Archives

Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes abandonné

Le projet de construction d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes "sera abandonné" car les "conditions" de sa mise en oeuvre "ne sont pas réunies", a tranché ce 17 janvier Edouard Philippe. Le Premier ministre a précisé que "les terres" sur lesquelles le projet devait être édifié ne seront pas gardées par l'Etat et que l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique serait "modernisé", ainsi que celui de Rennes.

Après des années de controverse, six mois de médiation et une ultime consultation, l'exécutif a finalement choisi ce 17 janvier d'abandonner le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, malgré des décisions de justice et un référendum local favorables, au profit d'un réaménagement de l'actuel aéroport de Nantes. Depuis dix jours, Edouard Philippe avait reçu à Matignon plus d’une centaine d’élus du Grand Ouest. "Les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet de Notre-Dame-des-Landes" qui est devenu "l'aéroport de la division", a estimé le chef du gouvernement lors d'une déclaration à la sortie du conseil des ministres.

Déclaration d'utilité publique bientôt caduque

S'il a, comme attendu, appelé les "squatters" dans la "zone de non-droit" de la "ZAD", cette vaste "zone d'aménagement différée" de 1.600 hectares, rebaptisée "zone à défendre" par les opposants, à quitter les lieux, Edouard Philippe leur a donné "jusqu'au printemps" pour partir "d'eux-mêmes". Dans l'immédiat, il les a sommés de rendre les routes bloquées "à la libre circulation de tous", faute de quoi les forces de l'ordre "procéderont aux opérations nécessaires". "Dès aujourd'hui, la demande de prorogation de la déclaration d'utilité publique que nous avions déposée au Conseil d'Etat fin décembre pour nous laisser toutes les options ouvertes sera retirée (...) la déclaration d'utilité publique deviendra donc caduque le 8 février", a indiqué le Premier ministre. "Les terres retrouveront leur vocation agricole, (...) elles ne seront pas conservées pour réaliser ultérieurement le projet", a-t-il assuré. "Les agriculteurs expropriés pourront retrouver leurs terres s'ils le souhaitent". "L'Etat engagera une cession progressive du foncier".

Aménagement de l'actuel aéroport Nantes-Atlantique

L'alternative retenue par le gouvernement est d'aménager l'actuel aéroport Nantes-Atlantique. L’aérogare sera "modernisée", et "les abords de pistes aménagés pour permettre à l'aéroport d'accueillir plus de passagers", a détaillé le chef du gouvernement. "En parallèle, la procédure pour l'allongement de la piste sera engagée, elle permettra de réduire les nuisances sonores à Nantes, a-t-il poursuivi. Nous ferons tout pour réduire ces nuisances (sonores) dans le village de Saint-Aignan-Grandlieu et, si ce n'était techniquement pas possible, elles feraient l'objet de compensations exemplaires."
"En parallèle, nous accompagnerons le développement de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques, en commençant par l'agrandissement de l'aérogare pour mieux répartir le trafic aérien du Grand Ouest". "Je demande à la ministre des Transports (Elisabeth Borne) d'étudier dans un délai de six mois les conditions de mise en oeuvre de ces trois chantiers qui se complètent et qui consistent à optimiser l'usage de Nantes-Atlantique, à mettre en réseau les aéroports régionaux et à nous appuyer sur les lignes ferroviaires à grande vitesse pour rejoindre les plateformes aéroportuaires parisiennes."
"Ce à quoi le gouvernement s'engage, c'est de garantir que Brest, Nantes, Rennes disposent de liaisons faciles avec les autres métropoles européennes, et de mettre en place des liaisons rapides avec les hubs longs-courriers internationaux", a assuré le Premier ministre. "L'enjeu pour les Rennais et les Nantais (...) c'est de rallier directement les grands aéroports parisiens. Ces liaisons directes existent mais sont insuffisantes, elles seront donc fluidifiées et multipliées pour accompagner la hausse du trafic."

Déception des partisans

La décision gouvernementale sur le dossier environnemental le plus emblématique de ces dernières années a naturellement suscité un très grand nombre de réactions au niveau national et local. Pour ses partisans, le nouvel aéroport devait permettre d'assurer le développement attendu du trafic aérien depuis Nantes, une des villes françaises à la plus forte croissance, face à la saturation attendue de Nantes-Atlantique dans sa version actuelle. "Il faudra gérer la déception des partisans de l'aéroport, c'est une désillusion pour eux c'est certain", reconnaît un parlementaire. "Grande victoire des zadistes", a déploré le patron des sénateurs LR et ancien président des Pays de la Loire, Bruno Retailleau. Le président socialiste du conseil départemental de Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet a fustigé "une très très mauvaise décision" d'Emmanuel Macron. "C'est la première fois qu'il fait un reniement de sa parole car il avait dit qu'il ferait l'aéroport", a-t-il dénoncé. La maire PS de Nantes, Johanna Rolland, a elle parlé de "trahison" et de "déni de démocratie", tout comme l’ancien Premier ministre et ex-maire PS de Nantes Jean-Marc Ayrault, partisan de longue date de l’aéroport. "Il n'y avait pas de bonne décision", a reconnu le Premier ministre devant l'Assemblée nationale dans l'après-midi.

