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Affaires juridiques - Le Sénat veut clarifier la prise illégale d'intérêt, véritable cauchemar des élus

"Prise illégale d'intérêt" : le terme a de quoi inquiéter élus et fonctionnaires, y compris dans des situations anodines. Et ce d'autant plus que la jurisprudence récente a élargi le champ de ce délit pénal. Une proposition de loi sénatoriale vise à le clarifier. Sans pour autant diminuer la responsabilité des élus.

Les sénateurs examineront en première lecture, le 24 juin, une proposition de loi visant à "clarifier le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêt". Ce délit dont sont passibles les élus, les fonctionnaires et les personnes chargées d'une mission de service public, est constitué dès lors que "la personne a pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont il a, au moment des actes, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement" (article 432-12 du Code pénal). Autant dire que la notion est très floue. Or, la jurisprudence récente, en particulier celle de la Cour de cassation, ne l'a pas rendue plus claire, posant du coup "une épée de Damoclès au-dessus de la tête de tout élu et fonctionnaire", fait remarquer Bernard Saugey, sénateur de l'Isère, auteur de la proposition de loi.
Dans un arrêt du 22 octobre 2008, la haute juridiction a en effet affirmé que l'infraction ne nécessite pas que les coupables "aient retiré de l'opération prohibée un quelconque profit, ni que la collectivité ait souffert un quelconque préjudice". Elle a condamné par conséquent pour prise illégale d'intérêt quatre élus de Bagneux (Hauts-de-Seine) à des amendes de 1.000 à 1.500 euros. Leur tort : avoir participé au vote de subventions destinées à des associations dont ils assuraient la présidence.
La portée de l'arrêt est immense. "Songez qu'un maire qui voterait une subvention au club de football et dont le petit-fils jouerait dans l'équipe pourrait être accusé de prise illégale d'intérêts", dénonce Bernard Saugey. Les élus sont confrontés à la difficulté en de nombreuses occasions. Jacqueline Gourault, sénatrice et maire de La Chaussée-Saint-Victor (Loir-et-Cher), a indiqué par exemple lors de la discussion en commission des lois que sa commune "a participé à la création d'une crèche d'entreprises en achetant dix places". Or, onze demandes ont été déposées, dont celle de sa belle-fille. "Elle a retiré sa demande !", conclut l'élue, membre du bureau de l'Association des maires de France. "C'est le cas typique où j'aurais pu tomber sous le coup de 'l'intérêt quelconque'" [ndlr : qui constitue le délit de prise illégale d'intérêt]", souligne-t-elle.

 

Le gouvernement s'oppose au texte

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les élus rechignent à assurer la direction ou la présidence d'une association municipale. Sans hésiter, le rapporteur du texte, la sénatrice Anne-Marie Escoffier, juge que la jurisprudence constitue "un véritable frein à l'action des élus et des fonctionnaires".
En clarifiant la notion d'intérêt, la proposition de loi exclut justement du champ de la répression les élus siégeant "es qualités" comme représentants de leur collectivité "au sein des instances décisionnaires des organismes extérieurs" (comme les associations) dans la mesure où ils "n'y prennent pas d'intérêt personnel distinct de l'intérêt général".
Approuvée par la commission des lois le 2 juin, la proposition de loi ne recueille cependant pas la faveur du gouvernement, celui-ci craignant que l'initiative du Sénat soit mal accueillie par l'opinion publique et les instances internationales qui pourraient y voir un signe du moindre engagement de la France dans la lutte contre la corruption. "Tout signal de ce type dans la période actuelle est à manier avec d'infinies précautions", a indiqué Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice. 
Le texte "ne vise nullement à amoindrir la responsabilité des élus ou les sanctions, mais à réprimer la recherche de l'intérêt particulier", lui a répondu le rapporteur.
Selon l'article 432-12 du Code pénal, les personnes jugées coupables de prise illégale d'intérêt encourent jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende. Elles peuvent aussi être déchues de leurs droits civiques pendant une période de cinq ans et se voir interdire l'exercice de fonctions publiques. 49 condamnations - dont 10 à l'encontre d'élus - ont été prononcées, en 2007, au titre de ce chef d'accusation. Deux ont débouché sur des peines de prison avec sursis.


Thomas Beurey / Projets publics

 

Références : article 432-12 du Code pénal ; arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre 2008.

 

 

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