Enfance - Le Conseil d'Etat annule l'arrêté couvre-feu pour les mineurs à Béziers, mais n'exclut pas les mesures plus ciblées
Dans un arrêt du 6 juin 2018, le Conseil d'Etat annule un arrêté du maire de Béziers interdisant la circulation des mineurs de treize ans non accompagnés d'une personne majeure, de 23 heures à 6 heures du matin, les vendredis, samedis et dimanches, dans le centre-ville et dans la "zone spéciale de sécurité". L'arrêté en question, modifié par un arrêté ultérieur du 7 juillet 2014, couvre toute la période d'été, du 15 juin au 15 septembre. Ce n'est certes pas la première initiative de ce genre, ni la première décision du Conseil d'Etat sur le sujet, mais celle-ci constitue une synthèse intéressante.
Des arrêtés "couvre-feu" qui se multiplient depuis vingt ans
Des tentatives, annulées par le Conseil, avaient déjà eu lieu il y a une vingtaine d'années, par exemple à Dreux ou à Gien en 1997. Le véritable début des arrêtés "couvre-feu" pour les mineurs se situe toutefois à Orléans. A l'époque, un arrêt du Conseil d'Etat du 9 juillet 2001 avait validé l'arrêté pris par le maire (UDF) de l'époque Serge Grouard. Cette possibilité d'arrêtés couvre-feu est d'ailleurs expressément prévue dans la loi Loppsi 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) du 14 mars 2011 (voir notre article ci-dessous du 9 février 2011).
De nombreux autres arrêtés ont suivi dans des villes de droite comme de gauche, avec plus ou moins de succès, à Nice, Cannes, Gonesse, Gennevilliers, Asnières, Colombes...
Des arrêtés ont également été pris dans des petites villes, comme Origny-Sainte-Benoite (Aisne, 1.700 habitants), Cézac (Gironde, 2.500 habitants), Villedieu-les-Poêles (Manche, 3.600 habitants), Caudry (Nord, 15.000 habitants), Mazamet, Montgeron ou Lisieux.
Il y a quelques semaines, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (LR) avait envisagé de prendre un arrêté de ce type après les violences urbaines dans le quartier du Mirail, avant d'y renoncer une fois le calme revenu.
Les motivations de ces arrêtés balancent entre des motifs sécuritaires (troubles à la quiétude, lutte contre la drogue, violences urbaines...) et des motifs davantage tournés vers l'éducation et la protection de l'enfance (protection des enfants contre les violences, suppléance des défaillances parentales...).
Le maire peut pendre un arrêté "couvre-feu"...
L'arrêté du maire de Béziers reprenait les caractéristiques des arrêtés validés antérieurement par la justice administrative : durée raisonnable et limitée dans le temps, zonage géographique précis, absence de mesures attentatoires aux libertés (en dehors de l'interdiction de circuler dans les périodes prescrites)... Il avait d'ailleurs été validé, pour l'essentiel, par une décision de la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille du 20 mars 2017. La CCA avait en effet annulé uniquement des dispositions de l'arrêté qui faisaient l'objet d'une rétroactivité dans leur application.
Dans sa décision annulant la totalité de l'arrêté, le Conseil d'Etat va plus loin et se base sur des motifs de fond. Il rappelle tout d'abord que "ni les pouvoirs de police générale que l'Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l'article 371-2 du Code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d'éducation, ni enfin les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l'ordre public qu'ils sont susceptibles de provoquer, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L.2212-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales".
... mais seulement si les circonstances le justifient et qu'il peut le prouver
Mais cette possibilité offerte au maire dans le cadre de ses pouvoirs de police est toutefois soumise à une condition fondamentale, rappelle le Conseil d'Etat : "La légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l'objectif pris en compte et proportionnées". La décision du Conseil d'Etat précise qu'il appartient à la commune d'apporter la preuve des circonstances justifiant la prise d'un arrêté "couvre-feu".
Or, "les documents produits par la ville de Béziers n'apportent pas d'éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l'existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l'arrêté attaqué. Dès lors, l'interdiction prévue par l'arrêté attaqué du 7 juillet 2014 ne peut être regardée comme une mesure justifiée par de tels risques". L'arrêté du maire de Béziers est donc annulé et la commune condamnée à verser à la Ligue des droits de l'homme une somme de 5.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Références : Conseil d'Etat, arrêt n°410774 du 6 juin 2018, Ligue des droits de l'homme c/ ville de Béziers.