Le Conseil européen "prend acte" de la proposition de création d’un fonds souverain

En dépit de leurs divisions, les 27 ont peu ou prou réussi à trouver un consensus sur le plan industriel proposé par la Commission européenne, qui vise notamment à répondre au plan d’investissement américain. Réuni le 9 février, le Conseil européen s’est toutefois borné à "prendre acte" de la proposition d’un fonds de souveraineté européen, l’une des mesures phares de ce plan. 

Sans surprise, le plan industriel du pacte vert proposé par la Commission européenne le 3 février dernier (v. notre article du 3 février) n’a pas suscité l’enthousiasme lors de la réunion du Conseil européen qui se tenait le 9 février. Il ménage toutefois, avec plus ou moins de réussite, les intérêts, souvent contradictoires, des uns et des autres. In fine, les chefs d’États des 27 insistent ainsi dans leurs conclusions sur "l’urgence de faire avancer les travaux" sur les principaux volets de ce plan. Même si tous sont plus ou moins sujets à frictions. 

Assouplir l’environnement réglementaire

Les 27 se rejoignent notamment sur le nécessaire assouplissement de l’"environnement réglementaire" pour faciliter les investissements. On notera qu’est singulièrement demandée la modernisation des règles en matière de marchés publics pour "encourager une industrie plus verte et promouvoir les normes européennes", sans aller jusqu’au Buy European Act souhaité par le président Macron. "On pêche par trop de complexités", déclarait à la presse Pascal Canfin, président de la commission Environnement (ENVI) du Parlement européen le 8 février dernier. Les 27 se gardent toutefois d’entrer dans les détails. C’est particulièrement le cas avec la réforme du marché de l’électricité, dont on se borne à rappeler les grands objectifs. Rappelons que si certains, singulièrement en France, plaident pour un renforcement de son encadrement, d’autres estiment au contraire, comme la Cour des comptes européenne, que c’est son inachèvement qui pose difficulté (v. notre article du 1er février). "Il faut rendre les prix prévisibles, en créant un marché de long terme" qui fait aujourd’hui défaut, plaide Pascal Canfin. Face aux critiques dont ce marché est l’objet dans l’Hexagone, l’élu tient à souligner que "si on n’avait pas eu ce marché, on aurait eu bien plus de problèmes en France". 

Faciliter les aides d’État

Autre ligne de fracture entre les 27, les aides d’État. Elles opposent classiquement frugaux et interventionnistes. Mais aussi les "petits" aux "grands" États membres, les premiers redoutant qu’un assouplissement trop important de ces règles ne favorise par trop les seconds, à leurs détriments. Particulièrement dans le viseur, l’Allemagne, qui se taille déjà la part du lion en matière de subventions (v. notre article du 3 février précité), et accusée de faire cavalier seul avec son plan d’aides de 200 milliards d’euros annoncé en octobre dernier. "Alors que nos principaux concurrents augmentent ces aides, nous ne pouvons pas être naïfs", plaidait toutefois le 16 janvier dernier le président du Conseil européen, Charles Michel. La déclaration du 9 février pose d’emblée la nécessité "de simplifier et d’accélérer les procédures" afin "de faire en sorte qu’une aide ciblée, temporaire et proportionnée puisse être déployée rapidement, y compris au moyen de crédits d’impôts, dans les secteurs qui revêtent une importante stratégique pour la transition écologique et sur lesquels les subventions étrangères ou les prix élevés de l’énergie ont une incidence négative". Tout en circonscrivant le périmètre, la formulation retenue devrait satisfaire l’Allemagne – qui entend pouvoir jouer des exonérations fiscales pour soutenir notamment ses "cleantech". Ces crédits d’impôts sont "une possibilité très importante. L’une des faiblesses de nos dispositifs, c’est que ce sont des aides qui arrivent parfois deux ans plus tard et demandent beaucoup d’instruction", décryptait Emmanuel Macron à l’issue du Conseil. 

