Le projet de loi Développement solidaire enfin dévoilé
Maintes fois repoussé, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales devrait être présenté en conseil des ministres le 11 mars. Il renforce les moyens de l'aide publique au développement, actant l'objectif d'y consacrer 0,55% du revenu national brut en 2022, mais aussi de son contrôle, en s'inspirant du modèle britannique.
Tout vient à point à qui sait attendre. Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales – son appellation a priori définitive – devrait être présenté en conseil des ministres le 11 mars prochain (il devait même l'être le 4 mars), après avoir été adopté par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) le 26 février dernier, à la quasi-unanimité (147 voix pour et 4 abstentions).
Maintes fois annoncé, bloqué un temps par Bercy qui refusait d'exclure les subventions transitant par les collectivités de l'assiette des contrats de Cahors (voir notre article) – exclusion depuis actée (voir notre article) et confirmée par le ministre des Affaires étrangères lors de son audition au Cese –, ce texte vient prendre la suite de la loi du 7 juillet 2014 , qui prévoyait une révision de ses dispositions après une période de cinq ans.
Moyens et contrôle renforcés
Conformément aux engagements présidentiels, le texte fixe un objectif de 0,55% du revenu national brut (RNB) consacré à l'aide publique au développement en 2022 (environ 15 milliards d'euros, contre un peu plus de 10 milliards aujourd'hui). "C'est la première fois qu'une loi en matière de développement comporte une programmation budgétaire", et ce "dès son premier article", s'est félicité à la tribune du Cese le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian. En revanche, comme le déplore le Cese, l'objectif d'atteindre 0,7% (fixé par une résolution de l'ONU en… 1970 pour "le milieu de la décennie au plus tard") en 2025 "n'est pas clairement affiché" et est "conditionné à l'adoption d'une nouvelle loi de programmation post-2022".
Cette augmentation des moyens va de pair avec l'adoption de nouveaux mécanismes "d'évaluation et de redevabilité". Principale innovation, la création d'une "commission indépendante d'évaluation", placée auprès de la Cour des comptes et directement inspirée du modèle britannique, comme le recommandaient d'ailleurs les députés Bérengère Poletti et Rodrigue Kokouendo dans leur rapport de juin 2018 (ou le député Hervé Berville dans son rapport d'août 2018). Les élus y soulignaient "l'effort considérable" conduit par les gouvernements britanniques pour que l'important montant de l'aide au développement (qui atteint 0,7% de leur RNB depuis plusieurs années) soit accepté par l'opinion publique et en concluaient logiquement que "la France doit probablement s'attendre à une même exigence […] si le montant de son aide suit la trajectoire envisagée". Conscient de ce "contexte où l'efficacité et l'impact de l'aide publique au développement sont souvent contestés", le Cese voit d'ailleurs dans cette création une "avancée majeure". Entre autres mesures, le texte prévoit également de renforcer l'information du Parlement sur le suivi de la programmation budgétaire et les orientations stratégiques de cette politique.
Collectivités : doublement des moyens alloués, création d'un "1% transports"
Conformément aux engagements là encore, le projet acte aussi le doublement à horizon 2022 des moyens alloués aux collectivités territoriales et aux organisations de la société civile – pour lesquelles il instaure par ailleurs un "droit d'initiative".
Le texte prévoit en outre d'autoriser les collectivités territoriales, dans la limite de 1% des ressources affectées au budget des services de mobilité (hors versement transport), à mener des actions de coopération avec les collectivités étrangères. Soit une nouvelle extension du dispositif Oudin-Santini initié en 2005 dans le domaine de l'eau/assainissement, étendu au domaine de l'énergie en 2007, puis aux déchets en 2014.
Un pilotage toujours – plus – complexe ?
Côté organisation, le projet de loi maintient la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), organe de dialogue entre l'État et les collectivités, ainsi que le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), son pendant pour la société civile, créé par la loi de 2014 (et dont le Cese propose de compléter la composition avec une représentation des collectivités d'outre-mer). Un maintien nécessaire mais "insuffisant" pour le Cese qui, de manière générale, invite à renforcer le rôle de la société civile, appelant notamment à une "évolution de la culture de travail de l'Agence française de développement et de ses différents opérateurs, pour une plus grande intégration des expertises de terrain".
Le texte confirme par ailleurs l'instauration, décidée lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018, d'un "Conseil de développement" présidé par le président de la République et composé des principaux ministres concernés, à l'existence plus que virtuelle jusqu'ici. Ce conseil vient s'ajouter au Cicid, présidé par le Premier ministre et composé des mêmes ministres, maintenu. Une multiplicité d'acteurs qui, ajouté au "triple pilotage" de la politique par les ministres chargés du développement, du budget et de l'économie, renforce selon le Cese la complexité et la verticalité du pilotage de cette politique, complexité déjà dénoncée par le passé (voir le rapport de l'Assemblée précité) et qui n'est selon lui "sans doute pas étrangère au retard pris dans la finalisation du projet de loi, pourtant annoncé en début de quinquennat".
À noter que le projet prévoit également l'instauration, dans les pays partenaires, de "conseils locaux de développement", auprès de l'ambassadeur accrédité. Si le Cese déplore que leur "composition de base soit uniquement étatique", Jean-Yves Le Drian a souligné lors des débats que des ONG locales pourront les intégrer.
Priorités à l'environnement et à l'Afrique subsaharienne
Sur le fond, le projet met l'accent sur les enjeux environnementaux et climatiques. Le Cese "se réjouit" notamment qu'il intègre à la loi française "le cadre structurant de l'Agenda 2030", en insérant "une référence explicite à la conformité avec les objectifs de développement durable (ODD)" à la loi de 2015 sur les nouveaux indicateurs de richesse ainsi que dans le code général des collectivités territoriales. En revanche, le conseil déplore la "multiplicité" des objectifs du projet de loi – qui détermine neuf priorités sectorielles – ce qui "contredit l'objectif de concentration affiché au moins depuis 2014 par le ministère des Affaires étrangères" (dispersion également dénoncée par le rapport Poletti/Kokouendo). À la tribune, Jean-Yves Le Drian a, au contraire, souligné l'objectif recherché avec ce texte de "gagner en efficacité", notamment en concentrant "nos moyens sur des priorités clairement définies". "Non au saupoudrage", a-t-il clamé.
Géographiquement, le projet cible sans surprise l'Afrique subsaharienne (plus globalement les 19 pays identifiés par le Cicid du 8 février 2018). Le Cese souligne toutefois que la part de l'aide bénéficiant à ces pays "demeure en réalité très minoritaire notamment du fait de la prépondérance des prêts au détriment des dons, pourtant mieux adaptés aux besoins des pays les plus pauvres".
Le projet prévoit enfin d'autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnances pour revoir le dispositif d'accueil des organisations internationales en France afin de doter le pays d'un dispositif réellement attractif en ce domaine.
Référence : l'avis du Cese sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales |