Sport - Le mouvement sportif ne veut plus être un exécutant des politiques sportives de l'Etat
"On ne peut pas rester indéfiniment le seul pays d'Europe occidentale dans lequel le mouvement sportif n'a aucun rôle ou si peu dans la gouvernance du sport. Ça ne peut pas marcher simplement en organisant des instances où tout le monde se retrouve autour de la table et où la décision finale incombe à l'Etat." Ce constat sans appel est celui de Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Il arrive à un moment crucial pour le sport français, alors qu'un projet de loi-cadre – le premier depuis trente ans – est en préparation. Dans le débat à venir, le CNOSF ne se contente pas de pousser un cri d'alarme. Il achève la rédaction d'un texte dont l'ambition est de "passer d’une nation de sportifs à une nation sportive".
"Le modèle sportif français est le même depuis les années 1960. Comment peut-on imaginer qu'un système datant des années 1960 reste immuable ?", s'interroge Denis Masseglia. En guise de réponse, le président du CNOSF entend balayer largement le système actuel qu'il juge trop complexe et trop onéreux : "Les moyens dévolus aux actions diminuent d'année en année, pendant que le coût des services augmente." Et de citer les 5.255 agents du ministère des Sports, quand la plupart de nos voisins possèdent une administration d'Etat du sport de quelques centaines de personnes à peine. "Les rouages de l'administration sont extrêmement complexes. Il faut absolument les simplifier. Quand on est président de club, pointe Denis Masseglia, c'est compliqué de monter certains dossiers."
"L'Etat a tous les leviers de commande"
Mais le poids de l'administration n'est pas le seul point noir du sport français pour le président du CNOSF. Selon lui, l'équilibre général de la gouvernance est à revoir entièrement. "La continuité d'une politique sportive ne peut être menée à bien que si le mouvement sportif en est un acteur majeur. Or aujourd'hui, nous sommes un exécutant majeur", explique Denis Masseglia, qui détaille : "La lettre de cadrage du Centre national pour le développement du sport (CNDS) est faite par la seule ministre, et sa gouvernance est faite avec une décision qui ne peut appartenir qu'aux services de l'Etat. On ne dit pas que nous devons commander, on dit simplement qu'on ne peut pas avoir un vrai partenariat tant que l'instance de décision ne respecte pas un équilibre des parties prenantes. Si un seul peut décider pour tous, on fait de la concertation, on émet un avis, mais la décision n'est pas forcément celle à laquelle on peut s'attendre si l'on recherche un vrai consensus. Un acteur, l'Etat, ne peut pas avoir tous les leviers de commande."
Si on le laissait toucher les commandes du CNDS, Denis Masseglia commencerait par prendre des mesures sur la formation. "Il y a 15 ou 20 ans, les diplômes fédéraux étaient reconnus pour pouvoir enseigner contre rémunération. Aujourd'hui, il y a des diplômes de branches et des diplômes d'Etat, il n'y a plus les diplômes fédéraux. Il faut absolument redonner aux fédérations - soit globalement avec des diplômes spécifiques, soit par l'intermédiaire d'un renforcement de leurs capacités à faire de la formation - la possibilité de former les gens dont on a besoin dans les clubs où il manque 15 à 20.000 emplois d'animation. On ne demande pas les mêmes compétences à quelqu'un qui accueille et anime qu'à quelqu'un qui entraîne au haut niveau", plaide Denis Masseglia, qui réclame depuis des années des postes de techniciens sportifs fédéraux payés par les fédérations avec des subventionnements du CNDS. "Je trouverais ça logique, je n'ai jamais pu l'obtenir", précise-t-il.
"J'en appelle au Premier ministre"
Autre sujet qu'un rééquilibrage des forces pourrait aider remettre sur le métier : les critères de financement en faveur du développement du sport. "Il faut aussi qu'on s'entende sur le mot 'développement', avance le président du CNOSF. Quels sont les paramètres qui déterminent le développement des pratiques ? La pratique non organisée a des paramètres forcément non objectifs. La pratique organisée a au moins la capacité de pouvoir quantifier avec un paramètre incontournable : le nombre de licences." Une vision qui prend en partie le contrepied de Valérie Fourneyron, ministre des Sports, qui, à travers les dernières décisions du CNDS, cherche à décorréler le niveau des subventions aux associations du niveau des licences, partant du principe que les territoires qui ont le plus besoin de moyens sont précisément ceux où la pratique sportive est la moins développée.
Déjà examinées par son conseil d'administration, les 23 propositions du projet du CNOSF – qui, d'après nos informations, vont de l'affirmation de l’expertise technique des fédérations dans les processus de qualification et de formation de l’ensemble des certifications professionnelles à l'abondement du financement du CNDS par une augmentation du prélèvement sur l’ensemble des produits de la Française des Jeux et des paris sportifs en ligne à hauteur de 2% déplafonné – doivent encore faire l'objet d'observations de la part des fédérations membres puis d'une approbation en assemblée générale, le 9 janvier prochain. Leur version définitive pourrait offrir une contribution essentielle à l'élaboration du futur projet de loi. Mais l'exercice sera d'autant plus périlleux que Denis Masseglia ne s'adresse pas à Valérie Fourneyron mais "en appelle directement au Premier ministre, parce que c'est compliqué pour un ministre de 'scier la branche sur laquelle il est assis'". "Il ne s'agit pas d'un problème de personne, mais de conception", rassure-t-il.