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Ressources humaines - Les agences d'intérim, alliées des collectivités locales ?

Un an après la loi sur la mobilité qui a autorisé le recours à l'intérim dans la fonction publique, les collectivités ont encore peu utilisé cet outil. Une circulaire du 3 août dernier rappelle que la loi a fixé des conditions strictes afin d'éviter les abus. Dans certains secteurs soumis à de fortes tensions (médical et médicosocial, technique), les entreprises de travail temporaire pourraient cependant constituer un outil utile pour les collectivités.

La ville de Saint-Pierre-des-Corps, près de Tours, dispose d’un centre municipal de santé. Son fonctionnement repose notamment sur dix infirmières, dont plusieurs ont choisi de travailler à temps partiel. Afin d’"assurer la continuité du service", la commune (15.600 habitants) a recours à des intérimaires. Six infirmières sont ainsi intervenues en 2009, représentant un coût de 120.000 euros. L'emploi d'interimaires, autorisé par la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité, était la seule solution pour la collectivité : en effet, démuni face à la pénurie d‘infirmières, "le centre de gestion a eu très peu de candidats à proposer". Restaient donc les entreprises de travail temporaire, qui ont le gros avantage d’être connues des demandeurs d’emploi. Cette solution, exceptionnelle, a donné satisfaction à la municipalité, comme en témoigne Pascal Mijeon, responsable du service du personnel de la ville : "Ces agents ont ‘tourné’ dans de nombreux secteurs et grâce à cela ont acquis une large autonomie." En outre, ils ont en général déjà été "sensibilisés aux règles de sécurité au travail", soit dans leurs précédentes fonctions, soit parce que les agences d’intérim les ont formés. Ce "plus" est indéniable lorsque l’on doit remplacer au pied levé, par exemple un agent malade.

Des atouts, l’intérim n’en manque pas. Pour Jean-Baptiste Thiercelin, directeur du pôle public de Randstad France, qui se situe à la troisième place des "acteurs français des services en ressources humaines", "l’argument numéro un, mis en avant par les collectivités elles-mêmes", est la réactivité des entreprises de travail temporaire. Autres points forts : la sécurité juridique apportée par des professionnels du recrutement et de l’emploi ; l’énorme vivier de candidats (1,2 million chez Randstad) dont ils disposent. Et la simplicité : l’agent étant mis à disposition par l’entreprise qui l’emploie, la collectivité ne gère aucune démarche d’ordre administratif. Le groupe néerlandais a conscience, toutefois, de son point faible : une connaissance encore imparfaite de la fonction publique, en particulier de ses métiers les plus spécifiques. C’est pourquoi il laisse le champ totalement libre aux centres de gestion pour le remplacement des secrétaires de mairie. Pour les entreprises de travail temporaire, l’expérience de la fonction publique est, il est vrai, bien courte. Mais elles s’organisent. 700 employés de Randstad ont ainsi reçu une formation leur permettant de mieux connaître ce nouvel environnement. De plus, chaque agence dispose d’un référent pour la fonction publique.

"Complémentarité public-privé"

Outre des professionnels du secteur médicosocial, les agences du groupe Randstad mettent à la disposition des collectivités "des aides comptables, des secrétaires, du personnel de restauration, des agents d’accueil, des éducateurs de jeunes enfants" et bien d’autres types d’agents encore. A chaque fois, la collectivité a en principe consulté le centre de gestion dont elle dépend, comme l’exige la loi et ainsi que le confirme la circulaire d’application, diffusée un an jour pour jour après la promulgation de la loi (circulaire du 3 août 2010, en lien ci-dessous). Si le centre "n'est pas en mesure d'assurer la mission de remplacement", la collectivité est autorisée à se tourner vers une entreprise de travail temporaire. Tous les centres de gestion n’assurent pas cette compétence facultative.

