Le Sénat lance une mission sur l'enseignement agricole
L'enseignement agricole connaît une crise structurelle et conjoncturelle. Pour aider à la surmonter, le Sénat crée une mission d'information ad hoc. Parmi ses objectifs : sauvegarder cet enseignement original des convoitises de l'Éducation nationale.
Le Sénat a installé le 9 février une mission d'information sur l'enseignement agricole. Présidée par Jean-Marc Boyer, sénateur du Puy-de-Dôme, cette mission a pour intitulé complet "L'enseignement agricole, un outil indispensable au cœur des enjeux de nos filières agricoles et alimentaires". Derrière ces enjeux, se cachent des réalités à analyser… rapidement. Car le temps presse. Selon Joël Labbé, sénateur du Morbihan, "la moitié des agriculteurs devrait partir à la retraite dans les dix prochaines années". Il convient dont d'"estimer précisément les besoins, pour éviter les décalages entre l'offre et la demande à la sortie de la formation".
Problème de communication
Pour les membres de la mission, les objectifs de transition écologique et énergétique devraient se faire ressentir sur l'évolution des spécialités agricoles. Par ailleurs, la réforme de la politique agricole commune (PAC) influera sur l'installation des jeunes agriculteurs. Il faudra encore évaluer les réformes de l'apprentissage et de la formation professionnelle, d'une part, du baccalauréat, d'autre part, sur l'attractivité et l'efficacité de l'enseignement agricole. Autres sujets de fond à étudier : le développement de l'agriculture biologique – "une tendance lourde" –, de même que l'aspiration à la relocalisation de l'alimentation. Autant de thèmes qui doivent conduire à réorienter les formations agricoles et à "définir la nature d'un enseignement agricole idéal" autour du triptyque "produire, transformer, vendre", selon les mots de la rapporteure de la mission, Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde.
Mais les enjeux de l'enseignement portent également sur des problèmes plus conjoncturels. La crise sanitaire a en effet des conséquences sur les finances des établissements d'enseignement agricole, ainsi que sur leur recrutement. En l'absence de salons ou forums, ces derniers éprouvent des difficultés à se faire connaître auprès des jeunes susceptibles de les rejoindre. Et ce d'autant plus que, selon Jean-Marc Boyer, "l'enseignement agricole a toujours eu un problème de communication pour faire connaître ses filières, ses spécialités, ses débouchés, ses résultats, pourtant excellents".
"Hold-up" de l'Éducation nationale
La mission cherchera également à mettre en exergue ce qui fait la force de l'enseignement agricole… et suscite les convoitises. Sa force, il la tient notamment de sa pédagogie et de son organisation. Ce qui fait dire à Jean-Marc Boyer que l'enseignement agricole "a toujours été précurseur" et que "la réforme du baccalauréat ne fait que transposer ce qui existe depuis une vingtaine d'années dans l'enseignement agricole".
Plus globalement, de nombreux sénateurs ont mis en avant l'appétit du ministère de l'Éducation nationale. Françoise Férat, sénatrice de la Marne, a eu la parole la plus forte en évoquant "le hold-up que l'Éducation nationale veut faire sur l'enseignement agricole". Cette convoitise n'est pas sans conséquence sur l'avenir de l'enseignement agricole. Pour Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, la dernière discussion budgétaire "a été houleuse, le ministère de l'Éducation nationale ayant du mal à accepter l'idée que des activités d'enseignement puissent échapper à son périmètre. L'enseignement agricole a été victime de coupes budgétaires et sa pérennité peut être remise en cause".
"Aller faire cours 'aux paysans'"
Ultime paradoxe de l'enseignement agricole : s'il est convoité, il n'en demeure pas moins étranger au monde de l'Éducation nationale qui le regarde parfois avec dédain. Jean-Marc Boyer : "Dans mon département, on peine à rapprocher au sein d'un pôle éducatif unique un collège et un lycée professionnel agricole, pourtant voisins, afin de développer les passerelles et faciliter l'orientation des élèves. Les enseignants du collège de l'enseignement général n'adhèrent pas à ce projet, comme si aller faire cours 'aux paysans' était dévalorisant."
Pour ce travail sénatorial, le premier d'une telle ampleur depuis 2006, Nathalie Delattre envisage d'ores et déjà d'auditionner, entre autres, les associations représentant les collectivités territoriales, et en particulier Régions de France, ainsi que les ministres de l'Agriculture et de l'Éducation nationale. Les travaux de la mission devraient s'achever au mois de juin afin que ses préconisations puissent être prises en compte dans la préparation du projet de loi de finances pour 2022.
En 2020, l'enseignement agricole comptait quelque 60.000 élèves répartis sur 805 établissements, dont 216 lycées agricoles publics, 211 lycées agricoles privés et 367 maisons familiales rurales. Ces dernières sont des établissements associatifs sous contrat de participation avec l’État ou sous convention avec les conseils régionaux.