Le gouvernement met les gaz sur les bornes de recharge

Alors que l’électrification du parc de véhicules routiers s’intensifie, le gouvernement a présenté ce 27 octobre un plan d’actions afin d’atteindre 400.000 points de recharge ouverts au public d’ici 2030. Il entend notamment faire en sorte que l’ensemble du territoire soit couvert par des schémas directeurs territoriaux de déploiement des infrastructures de recharge d’ici l’an prochain. Une mesure qui semble opportune à l’heure où certains, parmi lesquels Sylvain Laval, co-président de la commission transports de l’AMF, alertent sur le risque de fracture territoriale en la matière. 

Alors que l’électrification du parc de véhicules routiers s’intensifie – un véhicule neuf sur cinq immatriculé en septembre était 100% électrique –, le gouvernement a présenté ce 27 octobre un plan en faveur du déploiement des bornes de recharge électriques, avec pour ambition d’atteindre 400.000 points de recharge ouverts au public d’ici 2030 (contre environ 110.000 aujourd’hui), dont au moins 50.000 en recharge rapide. Un objectif qui s’inscrit notamment dans le cadre de la réglementation européenne, et plus particulièrement du règlement dit Afir récemment adopté (v. notre article du 27 juillet).

Incitations et contraintes

Pour y parvenir, Agnès Pannier-Runacher et Clément Beaune ont notamment annoncé plusieurs mesures de soutien financier au déploiement de ces bornes. Le programme Advenir, porté par l’association Avere-France et financé grâce au mécanisme des certificats d’économie d’énergie (v. nos articles des 6 mars 2018 et 27 mai 2020), sera ainsi doté de 200 millions d’euros supplémentaires sur la période 2024-2027. Son accès sera en outre élargi au résidentiel collectif, aux bornes en voirie pour les "recharges du quotidien" et à la recharge pour poids-lourds. Le crédit d’impôt relatif à l’acquisition et l’installation de bornes de recharge à domicile sera, lui, porté de 300 à 500 euros. Et 10 millions d’euros seront mobilisés par le gouvernement et l’Ademe pour équiper les petites stations-service indépendantes (un appel à projets dédié sera ouvert à partir du 1er janvier prochain). S’agissant des recharges en voirie, le gouvernement rappelle en outre que le bouclier tarifaire mis en place l’an dernier pour limiter l’impact de la hausse des prix de l’énergie sera prolongé l’an prochain.

Le gouvernement prévoit par ailleurs de renforcer les règles de pré-équipement des bâtiments, résidentiels ou non, pour tenir compte des évolutions en cours de la directive performance énergétique des bâtiments. En outre, un arrêté précisant les taux minimums de places accessibles aux personnes à mobilité réduite parmi l’ensemble des points de recharge en voirie des collectivités devrait être publié dans les prochains jours.

Planification

Le gouvernement entend également définir d’ici la fin de l’année un "schéma national des sites de raccordement haute puissance des stations de recharge", incluant notamment les aires des grands axes routiers ou les sites privés, en complément des exigences du règlement Afir. 

Il veillera aussi à la poursuite du développement des schémas directeurs territoriaux de déploiement des infrastructures de recharge (Sdirve – v. notre article du 12 mai 2021), prévus dans le cadre de la loi LOM (v. notre article du 5 mai 2021), avec pour objectif de couvrir l’ensemble du territoire d’ici la fin de l’année prochaine. Pour y parvenir, il rappelle que des dispositifs de financement ont été mis en place par la Banque des Territoires. Le gouvernement entend en outre initier un travail de mise à disposition de données du foncier public disponible susceptible d’accueillir ces infrastructures de recharge. De même, il prévoit l’établissement, avec les acteurs concernés, d’un schéma du réseau de points de charge nécessaires aux professionnels du transport, tant de marchandises que de voyageurs, et ce, que ce soit au dépôt, à destination et en itinérance.

