Le gouvernement mise sur les tiers-lieux, "l’acupuncture" de territoire
À l’occasion de l’installation du Conseil national des tiers-lieux à la Cité fertile de Pantin lundi 17 juin 2019, plusieurs ministères - Cohésion des territoires, Ville et Logement, Numérique, Culture entre autres - ont fait le déplacement. Avec un plan d'un montant de 45 millions d'euros, le gouvernement entend reconnaître "l’importance de ce mouvement de fond qui transforme nos territoires". Ruraux y compris.
"Les tiers-lieux, c’est l'acupuncture des territoires", a comparé Jacqueline Gourault, reprenant l’expression de la cofondatrice et cogérante de la Coopérative des tiers-lieux, Marie-Laure Cuvelier. "L’État est là pour vous accompagner, mais il ne faut pas tomber dans le panneau de la normalisation", a averti la ministre de la Cohésion des territoires.
Lors de cette première journée de travail du Conseil national des tiers-lieux du 17 juin 2019, le gouvernement a souhaité reconnaître l’importance de ce mouvement de fond qui "représente un véritable potentiel de reconquête économique", soulignent les ministres concernés dans la présentation du programme. Transition écologique, accès au numérique, apprentissage par "le faire", travail indépendant... les tiers-lieux "épousent les évolutions [...] de notre société". "L'Etat va y consacrer 45 millions d'euros. C'est très ambitieux dans le contexte budgétaire actuel", a précisé le ministre chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie. Baptisé "Nouveaux lieux, Nouveaux liens", le programme prévoit une série de mesures et de financements pour aider au télétravail et permettre l'accès à des services dans divers domaines : formation, travail, accès aux droits, éducation, culture…
Soutien d'Action Logement, d'Amundi et de l'Anru
"Nous avons aussi le soutien d'Action Logement, qui va débloquer 50 millions d'euros pour soutenir l'investissement des tiers-lieux dans le foncier et les infrastructures”, a souligné Julien Denormandie. De leur côté, Amundi, acteur de l’investissement socialement responsable (ISR) et le fonds de co-investissement de l'Anru ont annoncé la création d’un fonds d’investissement immobilier dédié aux tiers-lieux et espaces de coworking implantés dans les quartiers prioritaires de la politique de la Ville (QPV). En signant une déclaration d’engagement pour la création avant fin 2019 de ce fonds doté de 50 millions d’euros, ils financent l’émergence de tiers-lieux dans les territoires. "Ce fonds aura pour vocation de porter les murs de plusieurs dizaines de tiers-lieux et d’espaces de coworking en QPV", a précisé l’Anru dans un communiqué le jour même. Ces acquisitions devraient intervenir dès le deuxième semestre 2019 et être réalisées dans un délai de deux ans. Une vingtaine de projets répondant aux critères du fonds coworking sont identifiés dans toute la France.
Rompre la solitude
Le récent rapport de Patrick Lévy-Waitz recensait près de 1.800 tiers-lieux en 2018 "dont près de la moitié en dehors des grandes villes et des grandes métropoles", a tenu à souligner Jacqueline Gourault. Destinés à rompre la solitude de l’auto-entrepreneur ou du télétravailleur, à stimuler les échanges de compétences, à faire naître de nouvelles activités, le tiers-lieu se doit d’être plus qu’un simple espace. "C’est un processus social", estime Yoann Duriaux, co-auteur du manifeste des tiers-lieux. Dès 2013, l’auteur avait mis en garde contre les effets "toxiques" que peuvent générer ces tiers-lieux, susceptibles de se transformer en "hackerspaces". "On travaille 23 heures sur 24, on ne regarde plus les avantages sociaux (…). Les situations dégradées deviennent tolérables grâce à la bienveillance des gens." Mais ces risques de dérives ne seront pas abordés le 17 juin à Cité fertile. L’heure est à la célébration du modèle.
