Le Sénat adopte une proposition de loi d'autonomisation des écoles
La proposition de loi portée par le sénateur Max Brisson a été largement adoptée en première lecture. Sa principale mesure vise à créer des établissements publics autonomes d’éducation dès le premier degré. Elle prévoit également la possibilité pour une commune rurale de s'opposer à une fermeture de classe. L'avenir de cette PPL est suspendu à un accord avec le gouvernement.
"Je sais que le débat est clivant, et alors ?" En présentant, mardi 11 avril 2023, sa proposition parlementaire de loi (PPL) "pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité", Max Brisson a bien tenté de pimenter le débat en y introduisant une dose de conflit. Mais c'est sans surprise que le Sénat a adopté son texte en première lecture par 220 voix contre 118.
Reconnaissons au sénateur des Pyrénées-Atlantiques que ses solutions pourront paraître radicales, voire inacceptables, aux yeux des tenants de cette Éducation nationale "verticale" dont il a fustigé les carences. "Alors que les pays de l'OCDE consacrent en moyenne 4,5% de leur PIB à l'éducation, la France y consacre 5,2%. Et pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader. L'Éducation nationale est en crise", a lancé Max Brisson en guise d'introduction. Selon lui, les moyens sont pourtant au rendez-vous : +21% de budget entre 2017 et 2022, pour arriver à près de 60 milliards d'euros cette année. "Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Cela masque l'impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités", a poursuivi cet ancien inspecteur général de l'Éducation nationale avant de porter l'estocade : "On dépense beaucoup, on ne repense jamais."
Autonomie des écoles primaires
Pour en finir avec l'"asphyxie bureaucratique" et engager "une rupture avec le conservatisme ambiant", l'article 1er propose une expérimentation, d'une durée de cinq ans, par laquelle les recteurs de région académique passeront un contrat avec des écoles, et leur collectivité de rattachement si elle le souhaite. Contrat qui portera sur le ressort de l’établissement, l’affectation des personnels, y compris enseignants, l’allocation et l’utilisation des moyens budgétaires, l’organisation pédagogique et les dispositifs d’accompagnement des élèves. Autrement dit, parmi d'autres conséquences, la fin de la carte scolaire telle que nous la connaissons.
Le contrat fixera des objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires dans ce que l'on nommera alors des "établissements publics autonomes d’éducation". Cette expérimentation sera toutefois limitée, dans chaque région académique, à 10% des établissements, et sans que plus de 20% des élèves ne soient concernés. Préalablement au contrat, les écoles maternelles ou élémentaires participantes devront obtenir le statut d’établissement public, après accord du conseil municipal ou, le cas échéant, de l’EPCI. L'école sera dès lors régie par les mêmes principes d'autonomie que ceux des collèges et lycées. Dans cette même logique de rapprochement des statuts des établissements, le directeur d’école disposera, à partir d’un nombre de classes fixé par décret, d’une autorité hiérarchique sur les enseignants.
Fermeture de classes : veto du conseil municipal
L'école rurale était dès l'origine du texte un point majeur de la PPL. Il en ressort deux mesures-phares. D'une part, afin de permettre une politique adaptée aux communes des territoires ruraux les plus en difficulté, l'article 8 crée des territoires ruraux éducatifs à besoins particuliers, qui seront définis par les recteurs d’académie et bénéficieront de moyens et de dispositifs spécifiques. D'autre part, l'article 9 dispose que dans les communes n’appartenant pas à une unité urbaine ou appartenant à une unité urbaine de moins de 5.000 habitants, la fermeture d’une classe fera l’objet d’un avis préalable du conseil municipal, et qu'en cas de vote défavorable de celui-ci, aucune fermeture de classe ne pourra intervenir durant les trois années suivantes.
La formation des enseignants constitue un autre pan important du texte. L'article 4 prévoit de dissocier les formations des enseignants de premier et du second degré en "redonnant la main à l'Éducation nationale" dans la formation des professeurs des écoles. À cet effet, sera créée dans chaque région académique une école supérieure du professorat des écoles placée sous la tutelle du ministre de l’Éducation nationale. Des représentants des collectivités territoriales siégeront dans les conseils d’administration de ces écoles supérieures. Parallèlement, les Inspé (instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation) seront réservés à la formation des professeurs du second degré. Le texte prévoit également la possibilité de recruter, sur la base du volontariat, des enseignants bivalents, c'est-à-dire susceptibles d'enseigner deux matières, notamment pour assurer des remplacements de professeurs absents.
Assouplissement de l'instruction en famille
Autre création : celle d'un service public de soutien scolaire gratuit qui s’appuiera sur des professeurs volontaires, y compris à la retraite, des fondations, des associations et sur une "réserve éducative", composée de personnes majeures titulaires du baccalauréat.
Désireux de refondre l'école en profondeur, le texte s'est laissé déborder sur des sujets qu'il n'avait pas envisagés, allant jusqu'à détricoter quelques mesures emblématiques du ministère Blanquer (2017-2022). Déjà introduite en commission, la pérennité des jardins d'enfants, menacés de disparition à la rentrée de 2024 en raison de l'obligation d’instruction obligatoire à trois ans prévue par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance (lire notre article du 6 avril 2023), est consacrée. Les parents des enfants inscrits dans un jardin d'enfants devront déclarer cette inscription au maire.
Un article 2 bis assouplit les restrictions apportées à l'instruction en famille (IEF) par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (lire notre article du 27 septembre 2022). Un "projet éducatif personnalisé" est désormais suffisant, à la place de l'existence d'une "situation propre à l'enfant", pour recourir à l'IEF, tandis que l'obligation de justifier de la capacité des personnes chargées d'instruire l'enfant en famille est supprimée. De plus, toute demande d'IEF bénéficiera d’un accord provisoire dès le dépôt du dossier dans l’attente de l’avis de l’autorité académique, et l'autorisation sera reconduite de plein droit d'une année sur l'autre lorsque les résultats du contrôle auront été jugés suffisants.
Un accord avec le gouvernement ?
On note encore deux mesures en faveur d'une laïcité "stricte". D'une part, l'interdiction du port de signes religieux pour les accompagnants de sorties scolaires. D'autre part, l'obligation, pour le projet éducatif territorial, de souscrire aux objectifs de la charte de la laïcité. Dans cette bataille sénatoriale à fleurets mouchetés, une petite escarmouche a tout de même supprimé l'article 11 qui prévoyait le port de l'uniforme à l'école.
Largement adoptée au Sénat, cette PPL a néanmoins un avenir incertain. À Thomas Dossus, sénateur du Rhône, opposé au texte et inquiet qu'il puisse faire "partie d'un futur accord entre la droite et le futur [sic] gouvernement", Max Brisson a rétorqué qu'il ne s'agissait pas du "faux-nez d'un texte gouvernemental". L'élu des Pyrénées-Atlantiques a toutefois souligné que "des choses ont été dites par le ministre et méritent qu'on les travaille car elles nous semblent aller dans le bon sens". Dans ses interventions, Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale, a précisé qu'il partageait l'ambition de la PPL sur de nombreux points tout en rappelant qu'à ses yeux des solutions étaient déjà à l'œuvre pour remédier à certains problèmes soulevés. Pour le reste, il a semblé souhaiter avancer plus progressivement. L'autonomisation des écoles reste en suspens…