Le Conseil d'État juge l'interdiction de l'abaya et du qamis à l'école conforme à la loi

Par un arrêt au fond, le Conseil d'État considère l'abaya et le qamis comme des tenues ostensiblement religieuses et juge leur interdiction proportionnée au but poursuivi.

Après deux ordonnances de référé, le Conseil d'État a, dans un arrêt sur le fond du 27 septembre 2024, jugé conforme à la loi l'interdiction, par une note de service du ministre de l'Éducation nationale, du port de tenues de type abaya ou qamis par les élèves dans les établissements scolaires publics. 

Dans cette note de service du 31 août 2023, le ministre affirmait que "dans certains établissements, la montée en puissance du port de ces tenues a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir" et que "ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l'institution scolaire sur l'ensemble du territoire". S'appuyant sur l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation – qui reprend la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics –, la note ajoutait que "le port de telles tenues [à l'école], qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré". 

Trois associations avaient alors saisi le Conseil d'État pour demander la suspension puis l'annulation de cette note de service. Ces demandes avaient été rejetées par deux ordonnances de référé (lire notre article du 8 septembre 2023), qui estimaient que l'interdiction du port de ces vêtements ne constituait pas une "atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ou au principe de non-discrimination".

"Logique d'affirmation religieuse"

Dans son arrêt sur le fond, le Conseil d'État va plus loin. Il rappelle tout d'abord le caractère laïc de l'enseignement public en France, puis souligne que les signalements d'atteinte à la laïcité dans les établissements d'enseignement publics adressés au ministère de l'Éducation nationale ont connu une "forte augmentation" durant l'année scolaire 2022-2023 : parmi les 4.710 signalements recensés, 1.984 étaient relatifs au port, dans les établissements d'enseignement publics, de signes ou tenues méconnaissant les dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation, contre 617 en 2021-2022 et 148 en 2020-2021.

Pour reconnaître le caractère "ostensiblement religieux" des tenues incriminées, le Conseil d'État va considérer que le ministre de l'Éducation nationale fait valoir que "le port de ces tenues par des élèves dans les établissements d'enseignement publics s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse". En effet, la synthèse des "remontées académiques" du mois d'octobre 2022 faisait apparaître que le port de ces tenues "s'accompagnait en général, notamment au cours du dialogue engagé avec les élèves faisant le choix de les porter, de discours en grande partie stéréotypés, inspirés d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux et élaborés pour contourner l'interdiction énoncée par ces dispositions". Pour le Conseil d'État, le ministre a donc "exactement qualifié, au vu des circonstances [...], le port de ce type de tenue en milieu scolaire de manifestation ostensible d'une appartenance religieuse au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation". Parallèlement, la Haute Juridiction ajoute que le ministre n'a pas été "sérieusement contredit par les écritures des requérants et les pièces qu'ils ont produites".

Pour un enseignement public exempt de pression

De plus, le Conseil d'État va retourner contre les requérants l'argument tiré de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDHLF) portant sur le droit au respect de sa vie privée et familiale. Après avoir émis un doute sur le fait que la liberté des élèves de choisir les vêtements qu'ils entendent porter en milieu scolaire relève du champ d'application de l'article 8 de la CESDHLF, le Conseil d'État va estimer que l'interdiction visée par le texte attaqué poursuit un des buts légitimes énumérés par l'article 8 de la convention, en l'espèce, la protection des droits et libertés d'autrui, laquelle "requiert, notamment, la garantie pour les élèves de bénéficier d'un enseignement public exempt de toute forme d'exclusion et de pression, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui".

Enfin, pour juger que la note de service attaquée n'est pas disproportionnée au but poursuivi, le Conseil d'État fait valoir, d'une part, que les dispositions législatives "n'interdisent pas le port de tout signe religieux par les élèves dans les établissements d'enseignement publics mais seulement celui de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse", autrement dit, que le port de signes discrets est autorisé ; et d'autre part, que les élèves qui refuseraient de renoncer à porter de telles tenues et feraient l'objet d'une mesure d'exclusion de leur établissement d'enseignement public peuvent poursuivre leur scolarité, notamment dans un établissement privé.