Le sport sur ordonnance à la croisée des chemins
Né il y a bientôt dix ans, le sport sur ordonnance a d'abord été pris en charge par les collectivités. Au niveau national, les avancées législatives et réglementaires restent timides. Les expérimentations de nouvelles organisations en santé pourraient être décisives pour créer un modèle économique soutenable.
Le sport sur ordonnance, et plus généralement le sport-santé, est "à la croisée des chemins". Didier Ellart, médecin, adjoint au maire de Marcq-en-Baroeul (Nord) et membre du comité directeur de l'Association nationale des élus en charge du Sport (Andes), l'a affirmé lundi 11 octobre à l'occasion des IVe Assises européennes du sport-santé sur ordonnance, tenues en visioconférence.
Ce spécialiste de la prévention par le sport dresse avant tout un tableau très sombre : "Le confinement a été une véritable bombe à retardement sanitaire." Et cela dans un paysage qui, avant la crise sanitaire, n'était déjà pas au beau fixe : "54% des hommes et 44% des femmes de 18-74 ans, mais aussi 17% des enfants de 6 à 17 ans sont en surpoids ou obèses. Par ailleurs, 66% des 11-17 ans présentent un risque sanitaire préoccupant car ils passent plus de deux heures par jour devant un écran. Et depuis quarante ans, on sait que les jeunes ont perdu de leurs capacités cardiovasculaires."
Un long parcours législatif
Or l'activité physique adaptée, c'est désormais une certitude, constitue une vraie solution. Didier Ellart : "Le fait de faire du sport de manière régulière et adaptée réduit de 30% le risque de développer des maladies cardiovasculaires, alors que la première cause de mortalité chez la femme de plus de cinquante ans est l'infarctus du myocarde, et de 20% à 25% les risques de cancer du sein et du colon. Cela réduit également les risques de diabète de type II et augmente la longévité de sept ans." Le diagnostic posé, le remède trouvé, il est plus que temps de passer à l'action.
Sur ce terrain, on s'est heurté ces dernières années à la lenteur des procédures législatives et réglementaires. Il y a eu, en 2015, l'amendement Fourneyron, autorisant le médecin traitant à prescrire une activité physique adaptée (APA) à un patient atteint d’une maladie de longue durée. Puis le 30 décembre 2016, un décret précisant quels professionnels pouvaient prendre en charge cette prescription. Enfin, en 2018, l'article 51 de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) a introduit un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé, et – nerf de la guerre oblige – de déroger à certaines règles de financement de droit commun. "Les freins commencent à se lever, admet Didier Ellart, mais le modèle médical est assez compliqué. Les médecins manquent d'information, de formation, de disponibilité. Et il existe un risque juridique de transférer des patients à un kinésithérapeute ou à un éducateur en activité physique et sportive adaptée."
"L'argent de poche de l'État"
Quant au financement par la Sécurité sociale, il n'est toujours pas admis, à l'exception d'un forfait de 180 euros, instauré tout récemment, au 1er janvier 2021, qui permet, dans un parcours de soins après le traitement d’un cancer, d'établir un bilan et d’élaborer un projet d’activité physique adaptée. De leur côté, quelques mutuelles commencent à rembourser le sport sur ordonnance sur une base forfaitaire.
Résultat, ce sont les collectivités qui prennent les choses en main. "Les communes sont les chevilles ouvrières des dispositifs de sport-santé et de sport sur ordonnance, que ce soit au niveau des installations, des subventionnements aux associations et des mises à disposition de personnel", estime Didier Ellart.
Dès 2012, Strasbourg, pionnière en la matière, a proposé la gratuité des séances de sport sur ordonnance pendant un an. Mais cette "politique volontariste des collectivités locales" s'exerce avec "un budget limité et contraint". "L'argent de poche que nous donne l'État par les dotations de fonctionnement se réduit comme peau de chagrin chaque année", pointe Didier Ellart.
L'heure est donc à la recherche d'un "modèle économique cohérent". Pour atteindre ce but, les acteurs impliqués comptent aujourd'hui sur les expérimentations rendues possibles par la LFSS 2018. À la clé : un financement de l'évaluation et des rémunérations dérogatoires via le fonds d’innovation du système de santé (Fiss), mais aussi des coûts d’amorçage et d’ingénierie pour les projets nationaux. Quant aux projets régionaux, ils sont éligibles à un fonds d’intervention régional (FIR) pour l’amorçage, le support et le reporting des projets.
Gare à la fracture territoriale !
Lors des Assises du sport-santé sur ordonnance, le Pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) du pays de Saverne (Bas-Rhin, 88.000 habitants) est venu témoigner. En 2020, il a signé un premier contrat local de santé (CLS) incluant Prescrimouv, le programme de l'ARS du Grand Est pour le sport-santé sur ordonnance.
Marie Jacquier, chargée de mission santé au PETR du pays de Saverne détaille le projet : "On aimerait créer des parcours de patients en commençant par trois affections de longue durée qui réuniront de manière naturelle tous les acteurs autour de ces maladies. Ces affections seront choisies en s'appuyant par les données fournies par l'ARS et la CPAM, mais aussi et surtout en écoutant les besoins remontés par les acteurs du territoire." À travers ces parcours de patients, le PETR du pays de Saverne souhaite également "réaliser des économies sur les soins, notamment en évitant les actes en doublon et les hospitalisations évitables par une meilleure communication entre les professionnels". Le tout grâce à un réseau organisé sous une forme "neutre et indépendante", ajoute Marie Jacquier. Quant aux économies réalisées par ce biais, elles seront redistribuées afin de financer les actes non financés par la CPAM, comme les actions de prévention et de promotion de la santé, donc le sport-santé sur ordonnance et plus généralement l'activité physique adaptée.
Si la LFSS de 2018 a ouvert des voies dans lesquelles les collectivités s'engouffrent pour tenter de dégager des moyens de financement, Didier Ellart alerte toutefois sur les disparités territoriales qui pointent déjà : "La prise en charge des ARS est assez disparate, à géométrie variable en fonction des territoires." Et l'élu d'appeler de ses vœux "un équilibre territorial pour permettre l'accès aux soins aux patients les plus défavorisés et les plus éloignés du système de santé".