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Très haut débit - L'Arcep et la Cour des comptes veulent rebattre les cartes en zone d'initiative privée

La Cour des comptes a publié ce mardi 31 janvier un rapport sur le très haut débit qui accentue les interrogations sur le rôle des acteurs privés dans le financement de la fibre optique. Les questionnements concernent surtout les communes où les opérateurs avaient manifesté une intention d'investir (zone Amii), territoire qui regroupe près de 6 Français sur 10. SFR affirme vouloir investir plus, une fois la fusion avec Numéricable digérée. Si l'Arcep n'est pas fermée à un rééquilibrage, Orange fait de la résistance. Enjeu pour les opérateurs : prouver au régulateur et aux collectivités leur bonne volonté pour déployer le THD et éviter de voir certaines communes échapper à leur escarcelle.

En dehors de la zone très dense où les investissements privés et concurrentiels priment et dont le périmètre avait été déterminé par l'Arcep en 2009, les communes bénéficient soit d'un déploiement privé unique, soit de l'initiative d'une collectivité pour mettre en place un réseau neutre. Depuis 2010 et le lancement du programme national très haut débit, les grands opérateurs ont pu déclarer leur intention d'investir dans le déploiement de la fibre optique FttH dans certaines communes et, ainsi, limiter la zone dévolue aux réseaux d'initiative publique propulsés par les collectivités. Au fil des années, le contrôle de cette zone Amii (Amii pour "appel à manifestation d'intention d'investissement") s'est fait plus strict et les opérateurs doivent désormais conventionner avec les collectivités, annonçant un calendrier de déploiement clair et la priorisation des raccordements. Cependant, nombreux sont les territoires où les déploiements ont pris du retard.
C'est ainsi que la Cour des comptes, dans son rapport sur le très haut débit publié ce 31 janvier qui risque de faire polémique, relève que 2 millions de raccordements potentiels en zone Amii n'étaient pas encore conventionnés mi-2016 et n'étaient pas en passe de l'être. Qui plus est, le partage des communes reversées de la zone très dense à la zone Amii en 2013 a échappé au contrôle du régulateur et les opérateurs "chefs de file" des déploiements dans les poches de basse densité des zones très denses ne sont même pas connus du public. Les magistrats de la rue de Cambon conseillent donc de renforcer considérablement les instruments de contrôle des investissements privés, en particulier en zone Amii. Deux maîtres mots : transparence et sanctions en cas de non-respect des engagements.

SFR veut reprendre le train en marche

Au terme de ce mois de janvier, les opérateurs voient donc les signaux s'accumuler en faveur d'une action plus énergique de leur part en faveur du THD. Dans cette optique, alors que SFR avait suscité de réelles inquiétudes en délaissant le FttH pour tout miser sur la rénovation du réseau câblé hérité de Numéricable, l'opérateur revient à la charge et profite de la suspicion de l'Arcep envers les restes de monopole d'Orange pour tenter de renégocier la répartition de la zone Amii. Actuellement, seulement 20% des raccordements sont programmés pour SFR, quand 8 prises sur 10 reviennent à Orange, qui bénéficie notamment du co-investissement de Free. Une situation que SFR voudrait rééquilibrer et, pourquoi pas, ramener à parité. Lors d'une conférence de presse le 23 septembre, Michel Paulin, DG de SFR, s'attachait à associer l'ambition de son entreprise à celle du plan France THD. Comment une seule entreprise pourrait-elle assurer le fibrage de l'ensemble de la zone Amii dès 2020 ?
Dans la lignée des annonces de l'Arcep début janvier, visant à mieux encadrer Orange sur les marchés de gros et d'entreprise, Sébastien Soriano, président de l'Arcep, s'est montré bienveillant envers la demande de SFR ; mais l'essentiel se jouera dans les négociations entre les deux opérateurs historiques, qui, pour l'heure, patinent.

Le rôle des collectivités, de plus en plus décisif

Les collectivités observent ces évolutions avec attention. La zone Amii n'est pas celle qui sert au mieux leurs intérêts. Via les conventions avec les opérateurs, les agglomérations sont à même de faire entendre leurs voix pour peser sur le calendrier de déploiement, et permettre une prise en compte de leurs priorités (sites d'intérêt économique, zones mal desservies actuellement, etc.). Cependant, ces conventions ne sont pas associées à un arsenal coercitif et les sorties de route sont inévitables. En octobre dernier, le métropole européenne de Lille (MEL) avait finalement clôturé son processus de réattribution de la zone Amii autrefois dévolue à SFR, en effectuant un "appel à manifestations d'engagement d'investissement". Outre Orange, Covage, opérateur neutre, a été retenu pour fibrer 13 communes jusqu'en 2019. Un signal qui atteste que, même en zone Amii, les grands opérateurs ne sont pas à l'abri.
Autre frémissement : d'après l'article 32 de la loi Montagne, une carence d'initiative privée pourra être constatée en zone Amii quand l'opérateur n'aura pas pris l'initiative d'un conventionnement avec la collectivité avant le 1er juillet 2017. Une manière d'empêcher les opérateurs de jouer la montre et l'occasion d'agiter le spectre d'une plus grande perméabilité entre zone Amii et zone d'initiative publique. Une menace qui, pour l'heure, s'avère bien lointaine. En revanche, la Cour des comptes constate en plusieurs endroits une concurrence néfaste entre déploiements privés et RIP de première génération. Malgré les investissements des collectivités, des territoires comme Valenciennes, Caen, ou encore Grand Chalon ont subi la mise en place d'infrastructures privées redondantes.

Les stratégies centrées sur les contenus, ennemi de l'investissement ?

Alors que le FTTH Council chiffre à 156 milliards d'euros l'effort d'investissement nécessaire pour déployer la fibre partout en Europe, la question posée est donc bien celle de la pertinence et de l'efficience des ambitions actuelles des opérateurs. Le 29 janvier, Sébastien Soriano dénonçait dans les colonnes du Financial Times les dangers d'un trop grand rapprochement entre la production de contenus et la gestion d'infrastructures. Un message clair adressé à SFR, qui souhaite repartir à la conquête d'abonnés en rachetant des droits sportifs, et à Orange, qui ne cache plus son intérêt pour Canal+. Attaché à passer, en ce début d'année, pour le bon élève de l'aménagement numérique du territoire, Bouygues, très présent dans la 4G mais quasi-absent dans la fibre, a lui laissé entendre par la voix de son directeur général adjoint, Didier Casas, que la qualité des réseaux resterait son unique priorité.

 

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