés par les TIC. Cette fonction devrait être assurée par un seul service, en copilotage avec tous ceux qui sont associés.
(1) "Quel est l'impact des TIC sur les conditions de travail dans la fonction publique?" – janvier 2013 N°318.
(2) "Etude des impacts de la dématérialisation des données et des échanges sur les métiers et les compétences au sein des organismes de sécurité sociale" (2011 - UCANSS)