Nécessaire coordination

Intervenant la veille sur ce sujet des bornes de recharge devant les membres de l’association Équilibre des énergies (EdEn), Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux, co-président de la commission transports de l’Association des maires de France (AMF) et président du syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise, a précisément insisté sur l’importance de "poser tous les enjeux de la mobilité électrique" dans ces Sdirve (schémas directeurs territoriaux de déploiement des infrastructures de recharge). "Il faut savoir quels sont et où sont les besoins. Il est impossible et déraisonnable de déployer des bornes de recharge partout", explique-t-il, en ajoutant que ces bornes "ne doivent pas être nécessairement sur l’espace public. On se gare le plus souvent sur des espaces privés : domicile, lieu de travail, espace commercial… Tout ne pourra pas reposer sur les collectivités". D’où la nécessité selon lui que ces dernières ne déterminent pas ce schéma "dans leur coin". Il attire également l’attention sur le fait que "l’on ne rechargera pas tous et toujours de la même manière", distinguant la nécessité de "privilégier les recharges lentes à domicile, sur les parkings relais…" et "les recharges à forte puissante sur les autoroutes, par exemple".

Risque de fracture territoriale

Si l’élu souligne que contrairement à ce que l’on pourrait penser, "les zones rurales peu denses sont aujourd’hui plutôt mieux dotées que les villes", notamment du fait de "leur appartenance à des syndicats d’énergie locaux qui ont amorcé le mouvement en posant une borne sur la place du village", il pronostique un rapide renversement de la situation. "Ce n’était pas jusqu’ici la priorité des villes, mais vu leur force de frappe importante, elles vont rapidement résorber leur retard", pronostique-t-il. S’il ne doute pas qu’avec la maturité du marché, les opérateurs ne manqueront pas d’équiper les centres urbains, il craint à l’inverse que les territoires ruraux ne soient abandonnés, alors qu’ils sont déjà les moins bien lotis en matière de mobilité. Et de relever, à propos des ZFE-m, que leur impact "est plus fort à l’extérieur de la zone. Or le système est construit pour ceux qui habitent au sein de la zone, qui sont ceux qui bénéficient déjà de solutions alternatives beaucoup plus nombreuses que les autres. Faire sans la voiture, c’est facile en ville. Mais pas à 30km, où il n’y a pas d’autre réponse".

Des normes contreproductives

Pour autant, les obstacles ne manqueront pas non plus en ville. Sylvain Laval relève ainsi que si l’installation de points de recharge à domicile ne devrait guère poser de difficulté dans le monde rural ou dans les zones pavillonnaires, il en ira autrement pour les immeubles collectifs, faute d’espace, qui constitue globalement le principal point bloquant. "On veut tout faire : des pistes cyclables, élargir les trottoirs, déployer des bornes de recharge, rendre toutes les places accessibles aux personnalités à mobilité réduite, alors que l’espace est contraint", met en garde l’élu. Il déplore au passage "la rigidité des normes françaises", qui paradoxalement "ralentissent un mouvement qu’elles entendent accélérer", et la longueur des procédures – "Il faut dix ans pour sortir une ligne de tramway" –, qui oblitèrent selon lui la crédibilité des élus. 

Logique du tout ou rien

Il conteste en outre la pertinence du "tout électrique tout de suite". Il prend l’exemple des transports en commun, pour lesquels "s’il est évident qu’il faut sortir du diesel, l’approche doit être différente car le sujet n’est pas suffisamment mature et l’électricité ne répond pas, pour l’instant, à l’ensemble des besoins", plaidant ainsi pour que "le gaz et le biogaz soient permis en transition". Or "le discours est très faiblement audible au niveau européen, où l’on est adepte du tout ou rien", déplore-t-il. Il prend aussi l’exemple de l’aide aux particuliers pour qu’ils délaissent leurs vieux véhicules polluants : "Si vous êtes un foyer modeste, vous ne pouvez pas acheter un véhicule électrique neuf tout de suite. Aider à l’achat d’un véhicule thermique d’occasion, mais plus récent, est une bonne réponse", estime-t-il. Soulignant la complexité des transformations à conduire, Brice Lalonde, président d’EdEn, opine, alertant à son tour sur "le risque d’un retour en arrière" induit par la tentation de la "surenchère" : "Le mieux est l’ennemi du bien", assure-t-il.