La fin d'un "grand projet inutile" pour ses opposants

Pour ses opposants, Notre-Dame-des-Landes était devenu un de ces "grands projets inutiles", condamnant un beau bout de bocage au nom du développement d'un mode de transport contradictoire avec les objectifs de la France de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. "Une décision responsable", s'est réjoui l'écologiste Yannick Jadot. "C'est une immense joie pour tous ceux qui ont lutté contre le projet. Je pense aux anciens de la lutte qui sont partis", s'est pour sa part réjoui Julien Durand, porte-parole de l'Acipa, principale association d'opposants. France Nature Environnement a salué "une décision courageuse, appuyée sur une méthode innovante" et y voit "l’espoir de la co-construction d’un projet de territoire durable". La Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) juge qu’il s’agit d’ "une décision de bon sens". "La Fnaut souhaite qu’elle soit la première étape d’une nouvelle politique de transports consistant à sélectionner les infrastructures présentant un bilan socio-économique positif", a-t-elle souligné dans un communiqué.

Des incertitudes persistent

L'abandon du projet soulève toutefois la question de l'indemnisation prévue pour Vinci qui, selon le rapport des médiateurs remis en décembre à Edouard Philippe, pourrait aller jusqu'à 350 millions d'euros. Un point que le Premier ministre n'a pas évoqué. Quant à l'agrandissement de Nantes-Atlantique, une option longtemps écartée par les pouvoirs publics, il est encore entouré d'incertitudes. Si le rapport des médiateurs tablait sur un délai d'au moins "deux ou trois ans" nécessaires avant de s'attaquer notamment à la réfection de la piste unique de Nantes-Atlantique et à son éventuel allongement, les avis divergent sur le sujet.
"Dire qu'il faudra deux ans alors qu'on en a mis quinze à Notre-Dame-des-Landes, c'est une vaste escroquerie", tonne-t-on au Syndicat mixte aéroportuaire (SMA), qui regroupe les collectivités ayant commencé à financer le transfert de l'aéroport dans le bocage nantais. En l'absence de "plan B" jusqu'à maintenant, "on reprend toute la procédure à zéro et on repart pour dix ans au moins, quinze ans en cas de recours", ajoute le SMA.
"C'est du pipeau ! Ça prendra du temps, mais beaucoup moins qu'à Notre-Dame-des-Landes", rétorque Françoise Verchère, partisane d'un réaménagement de Nantes-Atlantique et co-présidente d'un collectif d'élus opposés à son transfert à Notre-Dame-des-Landes. "Il n'y a aucune nécessité à faire dans les deux ans une aérogare accueillant 9 millions de passagers. Les aménagements se feront au fur et à mesure des besoins du trafic, comme pour Notre-Dame-des-Landes qui devait ouvrir à 5 millions de passagers, puis être agrandi une première fois à 7 millions et une autre fois à 9 millions", poursuit l’élue.
Mais avant le réaménagement à long terme de Nantes-Atlantique proprement dit, et avant même d'engager les études environnementales et d'ingénierie nécessaires à la conduite des procédures, l'État devra, en cas de résiliation du contrat actuel passé avec le groupe de BTP Vinci, choisir un nouveau concessionnaire à l'issue d'un appel d'offres. La désignation de Vinci Airports avait pris "près de trois ans", rappelle-t-on au SMA. Les procédures - nouvelle déclaration d'utilité publique pour environ 30 hectares, nouveaux plans de gêne sonore et d'exposition au bruit, modification de documents d'urbanisme - sont quant à elles nombreuses, mais "certaines peuvent être menées en parallèle", avancent les médiateurs, qui proposent une "enquête publique unique". Contrairement à l'enquête publique, l'organisation d'un débat public n'est pas obligatoire, soulignent les médiateurs, qui privilégient une simple concertation.

Quel coût pour le réaménagement ?

Opposés sur la lourdeur et la longueur de ces procédures, les défenseurs d'un transfert à Notre-Dame-des-Landes et les partisans de l'optimisation de Nantes-Atlantique achoppent sur un autre point : le prix d'un tel réaménagement. Les médiateurs l'ont chiffré entre 365 et 460 millions d'euros, prolongement du tramway jusqu'à Nantes-Atlantique compris, mais hors coût d'une éventuelle indemnisation versée par l'État à Vinci en cas de résiliation du contrat, et du retour à l'ordre public sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Pour les collectivités et les associations pro-NDDL, la rénovation de Nantes-Atlantique s'élèvera à "plus d'un milliard d'euros", avec les coûts induits par "le droit au délaissement" des maisons soumises à des prescriptions d'urbanisme.