Economie - Le pacte de compétitivité pris en tenaille
Hausses de TVA et fiscalité écologique d’un côté, baisses des dépenses publiques de l’autre : voilà comment le gouvernement compte s’y prendre pour compenser les 20 milliards d’euros de crédits d’impôts accordés aux entreprises sur trois ans. Si l'équation semble satisfaire le patronnat, ceux qui vont devoir passer à la caisse rechignent. Dix milliards d’économie dans les dépenses publiques, "c’est moins de 1% de la dépense publique totale", a pourtant souligné le Premier ministre, mardi 6 novembre, en présentant ce pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. "Ces réformes porteront sur l’action publique dans son ensemble. Non seulement l’Etat, mais également ses agences, les collectivités locales, dans le cadre de la nouvelle étape de la décentralisation, et la sécurité sociale", a justifié le Premier ministre. Ce qui n’est pas sans susciter l’inquiétude de l’Association des maires de France (AMF) qui tenait une conférence de presse, mercredi 7 novembre, en vue de son congrès annuel qui se tient porte de Versailles du 19 au 22 novembre. "Pour 2013, nous avons un gel des dotations. Nous sommes prêts à participer à l’effort de l’Etat pour redresser ses finances […]. Nous ne demandons pas plus, mais nous ne voulons pas moins", a martelé Jacques Pélissard, président de l’AMF, indiquant que les collectivités allaient subir "de plein fouet" l’effet de l’inflation. Pour la troisième année consécutive, les dotations de l’Etat aux collectivités ont été gelées en 2013, mais sans tenir compte de l’inflation, et elles vont vraisemblablement être rabotées de 750 millions d’euros en 2014 puis en 2015. "Le gel, c’est l’engagement présidentiel, nous le respectons. Mais il ne faut pas aller au-delà du gel, a ajouté André Laignel, secrétaire général de l’AMF. Il faut des compensations en termes économiques, d’accès au crédit à des taux privilégiés." Enfin, pour accentuer le malentendu avec les élus qui n'ont pas été consultés sur le sujet, le pacte gouvernemental prévoit le maintien en l’état de la contribution économique territoriale… Toutes ces questions seront abordées au sein d’un groupe de travail installé le 23 octobre au sein du Comité des finances locales (CFL). Son but : "Déterminer le contenu financier du pacte de confiance et de responsabilité avec l’Etat", a précisé André Laignel, qui est aussi président du CFL. Le débat devrait se prolonger jusqu’à la fin du premier trimestre 2013.
La hausse dans les transports se répercutera sur les collectivités
L’autre source d’inquiétude est la hausse des taux de TVA qui passeront respectivement de 5,5%, 7% et 19,6% à 5%, 10% et 20% à compter de 2014. C'est surtout sur le taux intermédiaire que se concentrent les tirs. Et pour cause, il concerne toutes sortes de secteurs allant des transports à la rénovation de logements, en passant par la restauration, les activités culturelles...
Pour les transports publics assujettis depuis l’an dernier au taux intermédiaire, la note risque d’être salée. Le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) a réclamé ce 7 octobre un retour au taux réduit pour le secteur qui a ainsi vu son taux passer de 5,5% à 7% début 2012, et qui passera désormais à 10%.
La hausse décidée avec la loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011 s'est traduite, selon le Gart, par un impact "d'environ 84 millions d'euros au niveau national". Dans les faits, souligne l'organisme, "cette augmentation s'est soldée par un transfert de charge du déficit de l'Etat vers les collectivités locales". En effet, explique-t-il, "les réseaux ayant l'habitude d'augmenter leurs tarifs au 1er juillet pour tenir compte d'un certain nombre d'augmentations des charges d'exploitation, cette augmentation de la TVA est venue contrecarrer la politique tarifaire des autorités organisatrices de transport (AOT) qui ont dû faire appel à d'autres financements, dont l'emprunt". En clair, "la mesure d'augmentation de la TVA a mécaniquement renforcé l'endettement des collectivités locales" alors que, dans le même temps, "aucune mesure n'avait été prise concernant le prix du carburant".
Arguant de la nécessité de "pouvoir mettre effectivement en oeuvre le droit au transport pour tous" et d'"encourager l'attractivité des transports publics par rapport à la voiture individuelle", le Gart demande donc que les transports publics "puissent bénéficier du taux de TVA le plus bas", qui devrait, lui, passer de 5,5% à 5%. Une revendication qui se justifie d'autant plus, selon lui, qu'"un grand nombre d'usagers des transports publics sont des personnes à revenus modestes qui verraient leur pouvoir d'achat directement impacté par une hausse de la TVA.
Une perte de 20.000 emplois dans le bâtiment
Les restaurateurs auront été les premiers à réagir à la hausse du taux de la TVA intermédiaire. Mais la construction n'est pas en reste. Si les représentants du bâtiment s'étaient relativement peu manifestés lors de la première hausse de leur taux (de 5,5% à 7%) au 1er janvier 2012, il n'en va pas de même pour cette seconde édition.
