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Economie numérique - De plus en plus de régions se mobilisent en faveur des tiers-lieux de travail

Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Hauts-de-France... plusieurs grandes régions s'engagent pour accompagner les mutations des modes de travail et favoriser l'implantation de réseaux de tiers-lieux. Avec, à la clef, l'intention d'en faire un catalyseur de développement local, en particulier pour les zones rurales.

Cela fait désormais bon nombre d'années que la mutation des modes de travail est scrutée avec attention par les pouvoirs publics. Pourtant, la France n'est pas particulièrement en pointe en ce domaine. Seulement 10% de la population active pratiquerait le télétravail régulièrement, bien loin des 25% constatés aux Pays-Bas par exemple. Cependant, la poussée des tiers-lieux pourrait changer la donne. Ces espaces de travail collaboratifs, innovants et flexibles sont en plein boom. Neo-Nomade, acteur privé de la réservation d'emplacements de co-working, affirme que le nombre d'espaces en France a triplé en six ans, pour atteindre 800 en 2016. S'il est difficile de dénombrer réellement des lieux qui ont des statuts et des modes de fonctionnement différents, il en reste que la dynamique s'étend : en 2012, plus de la moitié des départements français n'hébergeait aucun tiers-lieu, alors que désormais, nombreuses sont les zones rurales qui attirent les projets associatifs ou suscitent des initiatives portées par les collectivités.

Les régions affichent des objectifs ambitieux

Alors que les collectivités avaient, de longue date, tenté d'encourager la mise en place de télécentres, l'émergence des tiers-lieux doit plutôt son succès à des dynamiques associatives spontanées. Cependant, tant au niveau local que régional, les acteurs publics constituent souvent les premiers partenaires et soutiens des espaces de travail collaboratifs. Depuis quelques mois, plusieurs régions ont affiché leurs ambitions pour le développement des tiers-lieux. Localtis avait relaté le volontarisme de la région Nouvelle-Aquitaine qui, via des appels à projets réguliers, soutient l'extension du réseau local à l'échelle de la nouvelle grande région (voir notre article de 6 octobre 2016) ; le tiers-lieu est ici nettement appréhendé comme une nouvelle opportunité pour les espaces ruraux. La préfecture de la Creuse, Guéret, constitue sur ce point une belle réussite : son espace, La Quincaillerie Numérique, parvient à concilier des fonctions d'accompagnement social et d'accélérateur économique et suscite des émules en Limousin.
C'est maintenant au tour de l'Occitanie de structurer son offre autour d'un portail web permettant d'identifier les tiers-lieux locaux et de réserver un espace de travail. C'est La Mêlée, association responsable de La Cantine de Toulouse, qui impulse le mouvement, avec l'appui étroit des collectivités et des consulaires. Le 24 novembre, la région Hauts-de-France annonçait également que le renforcement des tiers-lieux constituerait un pilier de sa politique numérique.
La région Île-de-France, qui compte à l'heure actuelle plus de 140 tiers-lieux, entend forcément rester à la pointe du mouvement. En juin dernier, Valérie Pécresse avait annoncé un plan pour porter à un millier le nombre de tiers-lieux franciliens à l'horizon 2021 et souhaitait amorcer la création de 50 nouveaux espaces en zone rurale dès 2016. Il s'agit d'accorder des subventions, au titre des aides à l'investissement en faveur des infrastructures locales, à destination des collectivités mais également des entreprises et des coopératives. Ce sont les frais d'aménagement et d'équipement des espaces qui sont principalement éligibles. Mais en parallèle de l'appui à des initiatives locales, l'Île-de-France discute aussi avec les propriétaires de grands réseaux d'espaces ouverts au public (La Poste, SNCF) afin de pouvoir multiplier rapidement le nombre de tiers-lieux implantés sur le territoire.

N'est pas tiers-lieu qui veut : les pièges d'une croissance rapide

Or, la dynamique d'un tiers-lieu ne repose pas tant sur des équipements que sur un ancrage local et la fidélité d'une communauté d'usagers. Sur ce point, les collectivités risquent de contribuer à la crise de croissance du secteur en suscitant des espaces de travail collaboratifs qui ne répondent pas à une demande locale probante. Les acteurs associatifs des tiers-lieux, qui tentent de se constituer en réseaux régionaux pour structurer leurs offres et gagner en visibilité, témoignent du besoin de mettre en place une juste distance entre l'initiative privée et l'acteur public. Si la collectivité applique au tiers-lieu les règles administratives qui prévalent dans ses locaux pour ses propres activités, le choc des cultures pourrait bien s'avérer fatal.
Du côté des territoires, on est souvent conscient de ce risque. A l'image de Nathalie Gosselin, adjointe à l'économie numérique de la ville de la Roche-sur-Yon. Le lieu totem de French Tech Vendée, la LOCO Numérique, procède en effet d'une initiative de la ville. "A terme, notre désir est de laisser ce lieu fonctionner par lui-même, selon un modèle associatif", précise l'élue. "Une gestion publique induit des lourdeurs peu compatibles avec le fonctionnement agile nécessaire à un tiers-lieu". La collaboration avec de grands groupes, même publics, ne relève pas non plus de l'évidence : en somme, les acteurs de terrain en appellent à ne pas aller trop vite, au risque de dénaturer le modèle originel des tiers-lieux. Un équilibre reste donc à définir entre célérité et respect des dynamiques locales.

Pierre-Marie Langlois / EVS

L'exemple de la Cordée
La Cordée a été l’un des premiers acteurs français à faire émerger ces lieux dédiés à une nouvelle forme d'exercice du travail en ouvrant à Lyon un espace en novembre 2011. Depuis, la Cordée a essaimé à Paris, Annecy, Rennes, Nantes, Lamure-sur-Azergues et Morez dans le Jura… Soit plus de 1.000 membres réguliers répartis sur 12 lieux.
Dans un paysage mêlant acteurs historiques associatifs ou publics d’un côté, grandes structures immobilières de l’autre, la Cordée se dit atypique dans le sens où elle assume son statut entrepreneurial (une SAS), privilégie les petites communautés de coworkers mêlant des usagers de métiers et statuts divers… Elle inclut un bureau d'études et de conseil accompagnant entre autres "les collectivités qui souhaitent développer l’activité économique et dynamiser l’entrepreneuriat sur leur territoire". La Caisse des Dépôts s'est associée à ce projet en entrant au capital de la Cordée en novembre 2015. "A la ville comme à la campagne, le coworking est en plein essor et les espaces de coworking émergent à un rythme impressionnant, multipliés par trois en cinq ans. La multiplication de ces 'troisièmes' ou tiers-lieux entre le domicile et le bureau est une tendance lourde, structurante et pérenne", résument aujourd'hui la Caisse des Dépôts et la Cordée à l'occasion du cinquième anniversaire de l'entreprise.

C. M.