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Urbanisme - Le Sénat pour "une nouvelle architecture territoriale" de l'ingénierie publique

Piloté par Pierre Jarlier, le groupe de travail de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat chargé de réfléchir à l'avenir de l'ingénierie publique en matière d'urbanisme vient de remettre son rapport. Il souhaite notamment encourager la mutualisation au niveau intercommunal et propose de nouvelles pistes de financement.

Le 1er janvier 2012 a sonné le glas de l'ingénierie publique d'Etat auprès des collectivités. Même si les services de l'Etat doivent continuer à apporter une aide aux communes de moins 10.000 habitants en matière d'ingénierie, la règle générale est désormais de s'adresser au privé. Une situation qui met dans l'embarras de nombreuses collectivités qui n'ont pas toujours les moyens de formuler leur demande dans un cahier des charges et de souscrire à toutes les procédures de publicité et de mise en concurrence préalables à la passation d'un contrat avec un prestataire.
En juin 2010, un rapport sénatorial avait déjà alerté sur les risques liés à la "mort annoncée de l'ingénierie publique d'Etat", selon les propos de son auteur, Yves Daudigny (voir ci-contre notre article du 29 juin 2010). Le sénateur de l'Aisne préconisait aussi d'encourager l'exercice d'une nouvelle forme d'ingénierie publique au niveau des départements. Deux ans après, un nouveau rapport sénatorial revient sur la question du retrait de l'ingénierie d'Etat, en se focalisant sur le domaine de l'urbanisme. Fruit d'une réflexion entamée le 24 janvier à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation par un groupe de travail piloté par Pierre Jarlier, sénateur du Cantal et président de la commission urbanisme de l'Association des maires de France (AMF), ce rapport complète celui d'Yves Daudigny en proposant "une nouvelle architecture territoriale" de l'ingénierie pour répondre à un droit de l'urbanisme qui n'a cessé de se complexifier.
"Concrètement, les maires vont être confrontés à court terme à de vraies difficultés comme l'exercice du droit des sols (gestion des documents d'urbanisme, instruction des autorisations d'urbanisme telles que les permis de construire, les déclarations de travaux, etc.) qui leur incombe désormais, alors que l'Etat l'assurait encore jusqu'à présent dans de nombreuses collectivités, notamment les plus petites, écrit Pierre Jarlier dans l'introduction de son rapport. Mais ce n'est pas tout puisque les collectivités territoriales vont devoir faire face à d'autres défis en matière d'urbanisme. Il s'agit notamment des politiques de planification, de plus en plus complexes car nécessitant un nombre croissant de compétences diversifiées en matière de déplacement, d'habitat et de développement durable". "Dans le secteur de l'urbanisme, constate le sénateur, les moyens d'ingénierie territoriale sont essentiellement issus du privé ou des agences d'urbanisme. Mais sur certaines parties du territoire, les élus sont déjà confrontés à un véritable désert d'ingénierie. Par ailleurs, si en matière d'aménagement, les communes du secteur rural bénéficient de l'intervention des services techniques de l'Etat, ces missions ne sont déjà plus assumées dans le domaines concurrentiel."

L'échelle intercommunale privilégiée au niveau opérationnel

Face à cette situation, le rapport de la délégation sénatoriale penche pour une "ingénierie de 'projet' dans laquelle l'ingénierie publique doit être complétée, d'une part par l'ingénierie privée et, d'autre part, par une nouvelle ingénierie publique, celle des collectivités territoriales, afin de créer des 'bouquets d'ingénierie' correspondant le mieux aux besoins". Il fait un distinguo entre l'ingénierie stratégique et l'ingénierie opérationnelle. La première repose sur "l'échelle nationale pour la définition des grandes stratégies de l'Etat en matière d'urbanisme, d'environnement et de développement durable, et l'échelle régionale ou interrégionale pour décliner ces grandes stratégies nationales". Pour la seconde, "au niveau local, l'échelle intercommunale sera vraisemblablement la bonne pour l'exercice du droit des sols et la planification" et au niveau territorial, c'est à l'échelle du département et des grands bassins de vie que devra se traiter la question de l'appui à la planification, estime le rapport.
Concrètement, il recommande donc de "faire de l'intercommunalité l'échelle privilégiée pour l'aménagement opérationnel et l'administration du droit des sols, notamment par la mise en place de services d'instruction mutualisés des autorisations d'urbanisme pour le compte des communes" et d'encourager l'élaboration du plan local d'urbanisme à une échelle intercommunale. Il propose également de "constituer un pôle d'ingénierie départemental, communautaire ou intercommunautaire mutualisé et en réseau avec l'expertise des conseils en architecture, urbanisme et environnement, des agences d'urbanisme et, lorsqu'elles existent, des agences techniques départementales". Avec une précaution à la clef : "s'assurer que l'intervention des départements en matière d'ingénierie ne conduise pas à une tutelle sur les collectivités territoriales concernées, en maintenant le principe du recours au département comme complémentaire et facultatif". Les sénateurs jugent aussi utiles de "renforcer le rôle du Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (Certu) comme instance qui décline au niveau territorial les grandes stratégies de planification et d'aménagement de l'Etat, en assurant une mission d'établissement des référentiels et des guides méthodologiques auprès des collectivités territoriales". Il faudrait aussi mettre en réseau, à l'échelle régionale ou interrégionale, l'ensemble des acteurs de l'ingénierie pour assurer une déclinaison territoriale des grandes stratégies de l'Etat en matière d'urbanisme et d'environnement, estime également la délégation.

Encourager la mise à disposition de personnels de l'Etat

Le rapport s'intéresse également aux moyens humains et financiers dévolus aux collectivités en matière d'urbanisme. Il faut ainsi selon lui "poursuivre la décentralisation de l'instruction des autorisations d'urbanisme en encourageant la mise à disposition des personnels de l'Etat auprès des collectivités territoriales sur la base d'un conventionnement". Il appelle aussi à réglementer le métier d'urbaniste en donnant un statut légal à la profession et en harmonisant la formation pour y accéder. Enfin, le rapport propose d'"optimiser" le financement de l'ingénierie territoriale dédiée à l'urbanisme de trois manières. Tout d'abord, en captant une part du produit de la taxe d'aménagement dans un fonds national d'aide à l'ingénierie dédié à l'urbanisme, permettant la péréquation. Deuxième piste : "mettre en adéquation la ressource des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement issue de la taxe d'aménagement avec les besoins des territoires en augmentant le potentiel de ressource dans les limites du plafond légal". La troisième source de financement préconisée consiste, d'une part, à mobiliser les fonds structurels européens et, d'autre part, à flécher une partie du produit des enchères du système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.