Dans un communiqué du 6 novembre, la Fédération française du bâtiment (FFB) s'élève ainsi contre le passage de 7% à 10% du taux de TVA applicable aux travaux d'entretien et de rénovation des logements. Pour la FFB, cette hausse "est contraire à tous les engagements pris depuis des mois par le gouvernement et le président de la République, qui a même formellement démenti, le 19 octobre dernier, toute hypothèse de hausse de la TVA dans le bâtiment". Elle estime que cette mesure "entraînera la perte d'au moins 20.000 emplois" et "marquera la fin des engagements en faveur de la rénovation énergétique de 500.000 logements par an et affectera inévitablement l'activité des organismes HLM". Le secteur du logement est en effet d'autant plus pris à contre-pied qu'il s'attendait, au pire, à un maintien du taux actuel et espérait même un retour au taux de 5,5%.
La Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) est sur la même ligne. Elle rappelle que les travaux d'entretien et de rénovation représentent 68% du chiffre d'affaires de ses entreprises et estime que le passage à un taux de 10% entraînera une baisse d'activité de plus de 1,5 milliard d'euros et la perte de 16 à 18.000 emplois en 2014, "qui viendront s'ajouter aux 20.000 pertes générées par la crise en 2013". La Capeb avance également deux autres arguments : le risque de relance du travail au noir et l'accroissement de la "concurrence déloyale" et du "travail précaire" des auto-entrepreneurs (qui ne supportent pas de TVA, dans les limites du chiffre d'affaires autorisé). Les représentants du secteur du bâtiment contestent aussi la méthode utilisée par le gouvernement et l'absence de concertation. Patrick Liebus, le président de la Capeb, affirme ainsi avoir été averti de la mesure une demi-heure avant l'annonce du Premier ministre.
Si l'annonce de pertes d'emplois est de bonne guerre pour se faire entendre - la Capeb a d'ailleurs aussitôt demandé un rendez-vous à Jean-Marc Ayrault -, il est difficile de croire que cette hausse de la TVA n'aura pas d'impact dans le secteur du logement. Même si ce relèvement n'interviendra que dans un peu plus d’un an, l'effet de la mesure risque d'être d'autant plus important qu'elle intervient en plein marasme du secteur de l'immobilier (voir notre article ci-contre du 5 novembre 2012). A contrario, la Capeb estime que l'application du taux de TVA à 5,5% entre 1999 et 2011 a permis de créer 53.000 emplois dans la filière et "soutenu l'activité dans le secteur durant la décennie".
Le logement social, "un service de première nécessité"
Autre secteur touché : le monde HLM. Alors que la baisse du taux réduit à 5% s'appliquera aux produits et services de première nécessité (produits alimentaires, abonnements relatifs aux livraisons de gaz et d'électricité...), l'Union sociale pour l'habitat fait valoir que "le logement social est également un service de première nécessité". Elle demande ainsi "le rétablissement du taux de TVA le plus faible" pour les opérations d'investissement réalisées dans le secteur (logements locatifs sociaux et logements en accession sociale sécurisée à la propriété), et ce dès le PLF 2013. "Le retour au taux réduit de TVA pour ces opérations permettra de dégager une capacité d'investissement supplémentaire de l'ordre de 270 millions d'euros, indispensable à la réalisation de l'objectif de production des 150.000 logements sociaux par an", calcule-t-elle.
Mais si le passage du taux de TVA intermédiaire à 10% devait concerner le secteur HLM, "une telle mesure constituerait un handicap supplémentaire pour atteindre l'objectif de production de 150.000 nouveaux logements sociaux par an voulu par le gouvernement", prévient-elle, rappelant que la précédente augmentation de taux de TVA pour les opérations d'investissement réalisées dans le secteur du logement social (passé de 5,5% à 7%) s'était traduite par "un accroissement des dépenses du secteur HLM de 225 millions d'euros par an".
Dans ce contexte morose où personne ne veut faire les frais de la baisse du coût du travail qui, d'après le Premier ministre, devrait créer entre 300 et 400.000 emplois, on aurait pu croire que les ONG environnementales seraient satisfaites de l'instauration d'une nouvelle fiscalité écologique. Or il n'en est rien. Le Réseau action climat France et la fondation Nicolas-Hulot se sont dits "consternés par le flou et la mollesse de cette annonce au regard du potentiel de la fiscalité écologique et de l’urgence climatique", dans un communiqué du 6 novembre. Les 3 milliards d'euros attendus par cette fiscalité à partir de 2016 sont "bien loin" de l'objectif de la feuille de route arrêtée lors de la conférence environnementale de septembre. "Rattraper la moyenne européenne en termes de fiscalité écologique [...] équivaut à 20 milliards d’euros de prélèvements écologiques supplémentaires", estiment les deux organisations. Elles ajoutent que la hausse du taux intermédiaire de TVA va pénaliser "directement le développement des transports en commun et la rénovation énergétique des bâtiments".