Le gouvernement veut mettre de l'ordre dans les agences de développement
Sur la cinquantaine d'agences départementales de développement économique qui existaient avant la loi Notre, une trentaine ont été maintenues. Elles se sont adaptées à la loi pour se cantonner à ce qu'il reste de compétence économique des départements : solidarités territoriales, ingénierie, l'attractivité, le numérique... Cependant, dans une instruction récemment publiée, le ministre Jean-Michel Baylet appelle les préfets à y regarder de plus près et à exercer leur contrôle de légalité. Dans son viseur notamment : les agences alsacienne Adira et Moselle Attractivité. Pour le Cner, le risque juridique est cependant assez mince.
Le ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, Jean-Michel Baylet hausse le ton contre les départements qui ne respecteraient pas la nouvelle répartition des compétences issues de la loi Notre du 7 août 2015. Après avoir rappelé les règles dans une circulaire du 22 décembre 2015 puis, plus sèchement, dans une instruction du 3 novembre, il a renouvelé l’exercice dans une instruction du 26 janvier qui vient d’être mise en ligne et qui s’apparente à une mise en garde. "Les actes des collectivités territoriales en matière de développement économique sont (…) à inscrire au nombre des priorités du contrôle de légalité, au titre de l’accompagnement de la mise en œuvre de la législation nouvelle." Le ministre demande aux préfets de s’assurer "particulièrement du respect des nouvelles dispositions en matière d’aides aux entreprises" et de veiller "en priorité à la mise en conformité des structures de type agences de développement économique avec le nouveau cadre légal". Le ministre n’a pas tardé à mettre ses paroles à exécution. Selon Le Républicain Lorrain, Jean-Michel Baylet a en effet profité d’un déplacement en Alsace il y a quinze jours pour tancer les présidents de départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin qui souhaitent continuer à financer l’agence de développement d’Alsace (Adira). "Le département est en charge de la solidarité. Il ne peut pas continuer à financer l’action économique", a déclaré le ministre, d’après le journal. "L’Etat prendra ses responsabilités et fera appliquer la loi. Je ne quitterai pas mon poste en laissant à mon successeur un problème pareil."
Manque d'anticipation
Pourtant l’Adira, née de la fusion en 2015 des deux agences départementales, n’entend pas faire cavalier seul. Elle se propose aujourd’hui d’être le relai de la région et de mutualiser ses services avec les intercommunalités. Un compromis devrait prochainement être officialisé en ce sens.
En supprimant la clause générale de compétence, la loi Notre a ouvert un vaste chantier pour les agences de développement économique qui jusque-là étaient très souvent implantées à l’échelle départementale (on en comptait une cinquantaine avant la loi Notre). L’article 2 de la loi a donné la possibilité aux départements de continuer à les financer jusqu’au 31 décembre 2016 afin d’éviter un couperet. Leur sort devait être tranché lors du débat en conférence territoriale d’action publique (CTAP) que les régions sont censées avoir organisé. Seulement, "il y a des régions où le débat n’a pas du tout été abordé, on aurait souhaité que le ministre soit aussi attentif à l’organisation des CTAP", relève Antoine Angeard, délégué général du Cner (la fédération des agences de développement), qui déplore un manque d'anticipation.
Une trentaine d'agences départementales maintenues
Depuis lors, une quinzaine d’agences de développement ont été supprimées. C’est le cas des agences du Centre (Indre, Loiret, Eure-et-Loir, Cher), des Pays de la Loire (Maine-et-Loire, Sarthe, Mayenne, Vendée), de deux agences sur trois en Normandie (Calvados Stratégie et Eure Expansion), ou encore des agences Charente Développement, Aisne Développement, ADE Loire… Certains départements avaient même anticipé la loi Notre (Meurthe-et-Moselle, Puy-de-Dôme, Haute-Savoie..).
