Prévention des risques naturels - Le fonds Barnier épinglé par la Cour des comptes
Dans un référé rendu public jeudi 2 mars, la Cour des comptes étrille la gestion du fonds Barnier destiné à la prévention des risques naturels. Elle critique les élargissements successifs de son champ d'intervention qui ont conduit à "débudgétiser" la politique de prévention des risques naturels et dénonce une comptabilité "inutilement complexe", des dépenses mal évaluées et même des cas d'indemnisations indues.
Initialement dévolu au financement des indemnités versées aux propriétaires de biens expropriés en raison de risques naturels graves, le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), plus connu sous le nom de fonds Barnier, "est devenu la principale source de financement de la politique de prévention des risques naturels sans aucune stratégie autre que la volonté de reporter (...) une partie de la charge financière des actions de l'État" sur celui-ci, estime la Cour des comptes dans un référé rendu public jeudi 2 mars. A sa création, en 1995, et jusqu'en 2004, ses dépenses étaient limitées à environ 10 millions d'euros, par an. Elles ont atteint 100 millions d'euros en 2007 puis 158 millions d'euros en 2014 "en raison d'un champ d'intervention régulièrement élargi", déclare le président de la Cour des comptes, Didier Migaud, dans une lettre aux ministres de l'Environnement, Ségolène Royal, et de l'Economie, Michel Sapin.
Risque de disparition de la trésorerie du fonds
"L'élargissement du champ d'intervention du FPRNM et la pérennisation de ses interventions temporaires n'ont généralement pas fait l'objet d'évaluations en termes d'enjeux et de coûts pluriannuels, pointe Didier Migaud. Or, les dépenses prévisibles du fonds devraient être à court terme supérieures à ses recettes, entraînant une disparition progressive de sa trésorerie." Le fonds se retrouve aujourd'hui à financer des dépenses ordinaires de l'Etat, comme par exemple des études ou des subventions aux collectivités locales, faisant ainsi grimper les siennes. Il faudrait "subordonner tout nouvel élargissement des missions à une évaluation précise du coût de la mesure et de son impact sur la soutenabilité des engagements du fonds", recommande donc Didier Migaud.
Autre problème soulevé par la Cour : alors que le fonds est financé par un prélèvement de 12% sur les primes additionnelles versées par les assurés au titre de la garantie catastrophe naturelle, l'élargissement des missions du fonds a "fortement distendu" le lien entre contribution et bénéfice individuel puisque seuls les propriétaires de biens assurés pouvaient recevoir une aide au titre du fonds. En outre, le mode de suivi comptable des crédits "n'est pas conforme aux règles de gestion des crédits publics", juge le président de la Cour des comptes. Il relève l'absence "de comptable assignataire chargé de contrôler les dépenses ordonnancées par les préfets". La Cour recommande donc de simplifier le mode de gestion du fonds et de clarifier les responsabilités des différents acteurs.
Procédure de "délocalisation" à revoir
Enfin, la révision du dispositif de "délocalisation", mission originelle du fonds, "est devenue nécessaire", affirme la Cour. Il s'agissait initialement de financer une procédure permettant aux personnes résidant dans des zones où leur vie est gravement menacée par certains risques naturels majeurs, de se réinstaller ailleurs dans des conditions économiquement satisfaisantes. Depuis sa création, le fonds finance le rachat des biens à un niveau supérieur à leur valeur vénale puisque l'indemnité versée est calculée au prix du marché dans une zone comparable mais non exposée au risque. "Ce dispositif s'avère particulièrement avantageux pour les bénéficiaires : aucun élément relatif à leur patrimoine, à leur situation personnelle ou au statut de l'habitation – principale ou secondaire – n'est pris en compte pour l'examen de l'éligibilité et la détermination du montant de l'indemnisation, note Didier Migaud. A l'inverse, l'Etat acquiert à un prix supérieur au prix du marché des biens qui ont en réalité perdu toute valeur et qui ne peuvent faire l'objet d'aucune valorisation en raison de la dangerosité de la zone."
Des critiques avaient déjà été émises par la Cour sur les conditions de mise en œuvre des délocalisations à la suite de la tempête Xynthia. Après l'examen de nombreux dossiers d'indemnisation dans plusieurs régions, elle pointe "la persistance de certaines dérives et une hétérogénéité marquée des pratiques à l'origine d'inégalités de traitement entre citoyens, voire de surcoûts injustifiés".
Elle dit avoir notamment identifié des cas de rachats de biens "dans des conditions critiquables". Le fonds a ainsi pu être mobilisé pour prendre en charge des biens non assurés alors que le code de l'environnement pose comme condition à une acquisition amiable que le bien soit préalablement assuré. Parfois même, des améliorations réalisées sur le bien à racheter, s'avérant illégales ou non conformes aux règles d'urbanisme, ont été prises en compte lors du calcul de la valeur du bien, rapporte aussi la Cour qui avait déjà déploré en 2012 l'absence de contrôle systématique du respect de l'urbanisme des biens rachetés après la tempête Xynthia.
Groupe de travail interministériel
Dans sa réponse au référé de la Cour, Ségolène Royal indique que la mise en place d'un groupe de travail interministériel est envisagée "afin de mener une réflexion d'ensemble sur l'évolution des règles applicables" à la procédure de délocalisation. "Ce groupe de travail pourrait d'abord étudier l'intérêt de maintenir trois procédures distinctes de délocalisation, à savoir : l'acquisition amiable de biens exposés, l'acquisition amiable de biens sinistrés et l'expropriation", indique la ministre de l'Environnement. Les modalités de l'indemnisation pourraient aussi être réévaluées "afin de préciser les types de biens indemnisables et les critères d'indemnisation", ajoute-t-elle. Enfin, poursuit Ségolène Royal, "les règles d'utilisation des terrains après acquisition pourraient être redéfinies et clarifiées, notamment pour préciser les obligations de rendre inconstructible le terrain, la limitation de l'accès aux biens et les éventuelles possibilités de réutilisation des terrains acquis."