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Le Sénat adopte le projet de loi énergie-climat en première lecture

Le Sénat a adopté en première lecture dans la nuit du 18 au 19 juillet le projet de loi énergie-climat, après lui avoir apporté de nouvelles retouches. La question de la rénovation des "passoires thermiques" a de nouveau donné lieu à des débats animés. 

Après l'Assemble nationale le 28 juin, le Sénat a adopté en première lecture en séance, dans la nuit du 18 au 19 juillet, le projet de loi énergie-climat. Le texte a été voté par 227 voix pour (LR, centristes, majeure partie du groupe RDSE à majorité radicale, Indépendants) et 16 contre (CRCE à majorité communiste). PS et LREM se sont abstenus, ainsi que 4 sénateurs RDSE. Députés et sénateurs tenteront jeudi 25 juillet de se mettre d'accord sur une version commune, mais l'adoption définitive a été repoussée après l'été.

"Examen en pointillés"

Le texte a été examiné au Sénat dans des circonstances particulières, comme l'a rappelé le 17 juillet Sophie Primas (LR), en souhaitant la "bienvenue" à Elisabeth Borne, tout juste nommée ministre de la Transition écologique après la démission de François de Rugy. La présidente de la commission des affaires économiques a fait part du sentiment de "lassitude" des sénateurs face aux conditions "particulièrement difficiles" dans lesquelles ils ont été amenés à travailler. Le projet de loi a été "enfanté" par Nicolas Hulot, "annoncé" en conseil des ministres par François de Rugy, "défendu" mardi devant le Sénat par Emmanuelle Wargon et sera "probablement accouché par vous-même", a-t-elle énuméré. La stratégie énergétique de la France pour les prochaines décennies "mérite mieux que cet examen en pointillés".
 "Ma feuille de route, c'est de poursuivre et d'accélérer la transformation en cours", a déclaré la ministre, pour sa première intervention au Parlement depuis la passation de pouvoir avec François de Rugy.
Après avoir déjà largement amendé le texte en commission, les sénateurs ont voté en séance de nouvelles retouches significatives. "Il y a des divergences, mais malgré tout je pense qu'il y a aussi des convergences qui permettent une base de discussion intéressante", a estimé à la fin des débats, dans la nuit du 18 au 19 juillet, Elisabeth Borne. Jean-François Husson (LR) a regretté "un manque de souffle d'une partie du texte", donnant rendez-vous au gouvernement à l'automne, pour l'examen du budget. Michel Canevet (centriste) a souhaité qu'il puisse "conduire la France à être particulièrement exemplaire dans la lutte contre le réchauffement climatique". A gauche, Roland Courteau (PS) a jugé qu'il resterait "le texte des occasions manquées", tandis que Fabien Gay partageait "les ambitions affichées", mais regrettait l'absence de moyens. L'écologiste Ronan Dantec (RDSE), qui s'est abstenu, a salué, lui, "une évolution très importante du Sénat dans la prise en compte des énergies renouvelables, même s'il y a encore parfois un parfum de nostalgie du nucléaire qui flotte dans cet hémicycle".

Le retour de la "petite hydroélectricité"

Les sénateurs ont d'abord adopté à main levée le 17 juillet l'article phare du projet de loi (art. 1er) qui définit les objectifs de la politique énergétique du pays, en décrétant "l'urgence écologique et climatique". Parmi les objectifs fixés, il prévoit d'atteindre "la neutralité carbone" à l'horizon 2050. Ce principe suppose de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le pays ne peut en absorber via notamment les forêts ou les sols. Pour ce faire, la France devra diviser ses émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six par rapport à 1990. Le texte prévoit une baisse de 40% de la consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030, contre 30% précédemment. Des sénateurs PS et communistes ont tenté en vain d'obtenir des objectifs plus ambitieux, préconisant que la France divise par 8 ses émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi entérine également le report de 2025 à 2035 de l'objectif de ramener à 50%, contre plus de 70% aujourd'hui, la part du nucléaire dans la production d'électricité française.
Malgré l'opposition du gouvernement, les sénateurs ont validé des objectifs supplémentaires introduits en commission : au moins 27,5 GW d'hydroélectricité en 2028 - notamment issue de la "petite hydroélectricité", a-t-il été précisé par un amendement en séance - , développement d'au moins 1 GW par an d'éolien en mer, posé et flottant, jusqu'en 2024 et 8% de biogaz en 2028 pour s'assurer que l'objectif des 10% en 2030 sera bien tenu.
Le gouvernement est favorable au développement de l'éolien en mer, mais l'objectif visé par le Sénat n'est pas "accessible à court terme", selon la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon, qui intervenait à ce stade des débats. En réponse à une interrogation du sénateur PS de l'Aude Roland Courteau, elle a indiqué qu'un parc était prévu en Bretagne du sud et "deux nouveaux parcs" en région Sud et en région Occitanie.
Concernant la petite hydroélectricité, Emmanuelle Wargon a indiqué que le gouvernement avait lancé un appel d'offres pour débloquer 350 MW et promis un "travail" avec le Parlement sur le dossier. La petite hydroélectricité "donne une énergie locale verte", a plaidé Angèle Préville (PS). Les sénateurs ont aussi voté un amendement fixant un objectif de 20% d’hydrogène bas-carbone et renouvelable dans la consommation totale d’hydrogène et 40% dans la consommation d’hydrogène industriel d’ici 2030