Une soixantaine de centres de gestion participent au groupe de travail de l’Association nationale des directeurs de centres de gestion portant sur le remplacement des personnels, ce qui donne une idée du nombre de centres disposant d’un service dédié. "Trois ou quatre centres de gestion ont mis en place un service qui fonctionne très bien", estime Jean-Baptiste Thiercelin. Autrement dit, dans les départements concernés, les agences d’intérim ont peine à se faire une place. A l’inverse, "une petite dizaine" de centres n’auraient pas les moyens d’assurer ce service de remplacement et, donc, auraient donné "carte blanche" aux entreprises d’intérim. Certains responsables de centre de gestion considéreraient les agences d’intérim comme des "concurrents". "C’est une erreur, réagit le directeur du pôle public de Randstad. Nous avons intérêt à travailler ensemble." Edith Martin, directrice du centre de gestion de l’Isère, acquiesce et évoque la "complémentarité" entre acteurs publics et privés. Selon elle, les centres de gestion auraient naturellement vocation à fournir des candidats pour les "fonctions ou métiers présentant des caractéristiques et spécificités liées au droit public et au monde territorial". Les agences d’intérim seraient bien placées, elles, pour trouver des solutions dans les secteurs du marché du travail qui sont en tension ("le médical et parfois le médicosocial"), de même que pour les métiers techniques.

Pour Ambroise Georget, directeur du centre de gestion des Côtes-d’Armor, les centres ne doivent pas craindre la présence des agences d’intérim sur le marché de l’emploi territorial : "Si les centres font l’effort de se professionnaliser, ils feront face." L’expérience du centre des Côtes-d’Armor en est la preuve. En 2009, celui-ci a géré chaque mois en moyenne 528 agents chargés d’effectuer des remplacements pour le compte des collectivités du département. 42% sont intervenus dans la filière technique, 36% dans la filière administrative et 16% dans le médicosocial. Malgré l’autorisation donnée aux collectivités locales de recourir à l’intérim, "on a augmenté nos interventions pour des missions temporaires", constate le directeur.

Comme en Isère ou dans les Côtes-d’Armor, les centres de gestion les plus en avance forment solidement les personnes qui sont appelées à effectuer des missions temporaires. Celles-ci sont ainsi immédiatement opérationnelles sur leurs postes. "Nos atouts, ajoute Edith Martin, ce sont, d’une part, une relation de confiance avec les collectivités, provenant d’un accompagnement attentif pour répondre à la diversité de leurs besoins et, d’autre part, un suivi en cas de problèmes lors du remplacement."

"Coût élevé ?" 

Très encadré par la loi du 3 août 2009, le recours à l’intérim "se développe doucement" dans la fonction publique territoriale, constate-t-on chez Randstad. Après un an, le groupe compte, en France, 200 collectivités clientes, principalement de petites communes qui s’adressent à lui pour des remplacements de courte durée. Les plus grosses collectivités parviennent à répondre en interne à leurs besoins. A Cholet, la direction des ressources humaines assure ainsi que la ville "ne rencontre pas de grosses difficultés de remplacement". Et ce, grâce à un fichier de demandeurs d’emploi tenu à jour en permanence et des équipes mobiles. Randstad compte malgré tout séduire aussi les grandes collectivités en assurant que celles-ci ont tout intérêt à lui déléguer la gestion des agents contractuels. Les intérimaires bénéficieraient en effet d’un statut "plus protecteur".

Un tiers des DRH de la fonction publique interrogés pour le baromètre Randstad, à paraître en septembre, déclarent qu’ils sont prêts à faire confiance à une agence d’intérim. C’est le signe, assure Jean-Baptiste Thiercelin, que les "freins psychologiques" au développement de l’intérim, importants hier, sont en train d’être levés progressivement. Reste un problème de taille : le coût de l’intérim, qui aux yeux des clients paraît "élevé". Un intérimaire coûterait au total à la collectivité deux fois le salaire net versé à l’agent. Mais ce coût peut varier fortement en fonction de la mission demandée à l’entreprise de travail temporaire ou du profil recherché par la collectivité. Les entreprises mettent en avant leurs "faibles marges" et assurent qu’elles sont, dans certains départements, "moins chères" que les centres de gestion. Ce n’est clairement pas le cas dans l’Isère où la cotisation demandée par le centre s’élève à 10% du salaire, charges comprises.

 

Thomas Beurey / Projets publics

 

Références : loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique ; circulaire du 3 août 2010 relative aux modalités de recours à l’intérim dans la fonction publique.