Emploi - Le Sénat souhaite une refonte de la formation professionnelle
Depuis janvier 2007, la mission d'information du Sénat sur la formation professionnelle, présidée par Jean-Claude Carle, sénateur UMP de Haute-Savoie, a réalisé plus d'une cinquantaine d'auditions à travers la France et dans certains pays européens. L'objectif de ce grand audit, qui doit déboucher sur un rapport cet été, est de déterminer les moyens d'optimiser les dispositifs actuels de formation professionnelle envers lesquels les critiques fusent. Un point d'étape organisé le 29 mai a été l'occasion de relever les handicaps de cette politique. En premier lieu, la complexité du dispositif ressort comme un frein important. "Nous sommes dans un grand magma avec des sommes colossales où les entreprises sont déresponsabilisées", s'est notamment indigné Eric de Fiquelmont, ancien directeur des ressources humaines de Véolia Environnement, reçu par la mission. D'un côté, les salariés, les jeunes et les demandeurs d'emploi ont du mal à s'y retrouver et sont souvent obligés de construire eux-mêmes leur parcours de formation. De l'autre, les entreprises, notamment les PME, considèrent le système trop complexe et abandonnent souvent la mise en oeuvre de telles politiques. "Certaines entreprises finissent par considérer la formation comme une taxe et non comme un investissement", a alerté Eric de Fiquelmont qui préconise de rendre le système beaucoup plus limpide. Autre problème constaté : le nombre exponentiel des acteurs en présence rendant d'autant plus difficile leur coordination. Organismes paritaires collecteurs agréés, organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage, prescripteurs, organismes de formation. "Le système est défiguré car il y a trop d'acteurs", a ainsi fait remarquer Jacques Delors, président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc).
Une politique peu régulée sans objectifs clairs
Selon Jacques Delors, le plan régional de développement des formations (PRDF) devrait pouvoir jouer le rôle de fil conducteur, "mais les régions ont encore du mal à se l'approprier et leur connaissance en matière de formation professionnelle est encore faible". Certaines régions considèrent aussi qu'elles ne bénéficient pas de moyens suffisants pour exercer les nouvelles compétences en matière de formation qui leur ont été confiées au fil des années depuis les premières lois de décentralisation. A ce problème de complexité s'ajoutent les vieux réflexes comme le corporatisme et le cloisonnement des structures en charge de la formation. "La formation professionnelle repose actuellement sur six ministères différents sans qu'il y ait de véritable coordination d'ensemble", a ainsi remarqué Jean-Claude Carle. Et la question du financement de la formation se pose également. A l'heure actuelle, elle mobilise 24 milliards d'euros, qui se partagent entre les dépenses de l'Etat pour former ses agents (3 milliards d'euros), les dépenses des entreprises (10 milliards), les dépenses des régions, essentiellement dédiées aux jeunes et aux demandeurs d'emploi (3 milliards) et les sommes consacrées à l'apprentissage (4 milliards). Selon Claude Thélot, conseiller-maître à la Cour des comptes, qui s'est penché sur cette répartition budgétaire, "la formation est une politique peu régulée pour laquelle il n'existe pas d'objectifs explicites". En découlent des financements nombreux et hétérogènes dont on ne peut réellement mesurer l'efficacité.
"Passer d'une logique de moyens à une logique de résultats"
Face à ce diagnostic critique, la mission d'information du Sénat prépare des recommandations pour améliorer la formation professionnelle en France, avec un principe de base, énoncé par Jean-Claude Carle : "Abandonner la logique de moyens pour une logique de résultats." La mission préconise notamment un meilleur contrôle de la part de l'Etat, à travers un ministère "chef de file", capable de coordonner l'action des autres ministères concernés. Autre recommandation : construire la politique de formation professionnelle sur les trois échelons essentiels que sont l'Etat, qui peut assurer l'équité du système, les régions qui, à travers les PRDF amenés à évoluer, correspondent au bon échelon de cohérence d'ensemble, et le bassin de la formation, c'est-à-dire le lieu de concrétisation de la politique définie par le conseil régional. En définitive, estime Jean-Claude Carle, la formation professionnelle doit pouvoir répondre à une triple demande : sociale (former les jeunes), économique (répondre aux besoins des entreprises) et territoriale. "En France, jusqu'à maintenant, on s'est surtout intéressé au problème social. En Allemagne, la logique est complètement inverse : les besoins économiques passent avant tout." Les résultats se font ressentir au niveau des taux de chômage : en France, le taux de chômage des jeunes s'établit entre 17 et 20% selon les régions, en Allemagne, il n'est que de 4 à 7%. La mission d'information doit encore réaliser une vingtaine d'auditions avant de rendre ses conclusions dans un rapport publié autour du 15 juillet.
Emilie Zapalski