Financements

On retrouve ces mêmes craintes et divisions en matière de financements. La déclaration insiste ainsi sur le fait qu’"un accès équitable aux moyens financiers est indispensable" afin "d’éviter la fragmentation du marché unique". Elle met d’ailleurs en avant l’importance de ce dernier, dont il convient "d’exploiter davantage le plein potentiel" alors qu’il "soutient la prospérité de l’Europe depuis sa création il y a 30 ans". On ne sera donc pas surpris que les 27 s’accordent uniquement sur le déploiement "de manière plus flexible [d]es fonds existants". Cette "flexibilisation" intéresse prioritairement l’Italie, principale bénéficiaire du plan de relance européen, et qui redoute de perdre des fonds. Le Conseil européen invite explicitement la Commission et le Conseil de l’UE "à veiller à ce que les fonds disponibles et les instruments financiers existants soient pleinement mobilisés". "Sans que soient affectés les objectifs de la politique de cohésion", précise la déclaration – un risque récemment pointé par la Cour des comptes européenne (v. notre article du 3 février). 

"J’assume, aux côtés de la Commission, d’avoir privilégié la rapidité d’un accord clair plutôt qu’un débat sur de nouveaux financements", se justifiait le président de la République en conférence de presse. Pour lui, l’accord permet déjà "une réponse à la même magnitude budgétaire" que l’Inflation Reduction Act américain (v. infra) : "Nous pouvons le faire sans avoir un débat sur l’argent nouveau car nous n’avons pas à mobiliser tout ce que nous avons déjà décidé […] au moment de la crise covid", précise-t-il.

À noter que les 27 demandent aussi "d’exploiter pleinement le potentiel de la Banque européenne d’investissement" (BEI). Une phrase sibylline mais tout sauf anecdotique, alors que la "frilosité" de la BEI est régulièrement dénoncée et que Charles Michel a clairement indiqué en janvier dernier que la banque "a pour vocation d’être l’épine dorsale" du projet de ce fonds de souveraineté européen, qu’il promeut par ailleurs.

Fonds de souveraineté européen

Ce projet de fonds souverain, qui ne manque pas de partisans – de Thierry Breton à Ursula von der Leyen, en passant par Emmanuel Macron ou Giorgia Meloni –, n’aura toutefois pas suscité l’enthousiasme, l’Allemagne – parmi d’autres – y restant hostile. Les 27 se bornent dans leur déclaration à "prendre acte de l’intention de la Commission" d’en proposer un avant l’été. Difficile de faire plus froid. "Le fonds de souveraineté va venir dans un 2e temps", assure pourtant Emmanuel Macron. S’il concède "qu’il n’y a pas de consensus", il rappelle "qu’il n’y en avait pas non plus quelques heures avant d’obtenir l’accord de juillet 2020" (celui sur le plan de relance, v. notre article du 21 juillet 2021).

En revanche, si le dernier pilier du plan de la Commission – "Des échanges commerciaux ouverts pour des chaines d’approvisionnement résilientes" – n’émarge pas au rang des "travaux à faire avancer d’urgence", "la poursuite d’un programme commercial ambitieux, solide, ouvert et durable" est bien jugée "essentiel[le] pour renforcer la souveraineté et la prospérité de l’Europe". La déclaration indique d’ailleurs explicitement que "des accords de libre-échange et d’investissement" doivent notamment "permettre à l’Union d’accéder à de nouveaux marchés".

À interventionniste, interventionniste et demi ?

Preuve que la fin de la mondialisation n’a pas encore sonné, si tant est qu’elle soit possible. La fin du multilatéralisme paraît plus certaine. "La guerre à coup de réglementations et de subventions ne fait que commencer", prévient Pascal Canfin. L’Europe y prend sa part. Vantant ainsi le "plan batterie" lancé par l’Union européenne, l’élu estime qu’il peut être vécu "comme un acte agressif par la Chine et la Corée du Sud. C’est l’équivalent de l’Inflation Reduction Act pour l’UE". Alors que le plan industriel de la Commission est souvent présenté comme une réponse à ce plan décennal américain de 370 milliards de dollars d’investissements (v. notre article du 17 janvier), Pascal Canfin s’enorgueillit au contraire du fait que "c’est nous qui avons tiré les premiers !", avec le pacte vert (v. notre article du 11 décembre 2019) et le plan de relance. Le parlementaire entend en outre démystifier l’importance du plan américain. "400 milliards d’euros sur dix ans, soit 40 milliards par an, il n’y a pas de différence fondamentale avec ce que font l’Union européenne et les États membres", estime-t-il, ajoutant que "personne n’a pu démontrer un écart de soutien massif". Plus encore, Pascal Canfin estime salutaire que "les USA nous fassent concurrence pour gagner la bataille du climat". 

 

 

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