Souvent l'activité de ces agences a été reprise par la région ou les intercommunalités. Mais une trentaine d’agences départementales ont été maintenues. Elles ont simplement muté pour s’adapter à la loi. "Ces agences départementales veulent tout à fait respecter la loi. Elles répondent aux besoins des collectivités et des entreprises", assure Antoine Angeard. Certaines ont fusionné avec les comités départementaux du tourisme. D’autres ont "évolué plutôt en agences d’attractivité territoriale (c’est le cas de Moselle Attractivité, ndlr), d’autres en agences d’ingénierie territoriale et d’autres sur les aspects numériques ou la solidarité territoriale", précise le délégué général du Cner qui, dans son dernier rapport d'activité, dresse un état des lieux du réseau. Si la loi a mis fin à la clause générale de compétence, font valoir ces départements, elle n'a pas supprimé leur capacité d’agir, que ce soit dans le champ des solidarités territoriales qui inclut notamment l’économie sociale et solidaire (ESS), les compétences partagées avec les autres collectivités (sport, culture, tourisme…), voire le versement des aides à l’immobilier d’entreprise, lorsque cette compétence leur a été déléguée par les communes ou intercommunalités.
"Un simple changement de nom ou de périmètre géographique ne peut permettre à une collectivité de se maintenir", souligne dans son instruction Jean-Michel Baylet, qui a aussi dans son viseur Moselle Attractivité, née de la fusion de Moselle Tourisme et Moselle Développement. Pour le préfet, qui a récemment écrit au président du département, l’agence doit rester cantonnée aux compétences partagées (tourisme, culture, sport…) mais ne pas déborder de ce champ. "Si jamais un contentieux devait avoir lieu, je serais assez étonné que le juge dise que les agences ne respectent pas la loi, certains ministres en ont eu une interprétation quelque peu maximaliste", confie Antoine Angeard qui voit une "lecture très politique" des choses.
Un renforcement des liens avec les intercommunalités
Pour la quasi-totalité de ces agences départementales, "les évolutions se sont traduites par un renforcement très fort avec les intercommunalités du département en question", souligne le Cner, dans son rapport d’activité. Les intercommunalités sont montées en puissance dans leur financement. D’autres agences départementales ont, elles, été transformées en agences métropolitaines. C’est le cas de Team Côte d’Azur à Nice ou de Provence promotion, à Marseille (la plupart des métropoles et des grandes agglomérations possèdent désormais leur agence, à l’image d’Aderly, l’agence lyonnaise).
"Beaucoup d’intercommunalités montent des agences à plusieurs", relève aussi Antoine Angeard. Elles cherchent ainsi à satisfaire les besoins d’ingénierie auxquels les agences départementales répondaient jusque-là. "Ou bien, elles créent une agence de toute pièce là où il n’y avait rien." Ce qui fait qu’au final "on a sans doute plus d’agences qu’avant…" D’ailleurs, toujours selon le rapport d'activité du Cner, "un grand nombre de structures (pays, technopoles, plateformes d’initiatives locales, etc.) s’interrogent quant à l’élargissement de leurs missions et, ainsi, à leur mutation en agence de développement".
Une situation complexe dans le Grand Est
Au niveau des régions, la situation reste disparate. Certaines d'entre elles sont allées très vite pour s’adapter à leur nouveau périmètre. C’est le cas de la Nouvelle-Aquitaine : les trois anciennes agences régionales ont fusionné tout en maintenant des antennes locales. Le chantier est également bien avancé en Occitanie. Il est vrai que la situation semble plus compliquée dans le Grand Est "où l’on ne voit pas d’organisation portée par la région elle-même", concède Antoine Angeard. En plus de l'Adira, on compte trois agences régionales : ID Champagne-Ardenne, l’agence d’attractivité d'Alsace 3A et le centre de ressources de Lorrain. Toutefois, pour le délégué général du Cner, on voit bien deux pôles se dessiner, "l'un sur l'accompagnement des territoires et des entreprises, l'autre sur l'export, l'international, le tourisme et l'attractvitié". "La loi Notre est partie d’un postulat erroné, ajoute-t-il. Si le but était de supprimer des agences pour les supprimer, c’est loupé. Si on avait mieux anticipé, en favorisant des rassemblements, on n'en serait pas là..."
A noter que l'instruction du ministre ne se limite pas aux agences de développement. Elle s'intéresse aussi aux sociétés d'économie mixte locales (SEML) et aux sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) : "Le risque contentueux que le maintien de collectivités territoriales non compétentes fait peser sur les décisions prises par ces structures doit être rappelé aux collectivités et groupements actionnaires." Les départements actionnaires de telles sociétés intervenant hors de leur nouveau champ de compétence avaient jusqu'au 31 décembre 2016 pour céder plus des deux-tiers de leurs actions.