Loi de programmation pluriannuelle de l'énergie

Le Sénat a aussi voulu intégrer explicitement les engagements pris par la France dans la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) parmi les objectifs que la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) devra respecter (art. 1er bis A). Contre l'avis du gouvernement comme de la commission, le Sénat a également adopté une série d'amendements identiques, portés par des sénateurs des groupes RDSE à majorité radicale, PS, centriste, CRCE à majorité communiste et Indépendants, prévoyant de fixer le plafond national des émissions de gaz à effet de serre ("budget carbone" par la loi cadre de la PPE et non par décret, tel que prévu aujourd'hui (art. 1er bis A).
Concernant le Haut Conseil pour le climat (art. 2), le Sénat a prévu qu'au moins un des membres de cette nouvelle instance soit nommé au titre de son expertise dans les problématiques liées aux impacts du réchauffement climatique dans les territoires d'outre-mer. Lorsqu'il est saisi sur une proposition ou un projet de loi, le Haut Conseil pour le climat devra aussi évaluer sa compatibilité avec les "budgets carbone".

Rénovation des passoires thermiques : incitation contre coercition

Sur le dossier des passoires thermiques, ces logements énergivores qui concernent quelque sept millions de ménages, les débats se sont enflammés, comme à l'Assemblée, entre tenants de l'incitation et partisans de la coercition. Les députés avaient adopté fin juin un compromis, avec des mesures progressives envers les bailleurs ne rénovant pas ces logements mal isolés. Selon ce dispositif, après une première phase "incitative" visant notamment à "simplifier les dispositifs d'accompagnement" à la rénovation, s'ouvrira en 2023 une "phase d'obligation" de travaux jusque fin 2027. A partir de 2028, le non-respect de l'obligation sera rendu public notamment dans les annonces immobilières, et d'autres sanctions graduées seront mises en place. La révision du loyer, en cas de travaux, sera conditionnée à l'atteinte d'un certain niveau de performance, et un audit énergétique devra être réalisé pour les logements très énergivores en cas de vente ou location.
En commission, les sénateurs ont privilégié l'information et l'incitation, rendant certaines obligations plus progressives. Mais en séance publique, la gauche, ainsi que des sénateurs centristes et Indépendants sont passés à l'offensive, obtenant l'adoption, contre l'avis du gouvernement et de la commission, d'amendements définissant un seuil de consommation énergétique maximale au-delà duquel un logement serait considéré comme indécent (art. 3 bis). Les amendements identiques de Jean-François Longeot (centriste), Franck Menonville (Indépendants) et Fabien Gay (CRCE à majorité communiste) ont été adoptés par 174 voix pour et 168 voix contre. Ils visent, à compter de 2023, les logements de catégories F et G que le gouvernement s'est engagé à éradiquer d'ici 2028.
"Voilà au bas mot 500.000 logements en moins", a réagi la présidente LR de la commission des affaires économiques Sophie Primas, tandis que la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne estimait que cette mesure "vient brouiller les critères de décence". Répondent à ces critères de performance énergétique "de nombreux logements du bâti haussmannien non rénovés, qui sont énergivores, mais qui ne sont pas indécents pour autant", a -t-elle souligné. "Les passoires thermiques conduisent aux logements insalubres, c'est une réalité !", s'est exclamée Samia Ghali (PS).

Offensive avortée contre les "géants des mers" dans les ports

Après l’article 3 ter decies, l'élue des Bouches-du-Rhône a aussi défendu avec d’autres sénateurs socialistes différents amendements, tous rejetés, visant à faire interdire de séjour dans les ports les bateaux de croisière géants  ou à les taxer davantage.   L'un de ces amendements visait à interdire, à partir du 1er janvier 2024, le séjour en port des navires les plus polluants. Un autre visait à intégrer dans le calcul des droits de port la pollution engendrée par les carburants des navires qui stationnent. A également été rejeté un amendement PS visant à instaurer "une redevance de séjour" pour ces navires de croisière, semblable à une taxe de séjour forfaitaire, "pour compenser les conséquences environnementales et sanitaires dommageables de leur consommation énergétique". Durant leur stationnement, les navires continuent de consommer du carburant polluant et "génèrent ainsi en continu des particules fines". "Ces navires pénètrent dans les villes", a plaidé Samia Ghali, citant Marseille mais aussi la Corse. "Le tourisme des usines à cancer, nous n'en voulons pas." Elisabeth Borne, tout à la fois ministre de la Transition écologique et des Transports, a assuré partager "tout à fait cette préoccupation" : "On ne peut pas se satisfaire d'avoir une pollution liée aux navires dans les ports." Elle s'est toutefois opposée aux différents amendements, arguant notamment que de nouvelles normes s'appliqueront au 1er janvier 2020 qui divisent par sept la teneur en soufre des carburants maritimes. Le port de Marseille propose déjà des branchements électriques à quai et "va investir 20 millions d'euros supplémentaires pour devenir le premier port 100% électrique de Méditerranée en 2025", a-t-elle souligné.
Par ailleurs, après l’article 6 bis A, les sénateurs ont voté plusieurs amendements visant à faciliter les projets d’autoconsommation collective portés par les organismes HLM. Enfin, après l’article 6 septies, ils ont voulu donner aux communes qui accueillent des installations de production de biogaz injecté ou d’électricité renouvelable bénéficiant d’un soutien public les garanties d’origine de ces installations si la commune en fait la demande auprès du ministre chargé de l’énergie.