"Ces nouveaux espaces vont permettre de dépasser le sentiment de déclassement que peuvent ressentir certaines populations", a déclaré Jacqueline Gourault, évoquant le mouvement des gilets jaunes et les populations rurales. Ainsi, 15 millions d’euros pour l’appui à la création de tiers-lieux ruraux sont annoncés par l’État, en les rendant éligibles aux subventions d’investissement gérés par les préfets. Par ailleurs, chaque maison France Services (1) labellisée bénéficiera d’une subvention à hauteur de 30.000 euros par an.
Subvention pour l’amorçage
Le gouvernement s'est donc engagé à accompagner et aider financièrement les initiatives locales sur l'ensemble du territoire. Il s'agit de "favoriser le maillage" des territoires et de donner à ces espaces de travail les moyens de développer des services d'intérêt général, en impliquant des partenaires publics et privés. Parmi les mesures annoncées : une subvention "sur deux ou trois ans" pour aider à l'amorçage des projets et ceux "qui doivent faire des travaux d'acquisition et d'aménagement pour créer leur espace" pourront bénéficier d'un "soutien à l'investissement". L'État a par ailleurs annoncé mettre à disposition des porteurs de projets des lieux vacants (bureaux, friches...) dont il est propriétaire.
100 campus connectés d’ici 2022
Le gouvernement entend développer aussi des "fabriques de territoire" - des lieux de formation et d'apprentissage, avec une attention particulière aux populations "éloignées d'Internet" -, notamment en outre-mer et dans les quartiers en difficulté. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, présent lors de ce premier conseil national, a dépeint le stéréotype du tiers-lieux attirant "l’homme urbain trentenaire, start-upeur et déjà très connecté". Mais "le numérique ne doit pas être un facteur d’exclusion supplémentaire", a-t-il souligné. Et de rappeler que 13 millions de Français n’utilisaient pas internet. "Au contraire, le numérique et les tiers-lieux doivent être le prétexte pour recréer du lien."
Cent "campus connectés", labellisés par le ministère de l'Enseignement supérieur, seront par ailleurs créés d'ici 2022. "Ces tiers-lieux permettent à des étudiants de suivre des formations de premier cycle à distance" pour aider notamment ceux qui ne peuvent pas étudier loin de chez eux. Chaque projet bénéficiera d’une subvention d’amorçage de 50.000 euros, plus 1.000 euros par étudiant et par an, sur trois ans.
1.000 Micro-Folies d’ici 2022
Franck Riester, ministre de la Culture, a annoncé quant à lui le projet d’accélération du déploiement des Micro-Folies pour atteindre d’ici trois ans le nombre de 1.000 sur tout le territoire d’ici 2022. L'objectif va se traduire par l’ouverture de 200 à 300 Micro-Folies par an. Ce programme est un dispositif de politique culturelle "hors les murs" imaginé par Didier Fusillier, président de l’établissement public du Parc et de la Grande Halle de La Villette (EPPGHV), pour le compte du ministère de la Culture. "Ces espaces modulables de démocratie culturelle et d'accès ludique aux œuvres des plus grands musées nationaux intègrent un musée numérique, un Fab-Lab, un espace de rencontre et permettent à ses visiteurs de se situer des deux côtés de la création en étant spectateurs mais également créateurs", a détaillé le ministère de la Culture dans son communiqué du 17 juin.
Un cofinancement entre le ministère de la Culture et le ministère de la Cohésion des territoires sera mis en place afin de déployer les 800 nouvelles Micro-Folies. "Ces dispositifs permettront aux territoires les moins équipés (zones rurales prioritaires, quartiers politiques de la ville, villes des plans du CGET) de bénéficier d’équipements culturels", ajoute le ministère de la Culture. Une nouvelle phase qui nécessitera d’associer finement les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les équipements régionaux afin de permettre notamment l’itinérance de collections ou l’installation de résidences d’artistes.
(1) Le gouvernement entend faire des maisons France Services, future appellation des actuelles maisons de services au public (MSAP), dont l'offre de services devra être renforcée, de véritable tiers-lieux administratifs regroupant au moins neuf opérateurs publics (dont La Poste, Pôle emploi, Cnaf, Cnav, Cnam, MSA, ministères de l’Intérieur, de la Justice et services fiscaux)