Communication - Le compteur de la dette de la Seine-Maritime fait des vagues
Parmi tous les départements qui entendent prendre à témoin l'opinion des effets de la dette de l'Etat à leur égard (transferts de charges jugés non-compensés), la Seine-Maritime devrait sans difficulté remporter la palme. Plutôt que la traditionnelle délibération solennelle de l'assemblée départementale, le communiqué, la conférence de presse ou l'achat d'encarts presse, la Seine-Maritime a choisi une voie plus spectaculaire. Depuis le 1er décembre, la façade de l'hôtel du département s'orne d'une gigantesque affiche montée sur un cadre métallique. En son centre, un compteur lumineux égrène... "ce que le gouvernement doit aux Seinomarins". Mis en service à 238.195.040,00 euros, le chiffre s'accroît de 139 euros par minute. Le compteur devrait ainsi afficher, le 31 décembre à minuit, un total de 244 millions d'euros, soit le montant que le département estime lui être dû par l'Etat.
Si elle est peu coutumière en France, l'idée n'est pas vraiment originale. Depuis 1989, en effet, la "National Debt Clock" affiche en temps réel, à quelques pas de Times Square à New York, le montant de la dette nationale américaine. Mais l'initiative de la Seine-Maritime n'a pas manqué de faire son effet, pour un investissement - semble-t-il - très modeste (la direction de la communication évoque un coût de l'ordre de 2.000 euros). Outre les nombreuses retombées médiatiques, l'horloge de la dette a suscité un vif débat. Celui-ci va d'ailleurs au-delà du seul compteur, le département ayant également consacré un dossier de huit pages - plus l'éditorial et la quatrième de couverture - à la réforme territoriale et à la suppression de la taxe professionnelle, dans le numéro de décembre de son magazine, tiré à 500.000 exemplaires et doté pour l'occasion d'une couverture noire très évocatrice. Le leader de l'opposition départementale juge ainsi que "c'est limite scandaleux que les deniers de tous les habitants servent à financer, de manière unilatérale et partiale, une campagne politicienne". Il souhaite donc "savoir combien coûte cette opération avec 500.000 exemplaires du magazine Seine-Maritime, l'installation du compteur et les milliers de courriers adressés aux élus et aux présidents d'associations". Pour sa part, le président du conseil général voit plutôt dans l'affichage du compteur un "calendrier de l'Avent". Selon lui, "chaque jour, c'est un drôle de cadeau du gouvernement : 200.000 euros en moins, soit 139 euros à la minute. A la fin de l'année, l'Etat nous devra 244 millions d'euros". A noter : le département de Seine-Maritime a déjà lancé, en début d'année, une importante campagne en faveur du rôle des départements - avec pétition et site dédié -, alors que leur maintien pouvait encore sembler menacé. Mais ces actions se situaient avant l'entrée en période de restriction de la communication des collectivités.
Au-delà de la polémique, le département a pris incontestablement un risque juridique avec sa nouvelle campagne. Depuis le 1er septembre en effet, la communication des collectivités territoriales est entrée en période préélectorale. S'il est difficile de contester que la suppression de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités sont des sujets intéressant ces dernières, la convergence et l'ampleur des moyens mis en oeuvre pour les aborder pourraient attirer l'attention du juge, d'autant plus qu'il s'agit là de débats nationaux. La jurisprudence s'est, certes, montrée de plus en plus conciliante au fil des élections, mais il demeure cependant un certain nombre de limites (voir notre article ci-contre du 31 août 2009). En cas de recours, il sera donc intéressant de connaître la position des juges sur l'opération de la Seine-Maritime.
Jean-Noël Escudié / PCA