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Transports - Le débat sur le ferroviaire remis à plus tard grâce à un méli-mélo d'alliances

Réunis à Strasbourg en séance plénière, les eurodéputés n'ont pas voulu se prononcer sur l'architecture des activités ferroviaires qui détermine, en grand partie, l'ouverture à la concurrence du secteur. La saga européenne du rail connaîtra un vrai rebondissement en 2012, avec les propositions très attendues de la Commission européenne.

La construction de l'espace ferroviaire européen est animée par des objectifs en apparence consensuels, liés à l'amélioration du service rendu aux usagers ou encore au développement d'un transport propre largement sous-représenté (10% pour les marchandises, 7% pour les voyageurs). Mais l'UE diverge encore sur les moyens pour y parvenir. Juridiquement, le chemin emprunté est complexe : le premier paquet ferroviaire de 2001 ayant été mal appliqué, la Commission a jugé utile de clarifier les règles du jeu dans une seule et même directive adoptée par les eurodéputés, le 16 novembre, à Strasbourg.
La refonte ayant pour but de modifier les textes à la marge, nulle évolution radicale n'est à attendre par rapport à la proposition initiale. Mais les députés européens ont saisi l'occasion de raviver les vieux débats, en tête desquels figure l'équilibre toujours introuvable entre les obligations de service public et la mise en concurrence des entreprises ferroviaires.

La droite et la gauche main dans la main

Et pour cause, le rapporteur du texte, l'Italienne Debora Serracchiani (pourtant issue du S&D) s'est montrée attachée à l'introduction d'une séparation approfondie entre les prestataires de services de transports ferroviaires (SNCF, Trenitalia, SNCB…) et les entreprises gestionnaires des infrastructures (RFF en France). Aujourd'hui, la distinction est limitée à la répartition des sillons et aux droits d'accès versés pour emprunter les rails, deux activités dont les transporteurs ne doivent pas s'occuper, afin d'instaurer une concurrence loyale entre eux.
La fronde des eurodéputés, au-delà même des clivages politiques, a eu raison de la position initialement défendue par Debora Serracchiani. Dans sa version finale, le texte se contente de rappeler ce que la Commission a déjà prévu : présenter, d'ici la fin 2012, une "proposition législative sur la séparation entre le gestionnaire de l'infrastructure et l'exploitant". Cette modération est le fruit d'un drôle d'attelage entre la gauche et une partie de la droite. Si les élus de l'UMP ne s'y sont pas ralliés, les conservateurs allemands avaient à cœur de défendre le modèle intégré de la Deutsche Bahn, où le gestionnaire et l'utilisateur de l'infrastructure sont rassemblés au sein d'une même holding. "C'est ce vers quoi il faudrait sans doute tendre en France, estime l'eurodéputé écologiste Pascal Canfin sur son blog, car la séparation de l'exploitation des trains de celle de l'infrastructure, avec la création de RFF en 1997, ne fonctionne pas."
Dans d'autres pays, comme le Luxembourg, l'inquiétude gagne les élus qui s'interrogent sur l'avenir économique de leur compagnie de chemin de fer, si d'autres géants ferroviaires viennent la concurrencer. Le découplage envisagé par le texte initial "aurait eu des conséquences néfastes, surtout pour les petites entreprises ferroviaires comme la CFL", écrit sur son blog le conservateur luxembourgeois Georges Bach.
La proposition annoncée pour l'an prochain dira dans quel sens la Commission européenne veut faire pencher la balance. Interrogé sur ce sujet à l'occasion d'une audition à l'Assemblée nationale, le 16 novembre, le commissaire européen Siim Kallas n'a pas entonné l'hymne libéral sans doute attendu : "Ce que l'on recherche, c'est un service de transport abordable et efficace. S'il existe une voie pour arriver plus vite à cet objectif, on peut adapter les moyens", a-t-il déclaré, pragmatique. Plus tard dans la journée, le chef des transports de l'UE a cependant contesté l'attitude du Parlement européen, qui a selon lui "rejeté" le principe de "transparence financière". Au cours du vote, les élus sont revenus sur "l'interdiction de transférer des fonds publics d'un domaine d'activité à un autre" en ouvrant la porte à des remboursements des sommes investies dans les installations ferroviaires.
Le jeu d'alliances iconoclastes auquel les eurodéputés se sont livrés a par ailleurs abouti à l'introduction d'autres mesures d'ordre social. Le maintien d'un service minimum, soutenu par la Commission européenne, a par exemple été retiré du texte. "Grâce au grand soutien des syndicats, nous avons empêché la tentative de la Commission qui aurait mis en question le droit de grève", explique, sans ironie aucune, le conservateur Georges Bach.

Les écologistes s'abstiennent

Des avancées insuffisantes pour convaincre les Verts, qui ont préféré s'abstenir. L'obligation, faite aux opérateurs historiques, de mettre leurs ateliers de maintenance des trains à disposition de toutes les entreprises ferroviaires qui en auraient besoin, les a particulièrement froissés. Cette contrainte ne tient pas compte "de leur capacité à servir une nouvelle demande", ce qui "risque de mettre à mal la qualité, voire la sécurité, des transports ferroviaires existants et compromettre la capacité des opérateurs historiques à remplir leurs missions de service public", regrette Isabelle Durant, élue belge des Verts/ALE.
Sur d'autres points, le Parlement a souhaité aller plus loin, en proposant par exemple de porter à sept ans le contrat garantissant un financement de l'Etat à l'entreprise gestionnaire des chemins de fer. Un point qui cristallise les désaccords avec les gouvernements européens, qui souhaiteraient limiter la durée du contrat à trois ans, pendant que la Commission optait pour une durée intermédiaire de cinq ans.
Les eurodéputés souhaitent par ailleurs renforcer le rôle du régulateur national. En tant que gendarme de la concurrence, il doit pouvoir "assortir ses décisions de sanctions appropriées, y compris d'amendes". En France, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires le fait déjà. "Des audits auprès des gestionnaires de l'infrastructure et auprès des entreprises ferroviaires" devraient par ailleurs être régulièrement effectués par les régulateurs nationaux. Un dispositif qui devrait, selon les députés, être complété par la création d'un régulateur européen capable de trancher les litiges sur les lignes transfrontalières ou traiter les recours contre les décisions prises par les régulateurs nationaux.

La libéralisation du rail, un édifice toujours en construction

La prochaine étape pour la libéralisation du rail concerne le transport national de passagers, prévu en 2012, après celle des passagers transfrontaliers en 2010 et celle du fret, en 2006. En France, près de vingt entreprises privées (TPCF, Séco-Rail, Euro Cargo Rail…) sont parvenues à concurrencer la SNCF et représentent aujourd'hui 20% des parts de marché environ. En 2009, l'entreprise Veolia, qui s'était lancée dans l'aventure, jette l'éponge, faute d'atteindre la rentabilité espérée. En France, la libéralisation n'a pas redonné de coup de fouet au secteur, en déclin depuis 30 ans. Le texte voté en plénière sera soumis à une deuxième lecture au Parlement en mai 2012. Une position commune des ministres est attendue pour janvier prochain.